Le festival d'Angoulême 2021 bouleversé, 8 BD à lire pour se consoler

BANDE DESSINÉE —Pour la première fois de son histoire, le festival d’Angoulême n’aura pas lieu fin janvier pour le grand public. Les organisateurs espèrent pouvoir décaler l’édition 2021 au mois de juin, si le contexte sanitaire le permet....

Le festival d'Angoulême 2021 bouleversé, 8 BD à lire pour se consoler

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BANDE DESSINÉE —Pour la première fois de son histoire, le festival d’Angoulême n’aura pas lieu fin janvier pour le grand public. Les organisateurs espèrent pouvoir décaler l’édition 2021 au mois de juin, si le contexte sanitaire le permet. L’absence de ce rendez-vous annuel incontournable tant pour les professionnels que pour les lecteurs n’éteindra pas la passion, d’autant que les bonnes sorties cet hiver sont nombreuses. Voici une sélection de lectures parmi les meilleures nouveautés.

“Ne m’oublie pas” — Alix Garin (Le Lombard)

Lors d’une visite à sa grand-mère en maison de retraite, Clémence prend une décision subite et irréfléchie : l’enlever pour l’emmener une dernière fois dans la maison où elle a grandi, puisque la vieille dame qui souffre de la maladie d’Alzheimer replonge de plus en plus souvent en enfance. “Ne m’oublie pas” est un road movie cocasse, qui raconte la fugue d’une personne âgée qui n’a aucune conscience de ce qu’elle fait, et emporte le lecteur jusqu’à le bouleverser. La maladie est dépeinte avec justesse (croire très âgé que l’on est à nouveau un enfant est un syndrome classique d’Alzheimer), ce qui s’explique par le fait que l’histoire - bien que fictionnelle - est inspirée de l’expérience familiale de l’auteure. La beauté de cette bande dessinée tient dans la relation entre les deux femmes : comment continuer d’aimer quelqu’un qui ne vous reconnaît plus ? Comment partager des expériences avec une personne qui n’en gardera aucune mémoire ? Comment faire ses adieux à celle qui a compté dans votre vie au point de vous permettre d’accepter qui vous êtes ? “Ne m’oublie pas” est un album d’une tendresse et d’une sensibilité hors norme, une de ces œuvres qui font venir les larmes au coin de l’œil.

“Le Labo” - Hervé Bourhis & Lucas Varela (Dargaud)

Au fil des albums, Hervé Bourhis trace un chemin singulier dans le paysage de la BD francophone, entre livres érudits sur la musique ( “Le Petit livre Rock”) et bandes dessinées humoristiques mordantes (“Le Teckel”), qu’il écrit et met en images. Son nouvel ouvrage : “Le Labo”, dont il n’est que scénariste, raconte comment l’ordinateur individuel a été inventé en France bien avant Apple et Microsoft, par un jeune héritier qui voyait le futur à chaque fois qu’il mélangeait fromage de chèvre et ganja californienne. Bien que délirant dans son pitch, “Le Labo” propose une histoire alternative de l’informatique tout à fait crédible, qui s’inspire de nombreux événements réels (la création du concept de souris informatique par un américain en 1968 bien avant l’ordinateur, les débuts de la Silicon Valley, l’âge d’or du jeu vidéo au Japon) pour les remixer dans une fiction échevelée. A la source de cette histoire se trouve une anecdote tout à fait exacte : la France a failli inventer Internet quand Louis Pouzin développa le protocole TCP/IP, utilisé dix ans plus tard aux États-Unis après que les financements de ses travaux aient été interrompus par un État français préférant investir dans le concept inexportable du minitel. Cette BD psychédélique qui oppose quinqua franchouillards bourrés au Pastis et boomers hippies défoncés à l’herbe n’oublie pas de balancer une critique bien sentie des mouvements culturels des années 1970 (sexisme, mépris de classe, narcissisme des babas cool). Le dessin de Lucas Varela, aux limites de la caricature, sert parfaitement l’histoire, hilarante de la première à la dernière page.

“Yellow Cab” - Chabouté (Glénat / Vents d’Ouest)

Robert de Niro aurait passé de longs mois comme chauffeur de taxi à New York pour préparer son rôle dans le film “Taxi Driver”. Le réalisateur français Benoît Cohen, installé depuis peu dans la ville, se décide à faire de même pour prendre le pouls de la ville et puiser l’inspiration de son prochain film dans lequel l’héroïne conduirait elle aussi un taxi jaune. La matière de cette expérience n’a finalement pas donné un film mais un roman, puis une bande dessinée magnifiquement mise en images par Chabouté. L’histoire relatée est celle du long parcours du combattant avant de pouvoir obtenir une licence, puis le portrait de la ville en creux à travers celui de ses habitants embarqués dans le taxi. Ce qui suscite surtout l’enthousiasme dans cet album, c’est le dessin amoureux de la ville de New York, cosmopolite et animée, si graphique et si belle, parfois lors de longues séquences sans texte qui sont en soi un véritable voyage. Une seule envie après avoir fermé l’album : y retourner, vite.

