Le jour où Black Flag a mis le bordel dans un concert pour familles

“Okay, est-ce que vous voulez que le concert continue ?” Quand le MC monte sur la scène jonchée de déchets de Polliwog Park, le 22 juillet 1979, Black Flag joue depuis moins de dix minutes, et une grande partie des familles qui peuplaient le...

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“Okay, est-ce que vous voulez que le concert continue ?” Quand le MC monte sur la scène jonchée de déchets de Polliwog Park, le 22 juillet 1979, Black Flag joue depuis moins de dix minutes, et une grande partie des familles qui peuplaient le parc ont déjà décampé.

L’homme fait face à une horde de punks aux cheveux colorés, trempés de sueur et prêts à en découdre. “On va entendre plus de Black Flag si tout le monde arrête de jeter des trucs partout dans l’amphithéâtre. Il y a eu des concerts ici tout l’été, tous les dimanches, et pour la 1ère fois qu’on a du rock’n’roll… Regardez-moi ça !”

“Je vais vous dire ce qu’on va faire, poursuit le MC, dont les efforts pour ramener le calme ont été capturés par un enregistrement pirate. On ne va pas continuer à moins que tout le monde retourne s’asseoir. J’ai un gros problème, beaucoup de gens viennent me voir pour me dire qu’ils ont des enfants ici dans le parc…

– Renvoyez-les chez eux !

– Et ils ne vont pas les ramener chez eux, non. Je dois prendre une décision, et je vais demander à Black Flag de quitter la scène. S’il vous plaît aidez-moi, aidez-moi. Je ne veux pas avoir une émeute sur les bras. Beaucoup de parents sont avec leur famille, et ils n’aiment pas ce qui se passe en ce moment. Des gens viennent me voir et me disent qu’ils veulent que Black Flag quitte la scène pour qu’on puisse faire monter le groupe suivant.”

L’homme reçoit une volée d’insultes pour seule réponse. Abasourdi, il doit se résoudre à laisser le groupe reprendre le concert.

Filouteries

Rien, ce jour-là, ne laisse présager un tel chaos. Dans cette banlieue aisée de Los Angeles, l’après-midi commence comme d’habitude – c’est-à-dire, paisiblement : les parents déroulent leurs tapis de pique-nique sur la pelouse, pendant que les enfants s’amusent au bord du lac artificiel, poursuivant les canards et les cygnes ou jouant au frisbee.

La quiétude de cette douce après-midi de juillet à Manhattan Beach est à peine troublée par les concerts de deux groupes de new wave, The Tourists et Big Wow, qui assurent la 1ère partie. “En fait, écrira un journaliste chargé de couvrir l’événement pour le canard du coin, ces deux groupes feraient presque penser aux petits chanteurs de Vienne comparés à Black Flag.”

À l’époque, le groupe originaire d’Hermosa Beach, une banlieue voisine, commence à se faire un nom sur la scène punk de Los Angeles. Nervous Breakdown, son 1er EP, est sorti quelques mois auparavant. Les quatre titres sont infusés à la cocaïne et au speed (que Keith Morris, le chanteur, s’envoie en grande quantité), expédiés en cinq minutes.

Sans label pour le soutenir, Black Flag peine toutefois à trouver des dates. Les salles prêtes à accueillir des concerts punk sont rares. Encore plus depuis la fermeture du Masque, un rade mythique de Los Angeles, où X, les Dickies ou les Germs ont fait leurs armes. S’il veut voir autre chose que des garages et des fonds de jardins, où il commence par se produire, Black Flag doit filouter.

Dans son autobiographie, Keith Morris explique comment le groupe a tenté d’organiser un concert dans un théâtre en expliquant au propriétaire qu’il avait l’intention d’y organiser un bal pour adolescents. D’abord convaincu, ce dernier s’était rétracté au dernier moment.

