“Les Années Super 8”, un journal filmé signé Annie Ernaux

Sous la forme d’un journal filmé, l’écrivaine pose sa voix sur des images de sa vie de famille avec Philippe Ernaux dans le contexte des années 1970. Une occasion, pour l’écrivaine, de jeter un regard critique et politique sur une certaine...

“Les Années Super 8”, un journal filmé signé Annie Ernaux

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Sous la forme d’un journal filmé, l’écrivaine pose sa voix sur des images de sa vie de famille avec Philippe Ernaux dans le contexte des années 1970. Une occasion, pour l’écrivaine, de jeter un regard critique et politique sur une certaine époque.

Il y a un je-ne-sais-quoi de profondément universel dans les films amateurs de famille car, dans le grain de l’image argentique, fourmille quelque chose de notre propre rapport au temps. Les grands maîtres en la matière comme Jonas Mekas (Reminiscences of a Journey to Lithuania ; Lost, Lost, Lost) ou Myron Ort (Home Movies As American Folk Cinema, disponible sur YouTube) avaient déjà bien creusé le filon de la nostalgie. 

Avant Les Années Super 8, il y a eu Les Années, roman que l’écrivaine a publié en 2008 et qui commençait par cette phrase : “Toutes les images disparaîtront.” Elle retraçait ensuite sa jeunesse à travers une série d’images mentales précises, témoins d’un temps qui n’existe plus que dans la mémoire de ceux et celles qui l’ont vécu. Autant de thématiques qui prédisaient déjà un penchant pour le genre du journal filmé.

De l’intime à l’universel

Même si l’on sent qu’Annie Ernaux a parfaitement conscience du potentiel nostalgique des images qu’elle nous partage, elle n’en fait pas pour autant le sujet principal de son film. Car, comme son roman Les Années qui, tout en étant à la 1ère personne, se voulait le récit collectif d’une époque, le film part du singulier – une famille de fonctionnaires dans les années 1970 – pour causer plus largement de tout un pan de l’histoire. Annie Ernaux nous explique par exemple en sous-texte le début de la société de consommation en meublant son récit de différents objets qui révolutionnent le mode de vie bourgeois : la caméra super 8, “objet désirable par excellence”, ou encore le guide du routard, qui lança l’ère touristique. Des figures féminines apparaissent également çà et là dans le récit comme Valentina Terechkova, 1ère femme astronaute, ou encore Ulrike Meinhof, membre de la Fraction armée rouge. Autant de modèles d’émancipation pour cette mère de famille qui se sent en décalage.

Les Années Super 8 soulève aussi la question de ce que l’on souhaite filmer et, donc, de ce que l’on souhaite voir et de ce que l’on souhaite se rappeler. Ainsi, sur les images de l’hôtel à Tanger, “réplique luxueuse d’un village marocain”, elle évoque le personnel de service silencieux et absent des images, mais aussi une plage en Albanie, qui lui évoque les conditions de vie des migrant⸱es. “Nous n’avons rien vu de l’Albanie 1975”, précise-t-elle.

Tout comme l’hôtel de Tanger, les images de famille ne sont en fait qu’une réplique idéalisée d’une société, une fiction familiale où se succèdent en boucle mariages, anniversaires et naissances. Toute la famille est réunie à table, on sourit devant la caméra. Cependant, Annie Ernaux se rappelle qu’une violente dispute avait éclaté ce jour-là, les mots dévoilent ce que l’image ne montre pas. “Si l’on ne filme que l’idée que l’on se fait des jours heureux, c’est bien parce qu’on s’interdit les images des échecs, des séparations, des deuils”, nous disait Olivier Smolders dans le très beau et trop peu connu Mort à Vignole. Car derrière cette mère de famille lisse se cache en réalité un désir violent d’émancipation par l’écriture. Une phrase à propos de son mari – “Je suis en trop dans sa vie” – est suivie par un des rares passages du film sans narration : un taureau de corrida épuisé, qui peine à poursuivre la muleta, comme une mise en spectacle d’une certaine agonie à l’image de celle de l’écrivaine.