“Les 2 Alfred”, plongée absurde dans la start-up nation
Ces dernières années, la comédie française s’est particulièrement nourrie de l’intrication des nouvelles technologies dans nos existences, avec plus ou moins de réussites : le film à sketchs Selfie de Thomas Bidegain et Marc Fitoussi (2020),...
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Ces dernières années, la comédie française s’est particulièrement nourrie de l’intrication des nouvelles technologies dans nos existences, avec plus ou moins de réussites : le film à sketchs Selfie de Thomas Bidegain et Marc Fitoussi (2020), Effacer l’historique du duo Delépine/Kervern déjà avec Denis Podalydès au casting (2020), Le Jeu de Fred Cavayé (2018), Je suis là d’Éric Lartigau (2020) ou encore Yves de Benoît Forgeard (2019).
Comme ce dernier film, Les 2 Alfred s’amuse de cette thématique en la projetant dans un futur immédiat. Le monde que décrit le film de Bruno Podalydès n’est pas encore tout à fait celui d’aujourd’hui, mais il est assurément celui de demain. On y croise des éléments déjà installés dans le quotidien des plus technophiles d’entre nous, telles les montres connectées ; des pratiques qui sont devenus courantes par l’entremise du confinement, comme les conf calls ; et, enfin, ce qui risque fort de faire partie de notre paysage de demain, à l’instar des drones livreurs à tous les coins de rue et des 1ères voitures sans chauffeur.
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Dans ce monde en mise à jour constante tente de surnager un quinquagénaire aux abois (Denis Podalydès). Largué par sa compagne et, de façon générale, par l’époque ; au chômage et devant s’occuper seul de ses deux enfants ; Alexandre est sommé par son banquier de trouver un nouvel emploi coûte que coûte. La rencontre avec Arcimboldo (Bruno Podalydès), qui est son antithèse – tant lui semble avoir plongé jusqu’au cou dans cette nouvelle société ubérisée –, va aider Alexandre à décrocher un travail dans une start-up en consulting qui a la particularité d’interdire à ses employé·es d’avoir des enfants, sous peine d’être viré·es. Tout en faisant des pieds et des mains pour dissimuler sa paternité, il apprend sur le tas et sous l’égide de Séverine, une team leadeuse à la poigne de fer incarnée par Sandrine Kiberlain.
Ensemble, il·elles forment un irrésistible trio au sein duquel s’entrechoquent le mou (le personnage joué par Denis), le dur (Sandrine) et le tendre (Bruno). A la très belle scène de rencontre de fiction entre les deux frères s’ajoutent la complicité qu’Alexandre va finir par nouer avec sa cheffe et le dialogue amoureux qui s’instaure entre cette dernière et Arcimboldo.
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Start-up nationUltra-réussie de bout en bout, cette farce sur l’époque agit, pour qui vit de près ou de loin ces mutations sociétales, comme une catharsis dont l’intelligence réside non pas dans une frontale critique de la modernité (cette comédie est tout sauf un film “de vieux cons” n’ayant pas réussi à prendre le train technologique en marche), mais plutôt dans une extraordinaire capacité à en pointer l’absurdité. Les 2 Alfred fait de la start-up nation vantée par Emmanuel Macron une société ubuesque, “ubuerisée” plutôt qu’ubérisée.
Perceptible à un niveau matériel avec tout un arsenal d’innovations technologiques, le bouleversement de société que décrit le film l’est avant tout par le langage. Les dialogues, écrits et joués avec une précision d’orfèvre, manipulent l’affreuse novlangue managériale avec causticité. L’injonction de ce monde rythmé par des process disruptifs, des codir proactifs et des workshops sur le benchmarking tend vers un idéal libéral d’adaptation darwino-technologique, où les individus doivent toujours produire plus tout en ayant l’interdiction de se reproduire, comme si la finalité de ce combat était, au fond, au terme de l’épuisement, l’extinction.
Cette vision de la reproduction comme rempart à l’absurdité du monde contemporain peut sembler normative, voire conservatrice, mais elle est avant tout le symbole d’une hypocrisie généralisée. Comme dans le conte Les Habits neufs de l’Empereur d’Andersen, l’enfant (en l’occurrence la fille du personnage joué par Kiberlain) est celui qui met fin à la mascarade et révèle une vérité que personne ne voulait voir tout en étant tous·tes conscient·es, à savoir que cette société ne nous convient pas et qu’il serait temps d’arrêter de faire comme si c’était le cas.
Les 2 Alfred de et avec Bruno Podalydès, Denis Podalydès, Sandrine Kiberlain (Fr., 2021, 1 h 32). En salle le 16 juin