Lee “Scratch” Perry, “extraterrestre” et pionnier du reggae et du dub, n’est plus

“Je suis un extraterrestre venant d’un autre monde. (…) Je vis dans l’espace – je suis seulement un visiteur de passage.” Jusqu’au bout, on aurait aimé croire au bien-fondé d’une de ses déclarations les plus fameuses tant son parcours a été...

Lee “Scratch” Perry, “extraterrestre” et pionnier du reggae et du dub, n’est plus

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“Je suis un extraterrestre venant d’un autre monde. (…) Je vis dans l’espace – je suis seulement un visiteur de passage.” Jusqu’au bout, on aurait aimé croire au bien-fondé d’une de ses déclarations les plus fameuses tant son parcours a été hors-normes… D’ailleurs, Lee “Scratch” Perry a gagné un Grammy pour son album Jamaican E.T. en 2003. Mais il a finalement été rattrapé par son humanité et s’est éteint, dimanche 29 août, dans un hôpital jamaïcain, à l’âge de 85 ans.

Expérimentations radicales

Parmi les hommages qui lui ont été vite rendus, Mike des Beastie Boys et Questlove des Roots ont salué l’importance de ce visionnaire, rouage essentiel de l’histoire de la musique moderne. Car, si le nom de Lee Perry restera à jamais associé au dub et au reggae, genres profondément jamaïcains, l’influence de ce magicien sonore transcende les styles et les frontières. Comme Phil Spector ou Brian Eno, il avait fait du studio le théâtre d’expérimentations radicales. Dans le même temps, aux côtés de Sun Ra ou Miles Davis, il appartenait au club des francs-tireurs qui pensaient différemment et avaient un rapport au monde unique. Keith Richard avait ainsi loué en 2010 la folie créatrice de Perry dans une entrevue au magazine américain Rolling Stone : “C’est le Salvador Dalí de la musique. C’est un mystère. Le monde est son instrument. (…) Il a non seulement le don d’entendre des sons qui viennent de nulle part mais aussi de traduire ces sons à ses musiciens. ‘Scratch’ est un shaman.”

Crédité de près d’un millier d’enregistrements, Perry a eu une carrière d’une soixantaine d’années. Il a souvent témoigné entendre des voix lui dictant des idées que la plupart de ses collègues auraient jugées délirantes. Pourtant, à l’en croire, il a été dès son enfance un garçon très terre-à-terre.

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Trouver sa voie

Né en 1936 dans le nord de la Jamaïque et la petite ville rurale de Kendal, Rainford Hugh “Lee” Perry grandit dans une famille pauvre et, selon ses dires plus tard, l’école ne joue pas pour lui le rôle de l’ascenseur social. “Je suis allé à l’école… Je n’y ai absolument rien appris. Tout ce que je sais vient de la nature”, affirme-t-il en 1984 chez NME. Après l’école, il végète et attend son heure, joue aux dominos – “pour lire dans l’esprit des autres” –, et conduit même un bulldozer. Mais c’est dans la musique qu’il trouve sa voie, une fois qu’il a quitté sa campagne et rejoint la capitale de la Jamaïque, Kingston. Il écrit ses 1ères chansons, assiste Clement “Coxsone” Dodd, le boss de Studio One, label discographique tout juste créé. À la fois chercheur de talent et compositeur, Perry est initié aux dures mœurs ayant cours dans le music business jamaïcain : spoliation des idées et loi du plus fort.

“Coxsone ne voulait jamais donner sa chance à un gars de la campagne. Impossible. Il a pris mes chansons et les a données à des gens comme Delroy Wilson. Je n’ai obtenu aucun crédit, certainement pas d’argent. Je me suis fait avoir.” C’est pourquoi il part travailler pour la concurrence et le label de Joe Gibbs, Amalgamated Records. Il continue de produire et enregistre ses 1ers singles. L’un, Chicken Scratch, lui offre le surnom qu’il conservera toute sa vie : “Scratch”.

Après un désaccord avec Gibbs, le musicien, alors trentenaire, prend conscience qu’il lui faut être indépendant. En 1968, il fonde son propre label, Upsetter Records, qu’il finance avec le succès du single People Funny Boy. Si la chanson s’attaque à Gibbs, elle se révèle surtout fondatrice par son groove, un des 1ers riddim, et la facilité avec laquelle “Scratch” mixe dans la chanson des cris de bébé. L’année suivante, il obtient son 1er hit pop international avec un instrumental cuivré, le dansant Return of Django qui entre dans les charts anglais. S’entourant d’une formation, the Upsetters, qu’il dirige comme un chef d’orchestre, Perry enchaîne les productions où son sens de l’espace donne plus d’impact à la rythmique et aux autres instruments. “La basse est le cerveau et la batterie le cœur” comme, bien plus tard, il le résume.