Photo : Spot

Un cover band de Fleetwood Mac

Polliwog Park est un autre coup de poker. Greg Ginn, le leader et guitariste de la bande, fait croire aux organisateurs de ce rassemblement familial que Black Flag est un cover band de Fleetwood Mac, alors en pleine gloire. Et ça passe : sans même avoir écouté une seule démo, les programmateurs font appel au groupe pour remplacer un orchestre de jazz de l’US Air Force.

“À l’époque, personne ne savait qui ils étaient, ils pouvaient très bien s’incruster dans un événement comme celui-là”, explique Joe Nolte, frontman des Last, un groupe local, dans Spray Paint The Walls : L’Histoire de Black Flag, le livre que le journaliste américain Stevie Chick a consacré au Flag en 2011.

Le groupe se pointe sous le soleil de Manhattan Beach avec un cortège constitué de plusieurs dizaines de fans et d’amis. Spot, le producteur historique de Black Flag, qui immortalise le show pour le magazine Easy Rider, est de la partie. Jeffrey Lee Pierce, le futur leader du Gun Club, est là aussi. Tout ce petit monde écluse joyeusement parmi la foule en attendant le début du concert.

“Comme c’était un dimanche, je m’étais mis à vénérer l’église des vivants en sifflant des packs de bière plus tôt ce matin-là, si bien que, au moment du concert, j’étais complètement déchiré”, écrit Keith Morris dans son autobiographie. Le chanteur erre sans but dans le parc et finit par s’endormir sous une voiture. On le traîne sur scène, où il grimpe, une canette de Budweiser à la main. Le concert peut commencer. 

“Un chouette moment”

C’est peu de le dire, le show est un désastre : dès le 1er morceau, la foule se met à jeter des tas d’ordures à la gueule du groupe. Des canettes de bière, des peaux de bananes, des os de poulets à moitié rongés… “Ils nous auraient balancé les bancs et les tables de pique-nique s’ils avaient pu les soulever”, se souvient Keith Morris. En retour, Black Flag fait pleuvoir un déluge de son sur le parc. Morris provoque : “Soit vous êtes ici avec nous, soit vous pouvez rentrer chez vous pour regarder Walt putain de Disney”.

“Il y avait sûrement des huées dans le public, remet Joe Nolte dans Spray Paint The Walls. Mais les familles ont en grande partie pris le truc à la rigolade. Les parents donnaient des canettes de bière vides à leurs enfants en leur disant : ‘Allez-y, jetez-les sur le groupe, c’est ce qu’ils attendent !’ Et les enfants y allaient, comme si c’était un jeu […]. Bizarrement, c’était un chouette moment. Mais, au fur et à mesure du concert, concède-t-il, il y avait sûrement des gens qui étaient emmerdés, qui ne voulaient plus supporter ça. Il y avait beaucoup de cris : ‘Virez-les !’, et de plus en plus de choses balancées.”

Les clichés de Spot, mis en vente par le groupe sur le site du label In The Red (et dont les bénéfices serviront à couvrir les frais de santé du photographe), témoignent de l’ambiance. Sur la scène tapissée de canettes, d’éclats de verre et de restes de bouffe, deux types (Dez Cadena et Ron Reyes, deux des futurs chanteurs du Flag) se roulent par terre face à Morris, hurlant, une Bud à la main. Le tout sous les yeux d’un public mi-amusé, mi-incrédule.

Arrêté à plusieurs reprises par les interventions du MC, le concert se termine au bout d’une demi-heure. Tout le monde remballe. Direction The Church, le local qu’occupe Black Flag à Hermosa Beach, pour un after qui ne prendra fin qu’après qu’une cymbale renversée aura eu raison du micro de Morris.

Dans la presse locale, les organisateurs du concert jurent qu’ils ne se feront plus avoir. “Nous prévoyons de filtrer et d’auditionner chacun des groupes qui souhaitera se produire à Polliwog Park, donc rien de tel ne se reproduira jamais”, promettent-ils, amers. Les fans, eux, ont apprécié : “C’était un fouillis de crachats, de bière, de sang, de sueur et de larmes, décrit Ron Reyes, dans le bouquin de Stevie Chick. Et le concert avait à peine commencé qu’il était déjà terminé. So much fun…”