Les docu-réalité sur l'obésité posent problème, elles nous disent pourquoi

TÉLÉVISION - “Avant j’étais gros”, “Maigrir à tout prix”, “Mon combat contre les kilos”, ... Depuis maintenant une dizaine d’années, les émissions de télé-réalité autour de l’obésité poussent comme des champignons dans le paysage audiovisuel...

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Malgré la pétition,

TÉLÉVISION - “Avant j’étais gros”, “Maigrir à tout prix”, “Mon combat contre les kilos”, ... Depuis maintenant une dizaine d’années, les émissions de télé-réalité autour de l’obésité poussent comme des champignons dans le paysage audiovisuel français. Il faut désormais compter sur “Opération Renaissance”, le nouveau programme de Karine Le Marchand.

Le premier épisode, que Le HuffPost a pu visionner en avant-première, est diffusé ce lundi 11 janvier à 21 heures sur M6. Il suit le récit de deux jeunes femmes, les dénommées Elody et Stacy, décidées à subir une chirurgie bariatrique. Pendant trois ans, les caméras et l’animatrice de “L’Amour est dans le pré” les ont filmées à différentes étapes de leur parcours: avant, après et même pendant leur opération. Toutes les deux se disent très satisfaites du programme.

Même si le pitch a un air de déjà-vu, l’instigatrice estime, elle, que c’est “du jamais vu à la télévision de suivre des personnes dans leur réalité pendant trois ans et de parler de l’origine de leur obésité”. Contactée par Le HuffPost, Karine Le Marchand pense qu’il ne faut “pas mélanger les émissions dont l’objectif est de perdre du poids et d’autres qui parlent de la réalité des personnes malades”.

“Pour pointer du doigt ce qui n’existe pas dans la prise en charge des personnes obèses [après une opération bariatrique, NDLR], nous avons mis à disposition des témoins un accompagnent inédit”, composé de médecins, chirurgiens, thérapeutes et diététiciens sur toute la durée du tournage, précise-t-elle.

Une chirurgie complexe aux frais du patient

Le concept est prometteur. Il a en tout cas intrigué Jennifer, une Lyonnaise de 28 ans. Cette dernière a elle-même subi une opération de réduction de l’estomac, il y a deux ans. Jennifer, qui comme l’ensemble de nos interlocuteurs n’a pas encore regardé “Opération Renaissance, n’est pas coutumière de ces docu-réalité, mais en regarde parfois par curiosité “pour voir comment le sujet est abordé”. “Je trouve ça intéressant quand on nous présente la totalité du parcours de la personne, si elle a été suivie et comment. Si c’est pour montrer autre chose que des patients qu’on voit entrer puis sortir de l’hôpital dans la séquence d’après, ça peut être bénéfique”, concède-t-elle.

Le problème, d’après elle, c’est ce que c’est rarement le cas. ”Ça laisse croire aux gens que subir une telle opération, c’est passer par la facilité, qu’en deux jours t’en es remis et puis salut. Ça n’est pas ça”, déplore Jennifer. Une telle chirurgie est complexe et ne se résout pas un coup de bistouri. Elle nécessite une série de tests épuisants avant et plusieurs années de suivi médical et psychologique après. Et ce, aux frais du patient. 

Comme elle, Auréline pense que le format de la télé-réalité ne s’y prête pas. “Dans le parcours des personnes grosses, il y a souvent des histoires violentes, liées à des traumatismes, constate la jeune femme. Ce sont des choses qu’on ne peut pas révéler devant des millions de téléspectateurs. Soit on ne dit pas tout et, donc, le travail ne peut pas se faire. Soit on expose des choses tellement intimes qu’on se met en danger.”

“C’est complètement déshumanisant”

Aujourd’hui âgée de 25 ans, elle a tiré un trait sur ces émissions qu’il lui arrivait parfois de regarder très tard le soir quand elle était ado. Les images lui sont restées. “On les voyait passer sur le billard. Les caméras zoomaient sur le gras. Des bocaux étaient exposés. C’était complètement déshumanisant et hyper violent”, se souvient-elle.

“Ces émissions sont violentes, insiste-t-elle. On envoie des personnes grosses, qui parfois ne pratiquent pas d’activité physique régulière, sur des marches forcées sur plusieurs dizaines de kilomètres avec des poids dans les bras pour leur faire perdre du poids et suer. C’est dur à voir”, dénonce cette dernière.

Auréline se souvient être tombée sur l’annonce du casting de l’émission de Karine Le Marchand, il y a plusieurs années, sur l’un des forums de discussion à destination des personnes grosses qu’elle fréquentait. Le message disait chercher des personnes prêtes ”à remodeler leur corps pour changer de vie”. Elle nous explique avoir réfléchi. “Est-ce que je le fais? Qu’est-ce que ça peut m’apporter?”

La porte ouverte aux remarques extérieures

La question de subir une chirurgie de l’obésité lui a déjà été posée. Ça n’est jamais venu d’elle-même, mais des autres. “On m’en a parlé trois fois. Les trois fois, j’étais en situation de vulnérabilité, dont deux fois de la part d’un médecin quand j’étais mineure”, se rappelle-t-elle. Les chirurgies bariatriques sont normalement proposées à des patients adultes en obésité sévère dont l’IMC est supérieur à 35 kg/m² et présentant au moins une autre maladie. Ça n’a jamais été le cas d’Auréline.