“Tomino La Maudite” (volume 1) - Suehiro Maruo (Casterman)

Suehiro Maruo est la star du genre “ero guro”, une branche tellement déviante du manga qu’elle est souvent considérée comme infréquentable, et dépasse rarement en diffusion le petit cercle d’initiés qui en saisit la dimension provocatrice et comique (personne ne s’étonnera que Moebius fut le premier à l’éditer en France dans la revue “A suivre”). Si les titres les plus extrêmes de cet auteur sont (courageusement) édités par les éditions IMHO, d’autres, plus grands publics, sont disponibles chez Casterman. Deux de ces albums : “L’Enfer en Bouteille” et “L’Île Panorama” sont incontournables au lecteur curieux. Il faudra désormais ajouter un troisième titre à cette liste : “Tomino la maudite”, qui marque le grand retour de Maruo dans les librairies françaises. L’histoire est celle de deux jumeaux abandonnés par leur mère et vendus à un cirque dans les années 1930. Sur des thématiques proches de celles des films “Freaks” et le “Tambour”, “Tomino la Maudite” est un manga qui ne respecte aucune convention. On y retrouve les obsessions de l’auteur pour la difformité, la sexualité, l’enfance sacrifiée, et la grande liberté formelle qui caractérise son style unique.

“Pacific Palace” - Le Spirou de Christian Durieux (Dupuis)

Si les personnages de Spirou et Fantasio ont pu être réinterprétés par divers artistes dans la série canonique où officia notamment le grand Franquin, c’est dans une série parallèle : “Spirou vu par…”, que les auteurs profitent de la plus grande liberté créative. En l’absence de cahier des charges, il leur est proposé de composer des histoires indépendantes, en principe en un seul volume (Émile Bravo faisant exception), et à leur manière. “Pacific Palace” de Christian Durieux (scénariste et dessinateur) propose pour le nouvel épisode de cette collection un Spirou très politique. Dans un hôtel français confiné pour quelques jours, un ex-dictateur des Balkans : Iliex Korda (très inspiré des bouchers serbes de la guerre de Yougoslavie) pose ses valises. Pour empêcher la curiosité des media, seule sa famille occupe les lieux, entourée d’une équipe réduite pour les servir. Spirou et Fantasio y occupent le poste de groom, ce qui leur permet d’assister à un ballet de politiciens autour d’une négociation qui révèle quelques secrets d’État que certains aimeraient voir oublier. Au-delà de la dimension morale de ce conte politique très contemporain, “Pacific Palace” est aussi une touchante histoire d’amour impossible. Cerise sur le gâteau : le groupe Cocoon a composé une bande originale de deux chansons à écouter en lisant l’album.

“Trenchfoot (Doggybags one shot)” - Mud & Ghisalberti (Ankama)

Les fans de bis, de cinéma de genre et de bandes dessinées mal élevées connaissent bien la série “Doggybags”, qui fut le temps de treize albums collectifs une joyeuse collection d’histoires courtes modernisant le concept des “Eerie”, “Creepy” et autres “Contes de la Crypte” qui firent les belles heures de la bande dessinée horrifique aux États-Unis il y a cinquante ans. Irriguée de références pop, influencée par la littérature pulp, la série s’est relancée sous forme de hors-séries et d’albums “one-shot”, comme ce “Trenchfoot” qui est une belle réussite. Autour d’un magnifique portrait de loser redneck de Louisiane qui se trouve sans doute être le seul américain à ne pas être obsédé par l’argent, Mud & Ghisalberti composent une histoire qui sent le soufre, la sueur et le sang. Les codes de “Doggybag” sont respectés à la lettre : ton grinçant, violence graphique et narration très cinématographique.

“Cineramdam”- Witko & Karibou (Fluide Glacial)

cineramdam

Le chef d’une tribu barbare harangue ses troupes avec un discours galvanisant, jusqu’au moment où son armée s’interroge sur l’utilité de mourir pour la gloire, et déserte en masse. Un détective anglais réunit les suspects d’un meurtre pour annoncer la résolution de l’énigme, et se trompe quatre fois. Deux cowboys se font face armes au poing, prêts à démarrer un duel, avant de tomber amoureux. Voilà trois clichés de cinéma, parmi de nombreux autres, qui sont détournés par Karibou (scénario) et Witko (dessin) dans un album qui retourne les situations classiques des films. Aucun genre n’est épargné, du film de guerre à la science-fiction. Sans atteindre le génie sur cette même idée que l’indépassable “Cinémastock” de Gotlib et Alexis (qui - mazette ! - vient de fêter ses 50 ans), “Cineramdam” fait beaucoup rire. L’album apporte une nouvelle preuve que l’écurie Fluide Glacial, après des temps plus moroses, renoue depuis quelques années avec une étonnante capacité à se régénérer et se moderniser autour d’une véritable pépinière de jeunes talents comiques.

“L’École buissonnière” - Patrice Ordas & Alain Mounier (Grand Angle)

Pour finir cette sélection, un album plutôt destiné aux adolescents, consacré à l’histoire d’un groupe de bacheliers résistants en 1943. L’immense succès commercial de la série “Les Enfants de la Résistance” semble avoir fait des émules, ici avec une approche et un dessin plus réalistes. Un incident à la sortie du lycée lors d’un contrôle d’identité pousse un groupe de quatre amis dont trois s’apprêtent à passer leur Bac, à s’enfuir, ce qui déclenche une série d’événements qui vont bouleverser leurs vies. Contraints de prendre la fuite, ils rejoignent la résistance. L’histoire racontée dans “L’École buissonnière” est directement inspirée de la vie du père du scénariste de l’album, engagé dans le maquis avant d’être arrêté et torturé à l’âge de 17 ans. Elle rappelle que l’âge moyen des 100.000 résistants français était de seulement 20 ans...

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