Le “Paris” de Malcolm McLaren
Paris est une fête. Pour Malcolm McLaren ce fut bien plus, d’intime, d’exotique, de mystique. À la fois idylle, source d’inspiration, refuge… En 1979, le manager des Sex Pistols ruiné à la suite du procès intenté par John Lydon, ex-Rotten,...
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Paris est une fête. Pour Malcolm McLaren ce fut bien plus, d’intime, d’exotique, de mystique. À la fois idylle, source d’inspiration, refuge… En 1979, le manager des Sex Pistols ruiné à la suite du procès intenté par John Lydon, ex-Rotten, et la maison Virgin, traqué par le MI5, dévasté par la mort de son protégé Sid Vicious, il vient panser ses plaies dans des infirmeries ayant pour noms Palace et Bus Palladium, accompagné de son ami le créateur Jean-Charles de Castelbajac.
Puis au début des années 1990, las d’un job de “générateur d’idées” à Hollywood chez Amblin Entertainement, la boîte de Steven Spielberg, décide de rentrer en Europe sur les conseils d’un Orson Welles obèse et démonétisé. “Si tu ne veux pas finir comme moi, casse-toi d’ici fissa !”, lui aurait soufflé le metteur en scène entre deux Negronis (Gin, Vermouth et Campari). Bien que renfloué grâce à son détournement de l’Air des Clochettes de Delibes pour une pub de la British Airways, rentrer à Londres lui est insupportable.
Trop de mauvais souvenirs, d’animosités latentes. Sa récente rupture avec la styliste Vivienne Westwood n’arrange rien. C’est donc à Paname que celui qui s’est attiré des titres de gloire aussi indéfendables que “parrain du punk” ou “plus grand escroc de l’histoire du rock”, pose sa valise. Et enregistre un album conceptuel intitulé Paris. Qui n’a rien de punk. Lettre d’amour musicale pour cette ville qu’il a tant fréquentée, parcourue, explorée, le disque est coparaphé par deux french icons indémodables, Catherine Deneuve et Françoise Hardy. Avec disparition récente de celle-ci, la chanson Revenge of The Flowers qu’elle y interprète ajoute aux hommages unanimes une note de solennité et de saisissante beauté.
Malcolm à Paris
La fascination de Malcolm pour Paris débute à l’âge de 13 ans au Macabre, un spot londonien de Soho où il buvait des cafés assis sur un cercueil, anecdote racontée dans le disque. Puis, au début des années 1960, l’étudiant en art bénéficiaire d’une bourse, il assiste le peintre André Masson dans son atelier montmartrois (dans un entrevue il dévoilera que sa tâche auprès de l’artiste consistait essentiellement à aller chaque jour lui acheter une baguette et un litre de Côtes du Rhône). Bien plus tard, c’est dans l’ancien atelier d’un autre peintre, Gustave Courbet, situé dans les combles des Folies Bergères, qu’il logera. En 1968, il rate de peu les émeutes du Quartier latin. Mais pas les slogans qui y fleurissent comme roses en serres : “Soyez raisonnable, demandez l’impossible”, “Sous les pavés la plage”, “Ne travaillez jamais !”. Plus tard, il lui suffira de souffler à l’oreille de Vivienne Westwood un mot d’ordre, tel que “Destroy !” ou “Anarchy !”, pour qu’elle en fasse un t-shirt.
Mais, c’est surtout sa lecture de Guy Debord qui, avec le rock‘n’roll de Gene Vincent et d’Eddie Cochran, achève sa construction. On sait, par les différentes biographies qui lui ont été consacrées, que McLaren n’était pas à proprement parlé un littéraire, moins encore un musicien. Cette inaptitude sera utilisée de manière si rouée, détournant signes et messages avec cette dextérité retorse inhérente à la pensée situationniste, que demander l’impossible, et l’obtenir, deviendra pour lui un jeu d’enfant. Comme : renverser du jour au lendemain l’une des industries musicales les plus puissantes au monde rien qu’en lançant sur le marché un groupe de freluquets sans expérience, débusqués entre les cintres d’une boutique de fringues où l’on vend des t-shirts déchirés, biffés de slogans obscènes, en les affublant d’un nom qui l’est tout autant : Sex Pistols !
“Cash for chaos!”