Même si la jeune femme s’est refusée à participer à “Opération Renaissance”, elle a peur de l’impact que va avoir cette émission sur elle, comme sur le reste des personnes grosses. “Ce genre de programme encourage les remarques extérieures. À force de présenter la chirurgie bariatrique comme une solution à tout, les gens vont se sentir libres d’en parler aux personnes grosses de leur entourage”, craint-elle.

Des complications post-opératoires peuvent conduire à la mort dans les 90 jours qui suivent l’intervention. Plusieurs années après, aussi. Comme le souligne Le Monde, une étude scientifique parue en 2016 montre une augmentation des comportements “autodestructeurs” à la suite d’une chirurgie bariatrique. “Parmi eux, 50% de risques de suicide supplémentaires après l’intervention”, observe le quotidien.

Karine Le Marchand estime ne pas avoir éludé la dangerosité de ce type d’intervention. “Comme 20% des personnes ayant subi un bypass gastrique, on voit, au cours des épisodes, qu’un des dix témoins sombre dans l’alcoolisme, explique la présentatrice. On raconte également la dépression de quatre de nos témoins.” Ces pans de la réalité n’apparaissent pas dans le premier épisode.

“De la fausse gentillesse”

Pour Anouch, 38 ans, ces émissions n’ont aucune valeur informative. Elles poussent au voyeurisme, nous dit la militante. Cette dernière est membre de Gras Politique. L’association, fondée en 2016 pour lutter contre la grossophobie, a lancé une pétition en 2017 pour empêcher la diffusion du docu-réalité de M6. Une tribune a été publiée par le collectif sur Mediapart pour alerter sur le sujet, ce vendredi 8 janvier. “Ces programmes ne sont pas faits pour les personnes grosses, mais pour les personnes minces, constate-t-elle. On leur montre qu’il y a ‘pire’ qu’eux.”

L’impact de l’obésité sur la santé est souvent au cœur de ces émissions. “C’est de la fausse gentillesse, observe Anouch. Si les gens veulent vraiment s’intéresser à la santé des personnes grosses, ils ont tout le loisir de travailler à un meilleur accès aux soins de celles-ci.”

Comme elle le souligne, le parcours médical des personnes obèses est semé d’obstacles. Remarques, mauvais diagnostiques, gestes brutaux. De nombreux témoignages, comme ceux récoltés par Franceinfoici, ont montré par le passé que les comportements du corps médical à l’égard des personnes grosses ont poussé nombre d’entre elles à ne plus consulter. Un phénomène notamment abordé par Gabrielle Deydier dans son best-seller On ne naît pas grosse, paru en 2017.

Une mauvaise représentation

Ce que déplore également Anouch, c’est la manière dont sont représentées les personnes grosses dans ces émissions, c’est-à-dire comme des individus voulant maigrir pour changer de vie. “C’est le stéréotype véhiculé dans les médias”, ajoute-t-elle. 

Un constat partagé par Fabien, 36 ans. Mannequin “grande taille” pour plusieurs marques de prêt-à-porter, il nous dit mesurer 1m82 et peser 132 kilos, mais “très bien le vivre”. “Que tu sois gros, ce n’est pas grave si tu n’as pas de problème de santé”, concède ce dernier, bien dans ses baskets. Comme nos interlocutrices précédentes, celui-ci comprend qu’on puisse vouloir perdre du poids pour se conformer aux codes la société. Cependant, ces émissions alimentent, selon lui, notre obsession de la minceur. “Pourquoi la norme, ça ne serait pas nous?” s’interroge-t-il.

“La question de l’obésité, ce n’est pas que vouloir maigrir et changer de vie, ajoute Margot. C’est plus compliqué que ce que nous montrent ces émissions.” La jeune femme de 28 ans nous dit avoir involontairement évité toute sa vie tous ces docu-réalité sur l’obésité. Les passages sur lesquels elle a pu tomber au moment de zapper lui ont bien suffi.

S’aimer ne suffit pas

Contrairement à ce format, celui du documentaire lui semble plus approprié pour parler d’obésité. Celui qu’a réalisé Gabrielle Deydier, aux côtés de Laurent Follea et Valentine Oberti, pour Arte en 2020 l’a beaucoup marquée. “C’est une personne obèse qui parle d’obésité. Elle sait de quoi elle parle”, indique Margot.

Son histoire, celle d’une femme qui au cours de son adolescence est devenue obèse à cause d’un mauvais diagnostique médical, “n’est pas cliché”, ajoute la juriste. Gabrielle Deydier assume son corps. Ce qui ne l’empêche pas d’être confrontée aux discriminations.

En parallèle de l’émission “Opération Renaissance”, Karine Le Marchand commercialise un livre intitulé 15 étapes pour apprendre à s’aimer. Mis à disposition des témoins, il les a beaucoup aidés, nous dit-elle. Elle a donc décidé de “le réadapter pour toutes les personnes qui ne s’aiment pas, qui n’ont pas forcément des problèmes de poids”. “C’est très bien de s’aimer au niveau individuel, estime Anouch, mais ça ne va pas nous donner une meilleure prise en charge médicale ou un meilleur accès aux emplois.”

Margot, qui a par exemple été amenée à changer de gynécologue après des remarques insistantes sur son poids, est de cet avis. Le documentaire “On achève bien les gros”, dans lequel elle s’est identifiée, ne montre pas un avant, ni un après. Il ne dit pas non plus que la vie d’une personne obèse est facile, certes. Il fait le portrait d’une femme, qu’aucun docu-réalité n’a semble-t-il encore pris la peine de dresser.

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