Les Psychotic Monks à la Gaîté Lyrique, récit d’un concert éminemment politique 

La pénombre engloutit encore la scène de la Gaîté Lyrique. Un peu fébrile à l’idée de causer, Artie s’avance face à nous, tandis que de timides lumières percent à peine l’obscurité de la salle. “Merci d’être là […] Il se passe pas mal de choses...

Les Psychotic Monks à la Gaîté Lyrique, récit d’un concert éminemment politique 

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

La pénombre engloutit encore la scène de la Gaîté Lyrique. Un peu fébrile à l’idée de causer, Artie s’avance face à nous, tandis que de timides lumières percent à peine l’obscurité de la salle. “Merci d’être là […] Il se passe pas mal de choses en ce moment”, amorce-t-elle avec pudeur, micro en mains, ses compères de part et d’autre. Un euphémisme convenu qu’elle ne tarde pas à balayer, faisant état d’une “période de montée des violences, de la haine, des régimes totalitaires et fascistes un peu partout dans le monde”. Cette date parisienne du 10 janvier, les Psychotic Monks la dédient ainsi au peuple palestinien. Question de responsabilité : il y a “urgence” à Gaza.

Hamza Abuhamdia, artiste palestinien, est là pour en témoigner, lui dont les parents militent au sein de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine). Il prend aussi la parole, se réfugiant derrière un humour cynique qui ne saurait voiler l’entaille. Et en profite, une fois lancé, pour brocarder l’hypocrisie des Européen·nes, la misogynie et l’homophobie latentes qui persistent encore en France, les élans colonialistes d’hier et d’aujourd’hui. Rires déconcertés et applaudissements retentissent. À ses côtés se tiennent également des membres de l’association Voix d’Ezidis – venant en aide à la communauté yézidie, victime à partir de 2014 d’exactions commises par l’État islamique au nord de l’Irak, et dont le calvaire se poursuit aujourd’hui –, à qui tous les bénéfices du merchandising seront reversés, en plus d’un euro sur chaque billet vendu.

Convergence des luttes

“Il me semble que la musique a toujours été un espace de lutte et de contre-pouvoir et ce qu’on essaie de faire avec ce groupe, humblement et à notre échelle, c’est d’assumer cela”, poursuit ensuite Artie, ses mots entrecoupés d’acclamations. L’essence du spectacle vivant étant “éminemment politique”, dit-elle, l’art se laisse forcément transcender par les enjeux de l’époque. C’est pourquoi le groupe s’attèle à faire de ses concerts “des espaces de lâcher prise, de soin, de réparation mais aussi de convergence des luttes, de partage, d’échanges, […] des espaces d’empouvoirement face à la société que nous traversons”. Car les représentations comptent. Les discours qui s’y déploient comptent. 

À ce titre, la scène a vu la musicienne affirmer sa transition de genre, un an auparavant, y récoltant un soutien indéfectible du public comme de l’équipe qui l’entoure. Ce soir, Artie dit espérer rendre “ne serait-ce qu’une partie du soutien et de l’amour” qu’elle reçoit. Avant de ponctuer ses remerciements émus du constat suivant : “Les femmes, et surtout trans, sont malheureusement encore trop peu, voire pas présentes sur scène.” Constat en passe d’être renversé, on l’espère, à l’aune d’une scène indépendante plurielle et prolifique. Son discours terminé, on hurle “À bas l’État !” deux rangées plus loin. Le concert peut commencer. 

Dialogue(s)

Les quatre musicien·nes se déploient face à nous et font résonner les 1ers tintements bruitistes du set – façon d’entrer en matière avant de laisser surgir l’explosif All That Fall. Martin y joue à la guitare, Paul s’affaire derrière son synthétiseur, Artie y chante avant que le relais ne soit pris par Clément, lequel joue en même temps à la batterie. Des rôles qu’iels s’échangent volontiers tout au long du concert, dans une volonté d’affranchissement des postures et des genres. Au même titre que le groupe refuse d’étiqueter sa musique – il préfère “laisser les gens [la] définir”, glissait-il dans nos colonnes –, tous·tes prennent le micro, teintant chaque morceau de différentes couleurs vocales et de leurs propres sensibilités musicales. 

En une heure de live, la Gaîté a revêtu plusieurs visages : de dancefloor noise avec Crash – émaillé du chant frénétique de Paul, yeux fermés et veine jugulaire saillante – à sanctuaire contemplatif avec le superbe Imagerie, laissant à Clément le loisir de poser, avec une certaine délicatesse, sa voix sur des textures pourtant rugueuses. Dans le public, on s’élance volontiers dans ce chemin tortueux vers une forme de transe, portés par le dialogue des instruments. 

“Réparation”

L’apogée du concert réside sûrement dans Décors, morceau de huit minutes fait de progressions, pulsions vocales délivrées par Clément puis Martin, trompette aux envolées particulièrement grisantes. Un alliage musical sur lequel la foule remue  – certain·es dansent les yeux clos, d’autres n’agitent que la tête, d’autres encore s’embrassent avec passion. Images d’une expérience collective “de réparation”, comme le groupe le disait si bien à l’ouverture, empreinte d’une douceur inédite.

Une incursion de Martin dans le public plus tard, le set touche à sa fin au terme d’un moment en suspens, au plus proche du musicien. Lequel brandit le micro, une fois l’ultime chanson achevée, encore sonné par l’intensité du moment. “Vous l’aviez compris, c’était une soirée un peu particulière”, s’étrangle-t-il, les larmes aux yeux. Artie, elle, dégaine une pancarte où d’épaisses lettres noires disent “CEASEFIRE IN GAZA / STOP THE GENOCIDE / FREEDOM FOR PALESTINE”.

Louant une année 2023 riche en concerts – pas moins de 90 –, Martin promet que le groupe compte bien poursuivre sur cette lancée. Et assène un dernier coup de boutoir bienvenu : “Si on continue comme ça, on va y arriver. On va y arriver à lui faire faire des cauchemars à notre nouveau Premier ministre !”