Les dépressions que j’ai traversées m’ont construit - BLOG

DÉPRESSION —Huit. Huit dépressions en trente ans, soit la moitié de ma vie. Des remontées vers la lumière, lentes et appliquées, pas question de rechuter. Entre deux épisodes de mélancolie, le terme médical pour désigner la bête, je redeviens...

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Comme deux dépressions ne se ressemblent pas, il est vain de donner des conseils. Chacun doit trouver sa voie selon ses goûts, ses envies. Que ce soit un groupe de paroles, de la peinture sur verre, ou simplement courir, tout est bon pour terrasser l’ennui de cette maladie insidieuse qui s’empare de vous et vous rend si triste, presque inutile aux yeux du monde.

DÉPRESSION —Huit. Huit dépressions en trente ans, soit la moitié de ma vie. Des remontées vers la lumière, lentes et appliquées, pas question de rechuter. Entre deux épisodes de mélancolie, le terme médical pour désigner la bête, je redeviens “normal”. Je voyage, j’écris, j’aime. Je suis vivant. Depuis quatre ans, l’épée de Damoclès est toujours là, mais je n’y pense pas tous les jours. J’ai cessé de prendre des médicaments aujourd’hui, en dehors du lithium que j’avalerais, chaque soir, avant de m’endormir, jusqu’à la fin de mes jours, machinalement, comme un bonbon à la menthe. J’ai connu les hôpitaux et les cliniques psychiatriques, de longs séjours après des tentatives de survie, comme je les appelle. C’est d’ailleurs un médecin qui me dira: “Vous savez, avec ce que vous avez avalé, un autre y serait resté. Certains cœurs lâchent pour trois fois rien.” Certes, mais pas le mien.

Fragile et suffisamment fort

Je suis fragile et finalement suffisamment fort pour m’en être sorti huit fois. Grâce aux patients que j’ai croisés dans les institutions psychiatriques, des êtres doux, bienveillants, parfois plus humains que ceux qu’on fréquente au-delà des hauts murs. Ils ont su, pour certains, trouver les mots pour me faire remonter la pente. Grâce aux médicaments, antidépresseurs, anxiolytiques et somnifères. Des béquilles utiles, qu’il faut bien abandonner à un moment donné quand on se sent vraiment mieux, avec l’aval du psychiatre.

Grâce à mes proches, même si parfois, ils ont eu des paroles maladroites: “Tu as tout pour toi”, ou “Mais tu n’as pas le cancer quand même!”. Je leur pardonne, ils sont si impuissants, sentinelles vacillantes qui, au fond, donnent ce qu’ils peuvent. Grâce aux médecins, psychologues, psychanalystes, psychiatres, afin de délivrer les mots, le mal être, et, suprême élégance, ne pas avoir à la faire avec mon mari. Grâce au sport et à ses endorphines qui me rappellent des moments d’écriture, d’exaltation, de cœur qui bat la chamade. Parmi les exercices sportifs, le gainage est primordial. Il vous oblige à tenir sur les coudes, la pointe des pieds relevés, le corps tendu. Mais le gainage peut être mental, notamment lors de ces remontées vers les belles couleurs de la vie.

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Tenir et s’occuper

Il faut tenir, ne pas s’écouter sans cesse. Le cheminement de pensée d’un dépressif n’est pas toujours cohérent. J’ai dressé des citadelles autour de moi, occupant toutes mes fins d’après-midi, entre dialogues avec les médecins et coaching sportif. L’essentiel est de faire. Comme deux dépressions ne se ressemblent pas, il est vain de donner des conseils. Chacun doit trouver sa voie selon ses goûts, ses envies. Que ce soit un groupe de paroles, de la peinture sur verre, ou simplement courir, tout est bon pour terrasser l’ennui de cette maladie insidieuse qui s’empare de vous et vous rend si triste, presque inutile aux yeux du monde. De toute façon, une fois qu’on a touché le fond, qu’on s’est prélassé un instant à fixer le ciel forcément gris, il ne reste plus qu’à donner un coup de talon pour remonter à la surface. Ce que j’ai fait. C’est un début. Il ne faut pas croire que ça suffit. Car si le temps file à vive allure pour une personne en bonne santé, il n’en est rien pour le dépressif.

J’ai tant regardé ma montre que je n’en porte plus aujourd’hui. Une journée passe si lentement qu’elle semble contenir soixante-douze heures. Le gainage, le gainage. Je ne sortais plus le soir, pas question de retrouver ma bande d’amis fidèles et d’avaler une bière ou deux. Un régime m’a occupé l’esprit. Entre le lithium et l’antidépresseur que je prenais, tous deux ouvrent l’appétit. Vingt kilos quand même. On ne s’apprécie guère en dépressif. On se dévalue. J’avais pris l’habitude dans les hôpitaux de boire des litres d’eau pour évacuer les toxines des médicaments. Pas une goutte d’alcool, je suis un bon petit soldat qui suit scrupuleusement les conseils des médecins.

L’équilibre dans le travail

Si la remontée s’apparente à un remonte-pente au sport d’hiver, qui aurait envie de lâcher la perche en cours de route? Je n’ai pas perdu mon travail, en fait, j’en ai deux. Je suis écrivain et attaché de presse dans l’édition. Le premier peut s’apparenter à une mise en lumière, le second exige l’ombre des régies et des plateaux de télévision. Ces deux occupations m’équilibrent. Je commence à bien gagner ma vie en tant qu’écrivain. Peut-être avez-vous entendu parler de mon second roman Autobiographie d’une Courgette, adapté en film d’animation en 2016? Ce film a remporté deux César, a été nominé aux Oscars, tandis que le livre s’est traduit dans une vingtaine de pays. Une gloire somme toute éphémère, comme toutes les réussites. Mais un vrai conte de fées qui, pourtant, ne m’a pas empêché de plonger une dernière fois. Ne cherchez pas la raison, elle est multiple. Je sais en partie ce qui m’a fait tomber autant de fois, la violence de mon père, verbale et physique, mes excès, le bélier en moi qui ne cesse de ruer.

Mais je sais aussi, et c’est le plus important, qu’on s’en sort, différent, plus humain, à l’écoute de l’autre, empathique. Je me suis tout pardonné à moi-même pour commencer. Puis j’ai distribué mon pardon comme à une remise de prix. Je me suis senti soulagé, vidé, avec ce sentiment contradictoire de tout avoir bien fait. Le principal est de le penser, d’y croire. Ma vérité, pas celle des autres. Si le bonheur est fugace, je peux écrire que je suis un homme heureux aujourd’hui. Je me réveille en joie à l’idée de commencer une nouvelle journée, malgré le contexte de la pandémie qui n’a rien de réjouissant. Je cherche parmi vous les Vivants avec un V majuscule. Les rescapés comme moi qui ont beaucoup d’amour à donner. J’ai un cœur énorme. Et je le sais à cause de ces huit dépressions: ce ne sont pas les épreuves qui comptent, mais ce qu’on en fait. 

strongGilles Paris - iCertains coeurs lâchent pour trois fois rien/i - Ed. Flammarion/strong

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