Déjà naturellement séduit par le chaos et la sédition sous toutes ses formes, les théories générées par Debord et sa bande viennent parfaire chez lui une mauvaise éducation donnée par sa grand-mère maternelle, Rose Corré Isaacs. C’est elle qui, suppléant à l’absence d’un père déserteur et au désintérêt d’une mère peu aimante, inculque à son petit-fils son profond mépris de l’autorité et sa haine viscérale de la monarchie. Elle qui lui ressasse que la famille royale n’est que le symbole d’une nation corrompue. Que dans pareil monde, rien n’est pire que de vouloir suivre le droit chemin.
Issue d’une famille sépharade d’origine portugaise enrichie dans le commerce de diamants, Rose fut punk avant toute occurrence, vendant à prix d’or des faux tableaux de maîtres, faisant de la location de voitures volées. Accessoirement jouant au bridge avec Agatha Christie. Malcolm n’eut aucun mal à mettre en pratique sa devise : “Cash for chaos!” Y ajoutant une vision artistique toute personnelle que Young Kim, sa dernière compagne, restitue de la sorte : “The look of music and the sound of fashion.” De look, il sera question dès ses débuts de manager. Rien que l’idée de vouloir sauver la carrière des New York Dolls, groupe génial dont l’unique défaut fut d’être en avance sur son temps, en les produisant habillés de cuir rouge sur fond de drapeau frappé de la faucille et du marteau n’était sans doute pas la plus inspirée.
Son coup de génie fut d’avoir monté de toutes pièces les Pistols, de les avoir hissés au firmament des hit-parades et de l’infamie. En 1977, année du Dragon, Rotten et sa clique squattent la une des tabloïds, font débats à la Chambre des communes, enragent les chaumières, rendent chèvres les pontes de maisons de disques, quasiment mettent le pays à feu et à sang. Derrière le gros bordel engendré, McLaren jubile, empoche les avances sur royautés. Et les dédommagements pour rupture de contrats. Conséquence du passage désastreux du groupe en prime time à la télé anglaise, EMI coupe prématurément le cordon, préférant jouer le Queen de Freddie Mercury contre l’insultant God Save the Queen des poulains du machiavélique Malcolm. Derek Green, “chief executive” chez EMI, le qualifie de “satanique”.
La forme avant le fond ?
Après les Pistols, plus rien ne sera comme avant, s’habiller, se coiffer, faire de la musique, concevoir des pochettes. Rarement game changer aura été aussi décisif que lui. Arrivé à ce niveau d’incandescence, son erreur, sa faute, sera d’avoir sciemment joué le concept contre la musique. Selon le biographe Ian Macleay, le succès du groupe risquait d’accélérer sa mise à l’écart, pour qu’il ne finisse pas par le saborder. Bien meilleurs musiciens qu’il ne le pensait, ou le souhaitait, les Pistols ne survivront pas au remplacement forcé de Glen Matlock, qui composait les meilleures chansons, par Sid Vicious, qui captait mieux la lumière, mais aussi les emmerdes.
Après avoir éborgné une jeune spectatrice pendant un concert, molesté des journalistes et le frère de Patti Smith, sa mort d’une overdose trois mois après avoir été soupçonné du meurtre de sa petite amie Nancy Spungen symbolise une dérive dont on ignore à quel point elle ne fut pas la conséquence malencontreuse d’une stratégie sur laquelle le manager avait perdu tout contrôle. McLaren sortira de cette séquence exsangue, moralement et financièrement. Avant que son génie conceptuel ne le remette en selle.
Sa mise en lumière débute avec Duck Rock en 1983, disque visionnaire qui, avant qu’Actuel ne verbalise le concept de “sono mondiale”, que Paul Simon n’enregistre Graceland, ne mixe hip-hop, musiques zouloue et afro-cubaine. Son adaptation du Madame Butterfly de Puccini, autre succès, son engouement pour le vogueing, avant Madonna, sa toquade pour la chip music, conçue à base de sons de consoles de jeu, prouvent l’acuité de son flair, la diversité de ses inspirations, autant qu’une apparente instabilité. D’où l’impossibilité de saisir sa démarche par le seul prisme musical. “Malcolm était avant tout un créateur. Un styliste. Il avait hérité d’un don familial en lien avec la mode, la confection. Son grand-père était tailleur, sa mère dirigeait une usine de vêtements. Toute l’inspiration de Vivienne Westwood est venue de lui”, insiste Young Kim.
