Les certificats de complaisance à la piscine, un phénomène inquantifiable?
SÉPARATISME - Un coup d’épée dans l’eau? Le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer et la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa ont annoncé le 11 février dernier le lancement d’une enquête sur la délivrance par des...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
SÉPARATISME - Un coup d’épée dans l’eau? Le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer et la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa ont annoncé le 11 février dernier le lancement d’une enquête sur la délivrance par des médecins de certificats de complaisance dits d’“allergie au chlore” contre-indiquant les cours de natation pour des jeunes filles.
Les deux ministres évoquent la possibilité que ces certificats soient délivrés “au nom de convictions religieuses”. L’enquête a été confiée au Conseil des sages de la laïcité, dans la foulée d’une mission sur la formation des enseignants confiée à Jean-Pierre Obin, ex-inspecteur général de l’Éducation nationale.
Dès le mois d’octobre, Marlène Schiappa évoquait des certificats “dits d’allergie au chlore” recensés dans “des proportions manifestement peu plausibles” dans certains quartiers. Le 21 janvier dernier, devant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi sur le séparatisme, elle évoquant la nécessité “d’une enquête de prévalence”, pointant que “beaucoup d’enseignants, notamment Iannis Roder, membre du conseil des sages de la laïcité, ont indiqué avoir constaté qu’à l’adolescence, de nombreuses jeunes filles devenaient allergiques à cet élément chimique…”
Pas de chiffres donc mais des indices “plausibles” et dans des proportions “de plus en plus importantes”, même si Marlène Schiappa nuançait sur Cnews en reconnaissant qu’on “ne peut pas savoir vraiment à ce stade si ça touche une grande proportion de la population”.
L’objectif de quantifier un “phénomène de complaisance” devrait toutefois s’avérer particulièrement difficile, ces données se situant au carrefour du secret médical et des enjeux d’éducation. D’autant plus s’agissant d’un public qui traverse une période de la vie où l’acceptation de son corps et du regard des autres peut s’avérer terriblement douloureuse.
Les ministres @jmblanquer et @MarleneSchiappa ont annoncé le lancement d’une enquête suite au constat d’une augmentation importante du nombre de certificats de santé destinés à dispenser les jeunes filles de piscine dans les écoles de la #République.pic.twitter.com/0CC0h93grK
— SG-CIPDR (@SG_CIPDR) February 12, 2021
L’Ordre des médecins botte en touche
Pour pouvoir vraiment chiffrer le nombre de certificats médicaux pour allergies au chlore et juger éventuellement de “ses proportions”, la piste médicale relève à première vue plutôt de l’impasse. Contacté par Le HuffPost, le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) estime ne pas être en mesure d’apporter des données chiffrées. “On a appris le lancement de l’étude par voie de presse. On avait été entendu sur la question des certificats de complaisance par le Conseil des Sages de la laïcité assez récemment. Mais pour nous, c’est inquantifiable parce qu’il faudrait pouvoir analyser tous les certificats médicaux. Or nous n’y avons pas accès”, explique le CNOM. Quant à l’Assurance maladie, elle ne voit passer que les certificats médicaux qui donnent lieu à un arrêt maladie de travail.
Gage que ce dossier éminemment politique suscite de la défiance, le Syndicat des médecins généralistes n’a pas souhaité nous répondre, indiquant “ne pas voir ce qu’est un certificat de complaisance”. De son côté, le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) a carrément taxé sur Twitter les déclarations de Jean-Michel Blanquer et Marlène Schiappa “d’islamophobes”.
Contacté par Le HuffPost, le SNJMG dénonce à nouveau une instrumentalisation du féminisme à des fins discriminatoires. “Le gouvernement tente de faire une généralité à partir de faits sporadiques. Le secret médical, qui rend par ailleurs toute quantification problématique, permet de jeter en pâture un soi-disant phénomène, mais aussi des femmes musulmanes ou perçues comme musulmanes”, dénonce le syndicat.
Avant d’ajouter: “On ne dit pas que les certificats de complaisance n’existent pas, mais c’est très loin de n’être que pour des raisons religieuses, ni même que pour des filles. Il faudrait peut-être donner la parole à ces adolescents. Parce que derrière, il peut y avoir des situations de violences entre élèves, ou de harcèlement.”
Il s’agit d’une déclaration raciste, islamophobe, qui vise à pointer du doigt une communauté racisée comme déviante si elle ne se plie pas aux « traditions » soit disant républicaines telles qu'instrumentalisées par nos gouvernants. 2/4
— Syndicat Jeunes MG (@SNJMG) February 13, 2021
En tant que professionnel.le.s de santé, nous continuerons de soutenir tous.tes les usager.e.s pour qu’ielles puissent vivre en bonne santé selon leurs propres choix, et non selon des injonctions racistes. 3/4
— Syndicat Jeunes MG (@SNJMG) February 13, 2021
L’Ordre des médecins rappelle par ailleurs que l’écriture du certificat médical est strictement encadrée et que tout abus peut être puni par la loi: “On invite les établissements scolaires qui auraient des questions ou des doutes sur la justification de certificats à se rapprocher des délégations locales du CNOM”.
