L'élection présidentielle 2022 rejoue le scénario de 2002 en pire
Je vous cause d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, le RPR de Jacques Chirac et le parti socialiste de Lionel Jospin s’étaient partagés plus de 44% des suffrages exprimés au 1er tour de l’élection présidentielle...
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Je vous cause d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, le RPR de Jacques Chirac et le parti socialiste de Lionel Jospin s’étaient partagés plus de 44% des suffrages exprimés au 1er tour de l’élection présidentielle de 1995, et si l’on ajoutait les voix qui s’étaient portées sur Édouard Balladur, l’ami de trente ans, la droite et le centre droit en avaient totalisé plus de 39%. À la suite de la crise de l’automne 1995, la plus grave crise sociale depuis 1968, puis de la malencontreuse dissolution de juin 1997, Lionel Jospin, le battu de l’élection présidentielle devenu Premier ministre, s’était retrouvé en position de favori pour l’élection de 2002.
Mais c’était compter sans deux paramètres nouveaux: d’une part, la division de la gauche plurielle rose-rouge-vert qui avait gagné les législatives de 1997; d’autre part, l’irruption d’une thématique qui allait vampiriser l’élection: la sécurité. À gauche et à l’extrême gauche, donc, c’était le trop plein. Même chez les trotskistes, où la revenante Arlette Laguillier, dont c’était la cinquième candidature, se retrouvait confrontée à deux autres postulants, Daniel Gluckstein, du microscopique Parti des travailleurs, et surtout le jeune facteur de Neuilly Olivier Besancenot, candidat de la LCR. Mais le plus grave pour Lionel Jospin était l’explosion de sa “majorité plurielle“ sous le choc des ambitions. Jean-Pierre Chevènement, qui avait quitté le gouvernement Jospin en 2000 avec pertes et fracas sur la question corse, se présentait désormais en solo sous l’étiquette de son Mouvement des Citoyens, au nom de la République et de la souveraineté française. Christiane Taubira, candidate du Parti Radical de Gauche, était elle aussi candidate, pour instruire “nos fils des merveilles du respect et de la confiance”, avec le soutien du sulfureux Bernard Tapie. Du côté des Verts, on avait choisi en catastrophe un candidat, le député-maire de Bègles Noël Mamère, après le retrait d’Alain Lipietz qui courait droit à l’échec. Mais une autre candidate écologiste avait surgi, l’avocate Corinne Lepage, ancienne ministre du gouvernement Raffarin, et candidate du mouvement Cap 21, qui ne se voulait ni de droite ni de gauche. Sans oublier Robert Hue, le candidat d’un Parti Communiste Français qui refusait de mourir, et qui se cherchait un deuxième souffle avec l’aide inattendue du publicitaire Frédéric Begbeider.
Le leader charismatique à droite, c’est aujourd’hui celle qui dirige le parti de l’extrême droite, Marine Le Pen.
À droite, Jacques Chirac, fort de son magistère présidentiel, avait un peu mieux discipliné son camp, sans toutefois pouvoir empêcher les candidatures dissidentes de son ancien ministre Alain Madelin, président de Démocratie libérale, présenté comme le “candidat anti-Jospin”, de Christine Boutin, la madone des valeurs chrétiennes, fer de lance des opposants au PACS en 1999, du pittoresque Jean Saint-Josse, ancien du RPR devenu le porte-parole du parti Chasse, Nature, Pêche et Tradition, la voix de “la France profonde, la France des terroirs et des beaux accents qui chantent comme le mien”, et surtout de François Bayrou, président de l’UDF, seule grande figure de la droite et du centre droit à avoir refusé de se rallier à la candidature Chirac. Lâché par une bonne partie de ses lieutenants, notamment par le maire de Toulouse Philippe Douste-Blazy, il n’en avait pas moins bravé les chiraquiens lors du rassemblement de l’Union en Mouvement, le 23 février 2002, sur les terres de ce dernier: “Si nous pensons tous la même chose, c’est que nous ne pensons plus rien.”