Maître du reggae et du dub

Au début des années 1970, Perry prend sous sa coupe Bob Marley et ses Wailers, pas encore devenus des superstars. Ensemble, ils enregistrent des morceaux historiques qui appartiennent au meilleur du reggae comme Small Axe, Duppy Conqueror et Soul Rebel. Cette 1ère collaboration s’achève toutefois sur beaucoup de rancune. De son côté, Perry sort les albums Soul Rebels et Soul Revolution Part II sans en avertir les Wailers. De l’autre, Marley débauche deux lieutenants de Perry, Aston et Carlton Barrett respectivement bassiste et batteur des Upsetters. Sept ans plus tard, les deux fortes têtes du reggae se réconcilieront pour concevoir Punky Reggae Party.

En 1972, Perry construit son repaire, Black Ark, un studio exigu où il s’efforce de repousser les limites de sa musique malgré un matériel rudimentaire. Il ne manque pas d’idées pour épicer ses morceaux : bris de glace, écho et réverbération, bruits d’animaux, voix fantomatiques parfois prises ailleurs – le sampling avant l’heure… Lui qui est très croyant et rasta n’hésite pas non plus à fumer de la marijuana au-dessus de ses bandes magnétiques pour leur donner, selon lui, plus d’âme. C’est à cette période-là qu’il devient un maître du dub, cet art de la console qu’il perfectionne avec l’ingénieur du son King Tubby. La version dub qui se trouve systématiquement en face B des singles devient un territoire d’expérimentation pour réécriture radicale, un espace de liberté pour un artiste dont la vision se retranscrit par des bidouillages de studio illuminés.

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Icône

Durant les années 1970, il enchaîne les chefs d’œuvre que ce soit avec les Upsetters – Blackboard Jungle Dub en 1973, Super Ape en 1976 – ou avec les autres. On le retrouve impliqué dans 4 albums joyaux du reggae militant et spirituel, publiés entre 1976 et 1977 : War Ina Babylon de Max Romeo, Party Time des Heptones, Heart of the Congos des Congos et Police and Thieves de Junior Murvin. Justement, un jeune groupe punk anglais reprend la chanson Police and Thieves et demande à Perry de produire un de ses singles. L’historique rencontre avec Clash débouche sur l’enregistrement à Londres d’une reprise de Pressure Drop, morceau phare de Toots and the Maytals, et d’un single abrasif, Complete Control. Hélas, le mix original de Perry est tombé dans l’oubli – l’ingénieur du son de Clash, Mickey Foote, s’est chargé de remettre les guitares punk en avant. On sait juste que, selon Mick Jones, “son mix donnait l’impression d’avoir été enregistré sous l’eau”

Perry collabore aussi avec Paul et Linda McCartney, ce qui a une conséquence inattendue : quand l’ex-Beatles est arrêté au Japon pour détention de marijuana en 1980 (plus de 200 grammes), l’architecte sonore jamaïcain prend sa défense et envoie une lettre au 1er ministre japonais. Non seulement il vante les qualités médicinales de la ganja, mais surtout trouve que la quantité n’avait rien d’excessif.

En 1983, Perry, toujours aussi fantasque, entretient sa réputation d’excentrique. C’est lui qui met le feu à son studio de Black Ark, convaincu qu’il abrite désormais des démons. Il est sans doute temps pour lui de changer de vie. Après avoir rencontré sa seconde épouse Mireille Rueg en 1989, il s’installe avec elle en Suisse où il réside jusqu’en 2021 avant de faire un retour express en Jamaïque. Entre-temps, il n’a cessé d’être créatif, croisant le chemin de fans aussi illustres que les Beastie Boys (Dr Lee, PhD sur Hello Nasty de 1998), Adrian Sherwood ou Moby. Preuve de l’aura de Perry : il a été ces dernières années mannequin pour Gucci et Supreme. Et c’est l’acteur Benicio del Toro qui a accepté d’être le narrateur du documentaire qui lui a été consacré, The Upsetter : the Life and Music of Lee Perry (2009).