Sur les 1000 dossiers passés en revue chaque année dans les chambres disciplinaires de l’Ordre, environ un quart concernent les certificats médicaux. “Ça montre bien qu’un médecin ne peut pas faire n’importe quoi. Mais c’est loin de concerner uniquement des enjeux de complaisance. Cela peut tout à fait concerner des affaires d’assurance ou d’expertise par exemple”, abonde l’Ordre.
Médecins scolaires, de grands absents
Du côté des médecins scolaires, les chiffres ne sont pas pléthoriques non plus. La loi les autorise à effectuer des mesures de vérification concernant des certificats médicaux de trois mois. Le Conseil des sages de la laïcité avait d’ailleurs demandé en mars dernier que ce délai de contrôle soit réduit à un mois.
Mais encore faut-il que les médecins scolaires en aient les moyens. “Cela fait longtemps que les médecins scolaires n’exercent pas ce contrôle, sauf de manière ponctuelle à la demande des professeurs de sport ou du chef d’établissement quand des dispenses semblent abusives”, explique le Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNSMU), qui ajoute ne pas être en mesure de quantifier quoi quoi ce soit.
De fait, la médecine scolaire voit ses effectifs fondre comme neige au soleil. En 2018, la moyenne nationale était d’un médecin pour 12.572 élèves. “De toute façon, depuis le 16 mars 2019, on est mobilisés sur la crise sanitaire, on ne fait rien d’autre”, constate le syndicat.
Dommage. Dès 2003, le rapport Stasi sur “l’application du principe de laïcité dans la République” conseillait “pour mettre fin à ces certificats de complaisance”, de “réserver à la médecine scolaire, ou à défaut, à des médecins agréés par l’État, la possibilité de délivrer les dispenses médicales”.
Enquête du côté des établissements ?
Si la piste médicale ne donne rien, il n’est pas dit que la piste des établissements scolaires soit la plus scientifique non plus. Si Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer ont pu évoquer des remontées directes depuis le terrain, pour les personnels de l’Éducation nationale, il n’y a visiblement pas de consensus autour de la notion “de phénomène en hausse”.
Dans Le Parisien, Benoît Hubert, à la tête du SNEP-FSU, syndicat majoritaire chez les professeurs d’EPS, tranche: “On a toujours eu des enfants qui ne voulaient pas aller à la piscine, mais il n’y a pas d’explosion. Quand c’est le cas, ça n’a rien de religieux et ça ne concerne pas uniquement les filles”. Un avis partagé par Guislaine David, porte-parole du SNUipp-FSU, pour qui “ces déclarations n’ont pour seul but que de faire le buzz et de stigmatiser une population”.
Contacté par Le HuffPost, le SGEN-CFDT, syndicat qui rassemble tous les personnels de l’Éducation nationale, de la maternelle à l’enseignement supérieur, confie ne pas observer de phénomène “d’explosion” et évoque des impressions plus que des chiffres. “Il n’y a pas d’alerte sur ces sujets-là au sein de nos adhérents. Le sentiment qu’on a, c’est plutôt qu’il y a des comportements anciens et qui sont mouvants dans l’espace, au gré entre autres des politiques territoriales. Derrière cette histoire du chlore, il y a aussi des jeunes filles qui n’osent pas se montrer. À l’adolescence, ce n’est pas forcément une question religieuse. En pleine période de fermeture des piscines, je me demande sur quoi ils vont enquêter”, explique Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale des fédérations SGEN-CFDT.
Même la plateforme sur les atteintes à la laïcité lancée par Jean-Michel Blanquer en 2018, ne donne pas plus d’information qualitative sur ces enjeux de certificats. Dévoilant des chiffres en octobre dernier, le ministre avait simplement indiqué que sur les 935 faits répertoriés entre septembre 2019 et mars, 6% concernaient le refus d’activités sportives ou culturelles. L’historienne spécialiste de la laïcité et directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études, Valentine Zuber, contactée par Le HuffPost, met toutefois en garde: “On ne sait pas comment sont traités les signalements, la méthodologie n’est pas explicitée et il y a de la confusion autour des terminologies. Il est aussi très difficile d’avoir accès aux fichiers”.
La boussole des sondages?
Certains sondages ou larges études ont pu tenter d’aborder plus ou moins la question des certificats de complaisance pour la piscine. Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie et contributeur de Les Territoires perdus de la République (Mille et une nuits), secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité et membre du Printemps républicain, a ainsi porté en janvier dernier les résultats d’un sondage réalisé par l’Ifop pour Charlie Hebdo et la fondation Jean Jaurès dont il est le directeur de l’Observatoire de l’éducation. Sollicité par Le HuffPost, il n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.
