“L’Enlèvement” : après les Brigades rouges et la mafia, Marco Bellocchio s’attaque à l’Église

En 1858, L’Émilie-Romagne et sa capitale Bologne font partie des États du Vatican. Une nuit, des soldats du pape viennent prendre Edgardo, 7 ans, l’un des enfants de la famille Mortara qui vit dans le quartier juif de la ville. Edgardo aurait...

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En 1858, L’Émilie-Romagne et sa capitale Bologne font partie des États du Vatican. Une nuit, des soldats du pape viennent prendre Edgardo, 7 ans, l’un des enfants de la famille Mortara qui vit dans le quartier juif de la ville. Edgardo aurait été baptisé en cachette par sa nourrice et le dogme pontifical stipule qu’il doit recevoir une éducation catholique. Impossible d’échapper à cette loi d’airain.

Ainsi commence le nouveau film de Marco Bellocchio, auteur au printemps d’une série télé impressionnante, Esterno notte, qui reconstituait également un événement historique, l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges en 1978. Pourtant, formellement, L’Enlèvement rappelle davantage Vincere, présenté à Cannes en 2009, qui racontait, sur un même mode ample, orchestral, presque opératique, l’histoire de la maîtresse cachée de Mussolini et de leur fils.

Un geste anticlérical

L’Enlèvement va s’attacher à décrire le combat de la famille Mortara, soutenue par les communautés juives d’Europe et certains pays progressistes voisins, pour tenter de récupérer légalement leur enfant. Mais aussi comment l’éducation que reçoit Edgardo va le motiver à devenir prêtre et l’écarter psychologiquement de ses origines. Dans un geste très clairement anticlérical, Bellocchio décrit aussi la perte de pouvoir du Vatican et du pape Pie IX, que l’unification italienne en devenir va mettre à mal. L’affaire Mortara, célèbre en Italie, contribuera à décrédibiliser une Église qui a encore, à l’époque, un grand inquisiteur.

Bellocchio a toujours œuvré pour la liberté

Depuis toujours, Bellocchio insère des visions poétiques ou métaphoriques (qui parfois lui sont inspirées directement par des témoignages). Dans une scène hallucinante, quasiment érotique, Edgardo rêve qu’il s’approche d’une statue du Christ en croix, qu’il lui retire les clous des mains et des pieds, qu’il le “décrucifie” en somme et que Jésus, libéré, descend de sa croix. Rêve de libérer l’homme qui souffre, mais aussi le Juif maltraité, de réconcilier deux religions dont l’une est fille de l’autre, d’en finir avec l’antijudaïsme primaire qui est encore celui de l’Église catholique du XIXe siècle, selon laquelle ce sont les Juifs qui ont tué Jésus.

Comme devant Esterno notte, on est frappé·es par la précision de la reconstitution, par la somme de détails réels qui permettent ensuite à Bellocchio de tisser un récit, de laisser à l’occasion courir son imagination. Par sa liberté. Car s’il filme depuis longtemps l’enfermement, Bellocchio a toujours œuvré pour la liberté. Un très beau film.

L’Enlèvement de Marco Bellocchio, avec Paolo Pierobon, Enea Sala, Leonardo Maltese (It., Fr., All., 2023, 2 h 15). En salle le 1er novembre.