Exploration poétique de Paris
En cela, on peut dire que la quête du profond par le superficiel semble avoir été sa pierre angulaire. Ou, dit en termes Wellesien, son “rosebud”. Or, si l’abscisse de la frivolité et l’ordonnée de la profondeur se croisent quelque part, c’est bien à Paris. Ainsi, sa fascination pour Christian Dior, styliste de génie aux aspirations artistiques contrariées, conduit Malcolm à envisager de lui consacrer une comédie musicale. Dior est présent dans Paris à travers l’itération d’une Gnossienne d’Erik Satie, l’une des inspirations majeures du grand couturier. Cette pièce mystérieuse et pénétrante en version jazz Nouvelle-Orléans dans Miles and Miles of Miles est une allusion érudite au rôle précurseur qu’eut Satie dans l’adoption du jazz à Paris au début du XXe siècle, prouvant toute la consistance de ce projet à l’apparence futile. Loin d’être une œuvre de substitution, l’album Paris est la célébration d’une ville à nulle autre pareille, l’exploration poétique de ce que son âme daigne laisser entrevoir d’elle-même à travers des noms, des lieux et des sons.
Model hispano-américaine, photographe et agent de nombreux artistes dont David la Chapelle, Eugenia Melián était la compagne de Malcolm à l’époque. Elle fut la maîtresse d’œuvre de cet album qui lui est virtuellement dédié. Son entregent facilitera les contributions de Françoise Hardy, Catherine Deneuve et Amina. C’est elle qui recrute les musicien·nes de studio, organise les séances d’enregistrements dans un splendide hôtel particulier du XVIIe siècle, proche des jardins du Luxembourg, propriété d’un ami. “À l’origine, je lui avais présenté deux tops-modèles noires, que Malcolm voulait produire sous le nom de Paris Blacks. Je lui ai suggéré que s’il voulait vraiment embrasser la diversité culturelle de la ville, il lui fallait visiter les caves, fréquenter la place de Clichy, Pigalle, Belleville, Barbès…” Jean-Charles de Castelbajac se souvient l’avoir accompagné dans les boites africaines de banlieue, et de soirées passées au bar le Soleil d’or dans le quartier des Halles. “Malcolm ne buvait pas, ne se droguait pas. Ce qui l’intéressait, c’était observer, s’imprégner…”
L’album trame ainsi une sorte d’exotica parisienne qui à l’accordéon et à l’argot substitue l’oud, la derbouka et la langue créole. Mon Dié Sénié, qui ouvre le disque, restitue sous forme de fiction – McLaren se prenant carrément pour un James Bond libidineux – et en mode afrofunk cette imprégnation des lieux métissés et sexués de la ville. Dans ce même élan d’universalité, il lui rend son titre de capitale du jazz dans Jazz is Paris, où ressurgit la figure de Miles Davis. Ses pérégrinations l’entraînent parfois jusqu’au cimetière de Picpus ou au Père-Lachaise. “Je lui ai montré la tombe de Allan Kardec, le père du spiritisme”, se souvient de Castelbajac. Robin Millar, missionné à la production, fera le même parcours. Comme Eugenia Melián, qui visite elle aussi la célèbre nécropole de nuit. “On s’allongeait sur les tombes. Les flics venaient nous déloger.” Père Lachaise est l’un des quinze titres de l’album. Malcolm y évoque une voix venue du ciel.
Des fleurs pour Françoise
Les fantômes se bousculent. Erik Satie et sa Gnossienne distillée tout du long en motif récurent. Serge Gainsbourg pour une cover arabisante de Je t’aime moi non plus (que devait chanter Charlotte) et un spot publicitaire pour le magazine Sortir. Miles Davis dans Miles And Miles of Miles rallumant sa flamme pour une Juliette Gréco avant rhinoplastie. Sollicitée pour le chanter, l’ancienne égérie de Saint-Germain-des-Près chassera sans ménagement Eugenia et Malcolm de chez elle (et Jeanne Moreau fait de même). Même Sid Vicious s’invite dans Rue Dauphine. Son portrait posé sur le piano de Gainsbourg, à côté de celui de Chopin, accompagné de ces mots, troublants de délicatesse : “Sid Vicious, je chante pour toi, pour tout ce que tu as fait, parce que je t’aime comme une fille…”
Pour info, la fameuse photo de Sid sur le piano de Gainsbourg est tirée du clip de My Way tourné au Casino de Paris quelques semaines avant sa mort. Fantôme elle aussi, Albine, héroïne malheureuse de La Faute de l’Abbé Mouret de Zola, qui se suicide par asphyxie en remplissant sa chambre de roses… “Cette histoire avait beaucoup marqué Malcolm, qui a voulu en faire une chanson”, explique Eugenia. Joyau insondable du recueil, Revenge of The Flowers est sublimé par une Françoise Hardy en version british au sommet de son art. Et du doute… “Après l’avoir écouté une fois mixée, Françoise m’appelle, dit qu’elle trouve ça nul, refuse que ça sorte”, explique Fabrice Nataf, alors directeur des disques Vogue. “Deux jours plus tard, elle rappelle, l’a réécoutée, trouve finalement que c’est le nouveau Melody Nelson. Ni plus ni moins !” Il aura fallu toute la persuasion et la diplomatie d’Eugenia et de Susi Wyss, une amie de Jacques Dutronc et de Françoise Hardy, pour que cette dernière accepte d’enregistrer Revenge of The Flowers.
