“Les 2 Alfred”: Denis et Bruno Podalydès, biens chers frères

“Mon philosophe personnel” : c’est ainsi qu’Alexandre (Denis Podalydès), le héros des 2 Alfred, présente maladroitement son nouvel ami Arcimboldo (Bruno Podalydès) à sa supérieure Séverine (Sandrine Kiberlain), dans une drôle de scène tombant...

“Les 2 Alfred”: Denis et Bruno Podalydès, biens chers frères

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“Mon philosophe personnel” : c’est ainsi qu’Alexandre (Denis Podalydès), le héros des 2 Alfred, présente maladroitement son nouvel ami Arcimboldo (Bruno Podalydès) à sa supérieure Séverine (Sandrine Kiberlain), dans une drôle de scène tombant vers le tiers du film, qui expose soudainement et avec beaucoup de drôlerie toute la tendre bizarrerie de cette bromance naissante.

Car que sont-ils vraiment l’un pour l’autre, ces deux quinquas ? On ne se l’explique pas vraiment, tant la compagnie qu’ils forment est de pure circonstance : une rencontre hasardeuse à la crèche, prolongée par une succession de coups de main, pour la simple politesse de s’épauler, sans même s’encombrer de la poisse d’une amitié véritablement témoignée – puisqu’aucun des deux personnages ne peut vraiment être qualifié d’esseulé en souffrance.

Non, Alexandre et Arcimboldo ne sont pas tellement deux amis, mais plutôt deux hommes simplement bons et justes, qui prennent soin l’un de l’autre de manière désintéressée. C’est une drôle de chose à voir, mais c’en est une très belle, quand elle prend corps à travers le binôme Podalydès, que nous avons rencontré en décembre pour causer du film, et de cette relation qui les lie.

Il est amusant de constater à quel point la manière dont ils l’ont projetée depuis bientôt trente ans dans leurs œuvres communes (neuf longs-métrages mis en scène par l’un, toujours joués et souvent écrits par les deux) n’est pas de l’ordre du refoulé, mais de l’illustration assumée, terrain de jeu dans lequel ils aiment à se replonger, échangeant des souvenirs et des considérations en oubliant rapidement notre présence. “Généralement, Bruno a toujours été le gentil escroc, le type qui ne vous veut pas de mal mais qui quand même vous pigeonne”, nous explique Denis, qui a coécrit le film, ce qu’il n’avait pas fait depuis Adieu Berthe en 2012. “Et moi, donc j’ai toujours été le pigeon, sympathiquement arnaqué, ou aidé mais par quelqu’un qui n’est pas clair… et avec lequel il se trouve finalement mieux qu’avec tous les autres.”

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Start-up nation

Le vendeur de bateaux de Liberté-Oléron, le gérant du magasin de bricolage de Bancs publics, l’entrepreneur de pompes funèbres d’Adieu Berthe, tous ces personnages des films de Bruno ont, en effet, été joués par lui ; et ceux joués par Denis en ont généralement été les clients, victimes somme toute plutôt consentantes du charlatanisme bon enfant et chaleureux du 1er.

Qu’est-ce qui semble nouveau dans Les 2 Alfred ? Essentiellement que les deux personnages sont à peu près du même côté, donc forcément celui des perdants. Certes, bien sûr, Arcimboldo n’est pas aussi largué qu’Alexandre, avec son côté homme-orchestre itinérant de la start-up nation, multipliant les petits boulots connectés. Mais il reste un rebut dans cette société où il a plutôt appris à survivre gaiement que vraiment tenté de s’intégrer.

“Je n’avais pas envie de rabâcher le fait que ces travailleurs sont exploités, il me semble que les gens le savent très bien”, explique Bruno, qui a plutôt composé ce “philosophe personnel” avec “un goût pour l’optimisme et l’éloge de la ruse, qui vient un peu de mon amour pour Frank Capra.” Au moment où se passe l’action du film, il gère une flotte de drones de livraison, mais on sent bien qu’il fera déjà autre chose six mois plus tard. “J’avais fait une liste de tous les petits boulots qu’il pourrait faire. Il y en avait dont je connaissais l’existence, comme promeneur de chiens. Et il y en a d’autres que j’ai cru avoir inventés, avant de découvrir qu’ils existaient vraiment : messager dans une manif, par exemple, vous saviez qu’on pouvait être payé à porter un panneau ?”

