Le docu de Wim Wenders sur le mythique groupe cubain Buena Vista Social Club, bientôt de retour au ciné

Moins stupéfiant que Jurassic Park et moins exotique que Voyage Au Centre de la Terre, le Buena Vista Social de Wim Wenders demeure pourtant un excellent témoin des ressources narratives et pittoresques qu’offrent les mondes disparus au cinéma....

Le docu de Wim Wenders sur le mythique groupe cubain Buena Vista Social Club, bientôt de retour au ciné

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Moins stupéfiant que Jurassic Park et moins exotique que Voyage Au Centre de la Terre, le Buena Vista Social de Wim Wenders demeure pourtant un excellent témoin des ressources narratives et pittoresques qu’offrent les mondes disparus au cinéma. Quoiqu’ils n’aient pas été recréés à partir d’ADN prélevé sur des moustiques fossilisés comme les dinosaures du blockbuster, les personnages sur lesquels se penche ce documentaire musical renaissent bel et bien à la vie après une longue période de congélation.

Des soneros sur le retour

L’histoire mérite rappel : à la demande du guitariste Ry Cooder, producteur de l’album qui donne son nom au film et auteur de la bande originale de Paris Texas (le plus connu et récompensé de la filmographie de Wenders), le cinéaste allemand débarque en 1998 à La Havane en pleine période dite “spéciale” pour suivre une bande de vieux soneros oubliés sur le retour.

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Avec la chute du mur de Berlin et la fin de l’assistance soviétique, Cuba a vu son niveau de vie sombrer, obligeant le régime castriste à assouplir son économie. Dans un système resté farouchement anti-capitaliste, l’île s’ouvre davantage au tourisme et le dollar se met à circuler sous conditions. Profitant de ce moment faible du marxisme-léninisme, le naturel dansant d’un peuple qui a engendré mambo, chachacha et boléro revient au galop après 40 ans de sevrage et de tyrannie productiviste. C’est dans ce contexte que Nick Gold du label anglais World Circuit a lancé l’idée d’une rencontre entre des musiciens maliens et cubains sur la base d’un héritage musical commun. Faute d’obtenir un visa (dont ils n’avaient aucunement besoin), les maliens n’arriveront jamais à destination, obligeant Gold, Cooder et l’ingénieur du son Jerry Boys à improviser.

Les étoiles s’alignent

Hasard ou magie de la sérendipité, les étoiles se mettent alors à s’aligner une à une. Dans le légendaire studio Egrem, vieil alambic culotté par mille décoctions savoureuses, le Buena Vista Social Club prend forme à la faveur d’heureux tâtonnements et de coups du sort providentiels. Le pianiste Ruben Gonzales, 77 ans, passant devant l’Egrem au moment où on y livre un Steinway flambant neuf, ne peut résister à l’envie de l’essayer.  Survivant d’un âge d’or révolu, il n’a plus touché un clavier depuis que les termites ont réduit le sien en sciure. On vient quérir de toute urgence Ibrahim Ferrer, bolériste à voix d’or oublié de tous, pour une chanson, alors qu’il cire des chaussures sur les trottoirs du Vedado pour améliorer une retraite aussi mince que son tour de taille. “J’ai eu à peine le temps de me laver les mains pleines de cirage”, dit-il face caméra. Francisco Repilado, dit Compay Segundo, 89 ans, vétéran du son dont l’heure de gloire remonte aux années 1940,  viendra étrenner l’une de ces dernières  compositions, Chan Chan, bientôt hymne planétaire du renouveau de la musica cubana vieja. A ce trio très âgé, mais nullement édenté, s’ajoutent la jouvencelle Omara Portuondo, le guajiro Eliades Ochoa, ou encore le contrebassiste Cachaito Lopez. Et bien d’autres…

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L’album tiré de ces sessions enflamme la presse, remet au goût du jour un style splendidement suranné, se vend à 8 millions d’exemplaires et inspire ce doc qui s’efforce, en 1 h 40, de montrer La Havane dans toute sa beauté décatie, quitte à faire tourner le présentoir de cartes postales – avec Malecón, balcons fleuris et vieilles bagnoles –, et de expliquer l’histoire de chacune des stars, tout en suivant la trajectoire de cette inouïe constellation jusque sur la scène du Carré Royal d’Amsterdam et du Carnegie Hall de New York où le Buena Vista donnera ses uniques concerts.

Ce cahier des charges bien chargé ne pouvait s’honorer qu’au prix d’un certain systématisme. Confinant parfois à la revue d’effectifs, un portrait chassant l’autre, l’ensemble n’épuise pourtant en rien le charme que dégagent ses Hibernatus tropicaux miraculeusement sortis de l’oubli avec leurs talents et leur faconde intacts. Surtout, Wenders n’a pas manqué de saisir l’image forte qui vient sceller l’ensemble, celle par laquelle toute cette histoire prend sa dimension lazaréenne : le visage éberlué, proche des larmes, d’Ibrahim Ferrer face à la standing ovation qui lui est réservée au Carnegie. Émotion qui forcément dépasse le seul destin du petit cireur de chaussures de La Havane pour atteindre quelque chose de l’ordre d’une justice plus grande, plus belle et bien plus juste que celle des hommes: celle que seule la musique sait rendre.