“Je n’avais jamais vu Malcolm à ce point intimidé par quelqu’un, se souvient Eugenia. Son silence l’impressionnait terriblement. Je crois aussi qu’elle n’aimait pas beaucoup Malcolm. Le personnage et sa musique. Finalement, nous sommes allés chez elle. Tout était noir, les murs, le sol, les meubles. Tout. Malcolm lui a donné une démo ainsi que le texte de la chanson, qui lui a beaucoup plu. L’enregistrement s’est fait dans un grand studio parisien.” Dans son autobiographie Le Désespoir des Singes… et autres bagatelles… (2008), la chanteuse évoque cette rencontre à laquelle participa Robin Millar et l’enregistrement qui eut lieu au studio de Michel Berge, près du boulevard des Batignolles. “Françoise est arrivée, les yeux derrière de grandes lunettes noires, toujours aussi silencieuse, poursuit Eugenia. Elle tremblait. Malcolm aussi. Je n’ai jamais vécu une séance aussi inconfortable. Mais, elle a été d’un grand professionnalisme et la chanson est d’une grande beauté.” Il ne pouvait y avoir timing plus troublant que la réédition de ce chef-d’œuvre presque ignoré, alors que la chanteuse vient d’expirer, ces fleurs fatales d’Albine devenant, de fait, celles mortuaires de Françoise.
Improbable et majestueux défilé
Autre titre, autre star, autres embrouilles… “Catherine Deneuve a d’abord refusé le texte de Paris Paris, qu’elle jugeait trop osé”, explique Eugenia. C’est finalement David McNeil, fils de Marc Chagall, au long parcours d’auteur-compositeur, interprète et romancier, qui le réécrit. Catherine Deneuve y égrène, sur fond de violonades à la Caravelli, le chapelet des grandes divines : Joséphine Baker, Édith Piaf, Arletty et Notre-Dame. “Un clip devait être tourné, se souvient Fabrice Nataf. Mais Catherine refuse catégoriquement. Malcolm me dit ‘T’inquiètes, je sais comment la convaincre’, et appelle David Bailey, son ex-mari, pour qu’il le réalise. Du coup, Catherine dit oui. Et accepte même que des images de son mariage en 1965 avec Bailey y soient inclues.” Où l’on entrevoit Mick Jagger en témoin…
À sa sortie en 1994, le disque sera éreinté par la critique, le trouvant trop cliché. Un journaliste américain écrit : “McLaren ne pouvait réussir à rendre Paris plus prétentieux et insupportable.” Dans Libé, Nick Kent l’esquinte, traitant Malcolm de “sous-Gainsbourg”. Dix-huit ans plus tôt, Sid Vicious avait esquinté Nick Kent à coups de chaine de vélo, lors d’un concert des Pistols au 100 Club de Londres. Sur incitation de McLaren, a-t-on prétendu. L’un des rares pays où il sera un franc succès sera la Pologne. “Il s’en est vendu 80 000 exemplaires, un triomphe pour un tel marché !, recense Fabrice Nataf. Si bien que le président polonais, Lech Walesa, appellera Malcolm en personne pour lui proposer de devenir son ministre de la culture !” Malcolm préfèrera se présenter à la mairie de Londres. Loin du London punk, le Paris de Malcolm McLaren est un étonnant cocktail musical où raï, acid jazz et afro pop se diluent dans la chanson et les réminiscences classiques.
Miraculeusement épargné par la nostalgie, il trace un parcours atypique, biscornu, entre beaux quartiers et périphéries bigarrées, entre patrimoine et underground. Les vestales Deneuve et Hardy, la grande Sonia Rykiel, la sensuelle Amina en diseuse de bonne aventure dans La Main parisienne, l’élégant Wasis Diop, les fantômes de Gainsbourg, Satie et Vicious : seul un génie du collage et de la mode pouvait réussir pareil défilé.
Paris (Legacy/Sony Music). Sortie le 14 juin et disponible en vinyle exclusif à la FNAC.