Les 5 symptômes de la crise du débat démocratique dans nos sociétés
Ce qui vient de se passer aux États-Unis, avec l’envahissement du Capitole par des partisans de Donald Trump et la fermeture par Twitter ou Facebook des comptes de ce dernier et de nombre d’adeptes de théories conspirationnistes, montre à l’évidence...
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Ce qui vient de se passer aux États-Unis, avec l’envahissement du Capitole par des partisans de Donald Trump et la fermeture par Twitter ou Facebook des comptes de ce dernier et de nombre d’adeptes de théories conspirationnistes, montre à l’évidence que les conditions d’un débat démocratique serein et apaisé sont de moins en moins réunies dans beaucoup de pays développés. Cela ne concerne pas que la politique au sens strict. On le voit aussi sur de très nombreux autres sujets: de la laïcité aux vaccins en passant par l’islam, les rapports hommes-femmes, le changement climatique, le nucléaire, les OGM, les pesticides ou les animaux.
On commence à bien connaître maintenant les différents symptômes de cette crise du débat démocratique:
(1) On prend de moins en moins en compte les arguments avancés par la partie adverse en considérant que celle-ci ne fait que représenter des intérêts, que ce soit de façon intentionnelle (celle-ci est alors accusée d’être simplement un lobby au service de ses intérêts) ou même de façon non intentionnelle (elle est accusée d’être un “idiot utile” à leur service).
(2) On cherche à discréditer d’une manière ou d’une autre cette partie adverse en caricaturant son point de vue, en mettant en exergue des propos, des faits ou des attitudes extrêmes et donc condamnables, en l’affublant d’un terme jugé disqualifiant ou repoussoir (décroissant, néolibéral, démagogue, populiste, ultra, système, raciste, islamo-gauchiste, black bloc, casseur, violent, etc.). Dans un tel contexte, les points de vue modérés et nuancés sont soit ignorés, soit caricaturés. Un défenseur de la laïcité ne peut être qu’un islamophobe et un raciste. Un musulman ne peut être qu’un islamiste, un djihadiste et un terroriste en puissance. Un “blanc” ne peut être qu’un privilégié et un raciste. Un “non-blanc” ou un “racisé” ne peut être qu’un anti-blanc ou un décolonial. Un “babyboomer” ne peut être que responsable de l’état du monde dans lequel on se trouve. Un jeune ne peut être qu’un irresponsable, un utopiste ou un rebelle. Un défenseur du peuple, des catégories populaires ou de la “France périphérique” ne peut être qu’un populiste et un démagogue. Un critique des Gilets jaunes ne peut être qu’un représentant des élites et un pro-Macron. Un défenseur de la science et des technologies ne peut être qu’un scientiste, un défenseur d’intérêts industriels ou un transhumaniste. Un critique de la science et des technologies ne peut être qu’un irrationnel, un complotiste ou un platiste. Un écologiste ne peut être qu’un décroissant, un khmer vert, un collapsologue ou un complice de certains intérêts (distribution bio, industriels des substituts de viande). Un critique de l’écologie ne peut être qu’un lobbyiste et un climatosceptique. On pourrait multiplier les exemples à l’infini.
(3) On a même souvent le réflexe de vouloir exclure du débat la partie adverse en dénonçant ses conflits d’intérêts ou bien son incompétence (exclusion des “non-sachants”). Cela conduit de plus en plus à une judiciarisation des débats qui ne se font plus sur des plateaux de télévision ou dans des arènes publiques, mais dans des tribunaux, soit parce qu’une partie va intenter un procès contre l’autre (notamment parce que la critique des personnes est assimilée à de la diffamation), soit parce qu’elle va choisir volontairement la voie de l’infraction à la loi au nom de la désobéissance civile. Le “débat” sur les OGM en est un bon exemple.
(4) Plus généralement, on tend à raisonner par amalgame en faisant de certaines dérives d’individus ou d’organisations un comportement général et même une attitude de nature systémique. C’est l’accusation de racisme systémique ou de racisme d’État, de violences policières ou de violence d’État, de “privilège blanc”. Il en est de même pour les élites, les jeunes, les bobos, les politiques, les patrons, les migrants, etc. On le voit aussi à propos des entreprises. À l’évidence, il y a eu des dérives de la part de grandes entreprises ou de secteurs d’activité qui ont été révélées, par exemple, par les Tobacco Documents ou les Monsanto Papers (diverses manipulations, stratégie de propagation du doute, surveillance et attaques ad hominem des opposants, astrosurfing, ghostwriting, etc.). Mais faut-il en conclure pour autant que l’ensemble des entreprises de tous les secteurs partout dans le monde agissent de la même manière et que tous les communicants sont des Edward Bernays en puissance?
(5) Enfin, on est le plus souvent dans une logique extrêmement manichéenne. On est soit totalement pour, soit totalement contre. Si l’on est avec une partie dans un débat, on ne peut jamais considérer qu’un argument de la partie adverse soit recevable. On est dans une logique dichotomique du tout ou rien. On est d’accord avec tout ce que pensent et disent nos alliés et on est forcément en désaccord avec toute ce que pensent et disent nos adversaires.
Tout ceci aboutit à une grande déshumanisation. On ne voit plus un individu fait de chair et d’os s’exprimer avec ses émotions, ses convictions, ses contradictions, mais le simple rouage ou instrument d’un système qui défend coûte que coûte ses intérêts. Cela tend à favoriser la violence des critiques, notamment sur les réseaux sociaux, et même quelquefois le passage à l’acte violent contre des individus ainsi “anonymisés”.
On assiste en réalité au triomphe des visions que l’on peut qualifier de “conspirationnisme doux” et de “populisme doux”. Le premier tend à nous inciter à ne pas croire ce qui est dit dans l’espace public; à penser que le pouvoir n’est pas là où on le croit; et en définitive, que rien n’arrive par hasard (le fameux “comme par hasard”) ou par accident, que les événements qui se produisent sont seulement la résultante d’intentions cachées, forcément malveillantes, de groupes d’individus manipulant en secret les détenteurs du pouvoir de sorte à asseoir et à étendre leur domination et leurs intérêts; et par conséquent qu’il y a un ou des lobbies derrière n’importe quelle annonce, décision ou événement. Le “populisme doux” consiste à faire des élites un groupe unifié qui défend les mêmes intérêts et qui a les mêmes convictions; à considérer que ces élites sont arrogantes, cyniques et incompétentes et surtout qu’elles sont responsables de tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés; à estimer qu’il y a une seule cause et donc un seul responsable de nos problèmes (et par conséquent à rechercher un bouc émissaire), et qu’il existe une solution simple basée sur le bon sens pour les régler.
En définitive, c’est le terrible virus du soupçon qui s’est instillé dans l’espace public et qui amène à douter de tout. C’est ce qu’a fait Donald Trump à propos du résultat des élections aux États-Unis. Or, ce virus apparaît particulièrement dangereux et contagieux en conduisant à un relativisme généralisé –à partir du moment où l’on considère que toutes les paroles se valent– et à un nihilisme –on ne peut rien croire. Donald Trump a dit à ce propos en 2018: “ce que vous voyez et lisez n’est pas ce qui se passe”. En clair, vous ne pouvez croire personne, vous ne pouvez croire que moi.
C’est la porte ouverte à la fois à la post-vérité et à la post-démocratie dès lors que les conditions mêmes d’un débat démocratique ne sont plus réunies.
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