C’est avec beaucoup d’amusement et sans moralisme aucun que Bruno Podalydès regarde la société uberisée dans le film, ce qui est une de ses deux qualités principales. “Je n’avance jamais avec l’idée de message ou de morale. Je suis la logique des personnages et je vois où ça mène. De toute façon, je sais que si je me formalisais sur un sujet, j’aurais le réflexe de le contourner tout de suite.” Fausse piste donc que de le rattacher à une certaine vague récente de boomer movies dénonçant les travers de la société connectée, comme Selfie ou Effacer l’historique où joue également Denis.

Ubérisation

C’est que d’ailleurs cette société n’est pas si nouvelle, et il fallait un Bruno Podalydès pour le montrer : “c’est vrai qu’on entre un peu avec l’ubérisation dans un âge d’or du charlatanisme, mais au fond The Box [la start-up où Alexandre est engagé dans Les 2 Alfred] n’est pas très différente de Bricodream [le magasin de Bancs publics] ou de Définitif [les pompes funèbres d’Adieu Berthe].” C’est l’éternelle histoire du tertiaire, de l’aliénation, et du productivisme caché par le truchement du marketing, qui s’est trouvé avec l’uberisation un visage certes nouveau, mais sans toucher ses lois ancestrales.

Ce monde a toujours passionné Bruno, qui lit des magazines du genre Dynamique entrepreneuriale (“j’adore, c’est le paradis des camemberts et des histogrammes”) et s’amuse beaucoup de l’hallucination collective qu’y suscitent les start-ups : “c’est incroyable, il y en a 40 % qui se cassent la gueule, mais on y croit encore, on s’imagine que ça va créer des emplois dans des marchés pourtant complètement défrichés. Ça excite un goût du challenge hyper ringard.” Ça ne le révolte pas, ça le fait rire (“il faut garder ses colères pour des choses plus graves”), mais ça semble aussi lui donner envie de rappeler à ce nouveau monde à quel point il est vieux. 

“J’ai visité le siège d’une grande multinationale. Il y avait des injonctions sur les murs, genre “sois toi-même”… Et en voyant ça, j’ai pensé à Tintin en Amérique, où Hergé montrait déjà lorsque Tintin arrive dans le siège de la banque des phrases au mur, “Time is money” ou quelque chose du genre. Maintenant c’est des polices sympa et de l’italique, mais ça reste la même propagande productiviste : des injonctions au personnel à plus ou mieux bosser, et culpabiliser s’il n’y arrive pas.”

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Complicité paisible et respectueuse

Et Denis, face à tout ça ? Moins bavard, plus posé que son aîné de deux ans. Par contraste avec lui, qui déroule avec une volubilité tranquille sa panoplie de considérations et d’anecdotes sur le monde qui l’entoure, en bon animal social et chroniqueur de mœurs, le cadet installe une drôle de présence secrètement grave, plongé dans l’introspection ou dans l’observation. Dans une seule et même conversation, et curieusement sans jurer ensemble, l’un a l’air de blaguer à table quand l’autre semble se révèler sur le divan, que ce soit à propos de la société connectée (“je ne suis pas aliéné, je suis dépassé, et j’accepte de l’être. C’est comme quelqu’un qui coule et qui va dire : bon, je coule.”) ou de son quotidien (“ma vie est liée au foyer ; ce que nous faisons là est quasiment rare, périphérique à ma vraie vie”).

Les deux se complètent presque parfaitement, s’aiment et s’admirent d’une façon très tangible et touchante, ne s’interrompant jamais, se couvrant de compliments (“il joue très bien”, “on va le voir avec beaucoup de joie et d’assurance d’être devant un spectacle de qualité”…). Le film est peut-être le 1er à ne plus leur organiser une confrontation comique et théâtrale, un jeu de déguisement comme ils en élaborent depuis leur enfance versaillaise, mais à faire jeu de cette complicité extrêmement paisible et respectueuse qu’ils partagent, sans rien en expliquer, en cherchant seulement à en préserver le naturel, à nu. C’est son autre qualité principale.