Les mélodrames allemands de Douglas Sirk sont à l’honneur dans une nouvelle rétrospective

Drôle de paradoxe. On n’exhibe et ne célèbre souvent qu’une facette de l’œuvre de Douglas Sirk, les fameux et sublimes mélodrames américains tournés sous l’égide d’Universal dans les années 1950 (Mirage de la vie, Tout ce que le ciel permet),...

Les mélodrames allemands de Douglas Sirk sont à l’honneur dans une nouvelle rétrospective

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Drôle de paradoxe. On n’exhibe et ne célèbre souvent qu’une facette de l’œuvre de Douglas Sirk, les fameux et sublimes mélodrames américains tournés sous l’égide d’Universal dans les années 1950 (Mirage de la vie, Tout ce que le ciel permet), quitte à détourner le regard trop systématiquement sur plusieurs fragments importants de sa filmographie. Si cette décennie des fifties marque le sommet de l’art sirkien et l’érige comme l’un des plus grands cinéastes hollywoodiens, une étude plus approfondie de sa filmographie permet d’en révéler bien nombre de mystères et de découvrir une œuvre beaucoup plus versatile qu’elle ne pourrait paraître.

Alors que l’intégralité de l’œuvre du cinéaste américain est actuellement programmée à la Cinémathèque française à l’occasion d’une précieuse rétrospective, le distributeur Capricci a eu la bonne idée de doubler l’hommage en ressortant dès ce mercredi les films dits de la période “des mélodrames allemands” en version restaurée. L’occasion de mettre en lumière un visage plus secret de l’œuvre de Sirk, qui pose les sédiments de son génie à venir.

De la comédie au mélodrame

Car avant Douglas Sirk, il y a Detlef Sierck. Né à Hambourg le 26 avril 1897, le jeune Sierck s’intéresse d’abord à des études de droit avant de s’orienter vers la philosophie puis l’histoire de l’art. Pour financer ses études, il devient journaliste puis assistant dramaturge au théâtre de Hambourg. C’est véritablement en 1923 qu’il fait du théâtre sa profession, qui le mènera progressivement au début des années 1930 vers le cinéma. La UFA (à l’époque, l’une des sociétés de production les plus importantes en Allemagne) le prend sous contrat en 1934 et lui commande trois courts métrages : Zwei Genies, Dreimal Ehe, Der eingebildete Kranke dont le dernier est une adaptation du Malade imaginaire de Molière.

Et avant le mélo, Sirk semblait particulièrement attaché à la comédie. Une filiation qui ne quittera jamais totalement son œuvre : de la comédie Accord Final (1938), tournée en France, à celles américaines comme The Lady Pays Off (1951), Week-End with Father (1951) et No room for the Groom (1952). Et même dans ses mélos les plus tragiques, il y a toujours une percée comique – même la plus fugace.

En 1935, il tourne son 1er long métrage April, April !, une comédie burlesque dont il gardera un mauvais souvenir. Cette même année, près de Hambourg, il réalise La Fille des marais, 1er grand mélodrame déjà marqué par des individu·es écartelé·es entre bonheur et mélancolie, et devant faire face à un dilemme. Maîtrisant déjà avec une grande assurance la grammaire cinématographique, le jeune Sierck signe une partition traversée par l’influence ascétique du cinéaste danois Carl Theodor Dreyer, mais qui s’autorise l’écriture d’images plus maniéristes (un caillou jeté dans l’eau déformant l’image, un éblouissant panoramique circulaire à 360°). Déjà d’une cohérence remarquable, on retrouve les 1ères inclinaisons thématiques de son œuvre à venir et, notamment, cette mise en opposition entre l’authenticité de la campagne et l’hypocrisie de la ville qui sera le cœur battant du chef d’œuvre Tout ce que le ciel permet (1955). Il retourne à la comédie en 1936 avec Du même titre, un film pétillant et mélancolique à la fantaisie lubitschienne, qui confirme un peu plus sa maîtrise de genres hétérogènes.

Des motifs déjà fétiches

Toujours à un rythme stakhanoviste, il réalise en 1937 les deux films les plus importants de sa période allemande : Paramatta, bagne de femmes et La Habanera. Deux films tournés hors du sol allemand – comme pour trouver un nouvel air à la peur montante du nazisme – avec la comédienne Zarah Leander qu’il va ériger comme star. Le cinéaste confirme ici aussi bien son aisance et élégance formelle, en privilégiant de plus en plus des mouvements de caméra amples et expressifs (le long plan séquence liminaire de La Habanera, la musique de plus en plus centrale), qu’il poursuit l’étude de ses motifs fétiches : la superficialité de la haute société et l’amour fou d’une femme face à l’incertitude d’un homme, qui fondent les prémisses des personnages interprétés par Fred MacMurray dans Demain est un autre jour ou Robert Stack dans La Ronde de l’aube et Écrit sur du vent.

Sans atteindre le génie de sa grande période des mélodrames d’Universal, Sierck impressionne par sa maîtrise de la caméra, son acuité psychologique (aucun personnage n’est sacrifié), l’expression des sentiments et désirs et, déjà, la grande modernité des personnages féminins. Mais, alors que la situation politique et sociale devient trop étouffante, Sierck (qui est marié à une jeune femme juive, de gauche) fuit l’Allemagne nazie pour les États-Unis. Detlef Sierck meurt, Douglas Sirk naît.

Douglas Sirk – Les mélodrames allemands (7 films en versions restaurées inédites, Capricci)

April, April !, La Fille des marais, Les piliers de la société, La Neuvième symphonie, Du même titre, La Habanera et Paramatta, bagne de femmes.