Résultat des courses: seize candidats au total, record historique, dont au moins six susceptibles de prendre des voix à Lionel Jospin, tandis que le président sortant restait plus stable chez ses électeurs traditionnels. À condition toutefois de juguler la montée en puissance de l’extrême droite, en la personne de Jean-Marie Le Pen, le Menhir du Front national en piste pour sa quatrième candidature, pas vraiment menacé par la candidature de son ancien bras droit, Bruno Mégret, engagé dans la surenchère xénophobe de son Mouvement national républicain. Et comment contrer cette poussée de l’extrême droite sinon en reprenant à son compte les thèmes qui en faisaient la fortune: l’immigration et l’insécurité. C’est ainsi que le président sortant, oubliant quelque peu ses grands principes humanistes ainsi que sa campagne de 1995 sur la “fracture sociale”, avait enfourché sans état d’âme le cheval de bataille sécuritaire. À Mantes-la-Jolie le 4 mars 2002, il dénonçait “une culture de la permissivité et du laxisme” puis à Lille, le 18 avril suivant, il déclarait: “Le gouvernement socialiste a laissé s’aggraver la violence. Je veux donner un coup d’arrêt à l’insécurité.” Prisonnier de sa propre gauche, Lionel Jospin était évidemment désarmé sur ce terrain miné. “La frénésie sécuritaire de ces temps électoraux nous donne à entendre une parole publique rétrécie parce qu’elle a laissé fuir la lucidité et la générosité”, s’époumonait en vain Christiane Taubira. La surmédiatisation de l’agression subie par Paul Voise, un retraité agressé dans son habitation à Orléans, à trois jours du 1er tour de l’élection présidentielle, acheva le travail: Lionel Jospin troisième du second tour, et pour la 1ère fois un candidat de l’extrême droite en ballottage au second tour.
C’était il y presque vingt ans, mais était-ce vraiment un autre monde? La gauche en miettes est incapable de se rassembler autour d’un programme commun. Il y aura en 2022 au moins un candidat socialiste, un communiste, un écologiste, et bien sûr Jean-Luc Mélenchon pour la France insoumise, et ce au meilleur des cas. On peut même redouter que plusieurs socialistes, voire plusieurs Verts, ne tentent leur chance, dans la perspective d’une régénération future, tant les chances de la gauche semblent compromises. Alors que l’ensemble des gauches avaient pesé plus de 42% des voix au 1er tour de 2002, elles dépasseraient à peine les 30% aujourd’hui, à un an des présidentielles, et leur candidat le mieux placé, Jean-Luc Mélenchon, plafonne à 15% des intentions de vote, bien loin des deux favoris Emmanuel Macron et Marine Le Pen. La droite est en manque d’un chef capable de resserrer les rangs, comme avaient pu le faire Jacques Chirac en 2002 ou Nicolas Sarkozy en 2007. Car le leader charismatique à droite, c’est aujourd’hui celle qui dirige le parti de l’extrême droite, Marine Le Pen. Propulsée par les crises à répétition qui n’ont cessé depuis quatre ans de détacher les électeurs de leurs dirigeants et de leurs élus, elle surfe tranquillement sur la vague sécuritaire que les médias s’emploient complaisamment, et parfois insidieusement, il faut bien le dire, à transformer en tsunami électoral.
Alors que l’ensemble des gauches avaient pesé plus de 42% des voix au 1er tour de 2002, elles dépasseraient à peine les 30% aujourd’hui, à un an des présidentielles.
Est-ce si différent de ce qui s’était passé il y a vingt ans pour aboutir au cataclysme du 21 avril 2002?
Oui, ce qui est différent, c’est qu’aujourd’hui la présence de Marine Le Pen ne sera pas vécue comme un cataclysme mais comme une normalité.
Ce qui est différent, c’est que plusieurs voix à gauche ne font plus du barrage républicain leur priorité.
Ce qui est différent, c’est que plusieurs voix à droite reprennent allègrement les antiennes du Rassemblement national, parfois même s’évertuent à les dépasser.
Ce qui est différent, c’est que l’archipel français est aujourd’hui totalement déboussolé.
Faut-il continuer à souffler sur les braises de ce sentiment d’insécurité comme le fait le microcosme politico-médiatique?
Faut-il faire comme si Macron et Le Pen, c’était “bonnet blanc et blanc bonnet”?
Faut-il croire que la solution au “délitement” social réside uniquement dans un sursaut d’autorité?
Faut-il une nouvelle fois partir en quête d’un homme providentiel ou d’une femme providentielle, dont l’état de grâce ne survivra pas à l’été?
Ce sont les questions qui se posent à nouveau à la société française, vingt ans après.
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