Le viol doit-il violer le droit? - BLOG

viol est un crime circulaire qui se prolonge indéfiniment dans la victime. La/le violé.e non seulement a été agressé.e dans la partie la plus intime de son corps, mais se voit occupé.e par la culpabilité d’un crime qui atteint le principe même...

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VIOL -  L’affaire Poivre d’Arvor pose à nouveaux frais la question de l’imprescriptibilité du viol. Des enquêtes préliminaires seront de nouveau ouvertes pour faire la lumière sur des viols dont la prescription est  pourtant avérée. Ces enquêtes sans débouché cherchent à combler l’espace vacant entre des poursuites qui s’éteignent après un certain temps et des viols qui, par la logique de leurs camouflages toxiques, réémergent trop tard pour déclencher l’action publique, comme dans l’affaire Christophe Girard ou Richard Berry. Il s’agit de rendre une forme de justice édulcorée à des victimes que le traumatisme a empêché de porter plaine en temps utile.

Certains dénoncent pourtant ces enquêtes préliminaires, arguant qu’elles vaudraient reconnaissance implicite de culpabilité, tout en privant les agresseurs supposés d’un procès où se défendre, ajoutant ainsi au lynchage public le déni de justice. Elles feraient une entorse aux deux piliers du droit que sont le respect des règles (qui commandent la prescription) et l’instruction des faits (inaccessibles après une trop longue période), que le motif d’une justice réparatrice ne saurait rédimer.

Le viol, un crime circulaire

Mais c’est négliger la nature particulière du viol dont la responsabilité échoit à la victime plutôt qu’au coupable. Ce qui a été vrai dans le passé et encore aujourd’hui dans certaines régions du monde, où la femme violée était automatiquement mise au ban de la société, voire punie, est vrai aujourd’hui partout où l’on soupçonne d’office la victime d’exagération ou de dénonciation calomnieuse, où l’on suppose l’imprudence, l’incitation voire le consentement implicite, où l’on conserve secrètement et parfois inconsciemment cette image de la femme tentatrice, aussi vieille que l’Ancien Testament.

C’est pourquoi le viol est un crime circulaire qui se prolonge indéfiniment dans la victime. La/le violé.e non seulement a été agressé.e dans la partie la plus intime de son corps, mais se voit occupé.e par la culpabilité d’un crime qui atteint le principe même de sa personne, de sa capacité à vouloir et à se définir. Le viol est le crime d’être soi. En effet, si la projection de la responsabilité d’une agression d’une telle violence sur la victime est possible, c’est que, contrairement aux autres crimes (crapuleux, raciste, d’honneur, etc.) le viol vise la personne dans l’unicité de sa singularité physique. Elle est la cause finale du viol — non son argent, ou son appartenance communautaire, l’injure qu’elle a commise, etc. C’est pourquoi l’onde de choc des violences sexuelles peut être illimitée dans le temps.

Plus encore, tandis qu’une violence atteint le corps de façon brutale, laisse souvent des séquelles et est compréhensible par tous, le viol est souvent insidieux (94% des violeurs sont des proches de la victime -enquête IVSEA, 2015-), et surtout pervers en prenant appui sur la vulnérabilité de la victime : son âge, sa dépendance ou sa subordination, son état alcoolisé, etc. Le viol est ainsi tout à la fois monstrueux et familier, destructeur et structurel, en fondant le crime sur la confiance, entremêlant amour et abus de faiblesse, consentement et extorsion, volonté de protéger l’autre malgré tout et honte de soi.

Contre l’imprescriptibilité, dire, c’est faire

C’est pourquoi il peut aussi être vécu comme un crime par collaboration, et rester bloqué à l’intérieur d’une personne qui ne parvient plus à discerner ce qu’elle a subi et ce qu’elle supporté.

Or ces enquêtes préliminaires énoncent le crime. C’est peu au regard de la souffrance passée, mais cela contribue à rompre son cercle. Dire n’est pas défaire, mais c’est faire. Le reproche d’atteinte à la réputation, dont « il restera toujours quelque chose » est spécieux car il peut s’appliquer à toute diffamation, et donc potentiellement à toute accusation. Le “tribunal médiatique” n’a d’ailleurs pas attendu ces enquêtes préliminaires. Qu’on se rappelle l’affaire Baudis.

Au final, ces enquêtes sans procès résultent moins de la faiblesse de magistrats sous influence que d’une institution judiciaire qui veut symboliquement contrebalancer le silence où les victimes de crimes sexuels ont trop longtemps été tenues. Au début était le verbe. Sachons en faire bon usage pour permettre de nouveaux départs.

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