Dans cette étude, 21% des enseignants assurent avoir déjà vu “des absences de jeunes filles à des cours de natation au nom de convictions religieuses (avec ou sans certificats médicaux)” dans leur établissement actuel, et 22% dans un établissement qui n’est pas celui où ils enseignent actuellement. L’étude a été réalisée via un autoquestionnaire en ligne auprès d’un échantillon de 801 personnes, représentatif des enseignants des 1er et 2e degrés en France métropolitaine du 10 au 17 décembre.
La formulation de la question demeure cependant vague pour quantifier et laisse place à l’interprétation de la personne interrogée: quelle part des élèves disposait d’un certificat? Lesquels ont exprimé uniquement des convictions religieuses?
Dans Le Figaro, Iannis Roder avance à nouveau des chiffres: “Lors d’une formation dans le nord de la France, environ un tiers des 80 personnes présentes faisaient état de soupçons de certificats de complaisance dans leurs établissements”. Il pointait deux indices pouvant éveiller des soupçons: le fait qu’un médecin délivre plusieurs certificats, et si la jeune fille est connue pour avoir un entourage religieux radical.
Des données jamais vraiment chiffrées
Hormis ce sondage de l’Ifop, plusieurs rapports ont mis en garde face à l’existence de ces “certificats de complaisance”, mais rarement en dépassant le stade de l’appréciation empirique. En 2015, déjà, le rapport porté par le sénateur LR Jacques Grosperrin dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale sur le “service public de l’éducation, repères républicains et difficultés des enseignants”, assurait que le cours d’EPS, et particulièrement de natation, faisait systématiquement l’objet de stratégies de contournement. Ces dernières n’étaient pas détaillées mais le rapport notait peu après que cet absentéisme était facilité par “la production, massive dans certains quartiers, de certificats médicaux de complaisance”.
Un cas seulement était expressément décrit: des responsables d’un collège de Besançon racontant que “l’assiduité aux activités physiques et sportives est contournée par la production de certificats de complaisance (50% des filles d’une classe de 6e SEGPA prétendent être allergiques au chlore)”.
Ce rapport de 2015 disait alors s’inscrire dans la lignée de celui rendu 11 ans plus tôt par Jean-Pierre Obin.
Celui qui évoquait en octobre dernier dans Le Parisien les “nouvelles dérives”, ”[des] cours de natation séchés massivement par les filles sous prétexte d’allergie au chlore”, a remis en 2004 un rapport sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Pour sa réalisation, neuf inspecteurs s’étaient rendus dans quelques dizaines d’établissements du secondaire “jugés susceptibles, davantage que d’autres, d’être affectés par des manifestations de la religion”. Concernant le primaire, pas de visite directe mais des notes de synthèse rédigées par l’inspecteur d’académie sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans le premier degré.
Mais là encore pas de chiffres. Le rapport de Jean-Pierre Obin, 37 pages, notait simplement, que dans l’intégralité des établissements visités, des stratégies de contournement des cours de sports étaient mises en place. “L’absentéisme et le refus de certaines activités sont de plus en plus fréquents, notamment en piscine et en plein air (...) Les dispenses se multiplient et l’existence de certificats de complaisance est massive dans certains quartiers. Ces phénomènes explosent dans la période du jeûne”. Une analyse reprise dans son livre paru à l’automne, “Comment l’islamisme a pénétré l’école”.
Une méthodologie qui interrogera forcément
Contacté par Le HuffPost, Iannis Roder n’a pas non plus donné suite à notre demande de précision sur la méthodologie qu’emploiera l’enquête du Conseil des sages de la laïcité. Elle inquiète déjà Valentine Zuber: “Dans le livre de Jean-Pierre Obin, il n’y a aucun chiffre, rien d’exploitable. Il faudrait faire une enquête qualitative, mais elle ne peut pas se faire avec des a priori aussi forts. Là, on est dans du politique, et on va forcément trouver ce qu’on cherche”.
Le doyen honoraire de l’Inspection générale, Dominique Borne, a déjà prévenu de son côté à propos du rapport Obin dans Le Monde: “Ce rapport n’était pas un bon travail. Il tirait des conclusions générales d’une soixantaine de cas particuliers, ce qui est très peu. Pourtant, l’Inspection générale sait réaliser des enquêtes avec des outils statistiques. Si on veut réfléchir aux remèdes, il faut une vision scientifique de la situation”. Dont acte en 2021? Marlène Schiappa s’est engagée à rendre publics les résultats de l’enquête.
À voir également sur Le HuffPost: Ce nageur improvise une brasse en plein Paris après l’orage