“Les Rendez-vous du samedi” : les Gilets jaunes comme vous ne les avez jamais vus
Étrangement, celle qui fut la plus longue contestation sociale de le Ve République en même temps que l’événement politique le plus saillant de ce début de siècle, n’a su trouver un écho à sa juste valeur dans le paysage cinématographique français....
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Étrangement, celle qui fut la plus longue contestation sociale de le Ve République en même temps que l’événement politique le plus saillant de ce début de siècle, n’a su trouver un écho à sa juste valeur dans le paysage cinématographique français. Pourtant, très vite, quasiment en simultané de l’irruption du mouvement des Gilets jaunes (chose rare pour le cinéma dont la lourdeur de l’industrie la maintient toujours en décalage du présent), jaillissait J’veux du soleil, documentaire de François Ruffin et Gilles Perret qui, sur un mode de captation plus proche de la télévision que du cinéma, fixait les 1ères pulsations du mouvement.
Trois ans après, pas grand-chose ou si peu. On retiendra le documentaire Un pays qui se tient sage de David Dufresne, dissertation particulièrement stimulante sur le maintien de l’ordre à laquelle s’ajoutent deux propositions plus oubliables : La Fracture de Catherine Corsini, parangon d’un cinéma de gauche déconnecté s’imaginant en une nuit pouvoir réconcilier la bourgeoisie et le prolétariat, et Un Peuple d’Emmanuel Gras étude appliquée qui ne dit hélas rien que nous ne savions déjà sur le mouvement.
Pour guérir de ce cruel manque d’images, il aura fallu attendre l’arrivée d’un sale gosse à la hauteur de ce chahut : Antonin Peretjatko. Dézinguant joyeusement dans des satires irrésistibles les institutions de notre pays (La Fille du 14 juillet, La Loi de la Jungle, Panique au Sénat), il faut dire que l’œuvre du cinéaste n’a jamais été une grande sympathisante de l’autorité.
Le fond de l’air est jaune
Ça commence dès le titre (Les Rendez-vous du samedi) comme une provocation, un pied de nez adressé aux Rendez-vous de Paris de Rohmer dans lequel le cinéaste qui n’a jamais fait des classes populaires le point névralgique de son œuvre (euphémisme) dépeignait une capitale fantasmée, dénuée de toute fracture sociale, où les sans-abris sont, par exemple, devenus de joyeux musiciens de rue.
Au Paris gentillet de Rohmer s’oppose le sacré bordel de Peretjatko qui poursuit et prolonge ce qu’avaient immédiatement perçu Perret et Ruffin des Gilets jaunes dans leur documentaire : l’insolence narquoise, l’humour goguenard, le mauvais esprit, les provocations sans faille, les aphorismes implacables inscrits aux murs. Toute une grammaire que le film élève en véritable esthétique et à laquelle la caméra de Peretjatko – d’une grande inventivité sûrement influencée par Le Fond de l’air est rouge de Chris Marker – se joint volontiers en jeux de mots imparables, collages, ou autres bruitages burlesques balancés sur la piste sonore. Malgré son ton gaillard et espiègle, le film livre en, à peine une heure, un constat révoltant. Capturant tour à tour l’extrême violence de la répression (exit les gardiens de la paix, bienvenus aux forces de l’ordre), le glissement autoritaire d’un gouvernement qui ment et manipule le réel mais aussi le portrait d’un Paris devenu un géant panneau publicitaire, sans jamais perdre son sens joyeux de la dérision, de la formule et du jeu.
C’est en cela que Les Rendez vous du samedi s’élève comme le témoignage le plus pertinent sur le mouvement des Gilets jaunes. Filmant le groupe insurrectionnel comme un seul bloc, sans jamais individualiser ses acteur·trices, il retient surtout l’extrême vitalité du mouvement, sa drôlerie et sa poésie pour in fine saisir ce qu’aucun film n’avait jamais fait voir avant : la révolte des Gilets jaunes ne fut pas seulement un événement politique, elle fut un moment esthétique.
Les Rendez-vous du samedi, d’Antonin Peretjatko, le 1er avril sur la Plateforme Club Shellac et en DVD.