“L’Été dernier” de Catherine Breillat : une passion pas simple

D’emblée, les mots tranchent dans le réel comme le scalpel dans la chair. “Avec combien de garçons tu as couché ?”, demande Anne (Léa Drucker, exceptionnelle) à l’adolescente pétrifiée qui se tient face à elle. “Deux ou trois ? Je dois savoir.”...

“L’Été dernier” de Catherine Breillat : une passion pas simple

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D’emblée, les mots tranchent dans le réel comme le scalpel dans la chair. “Avec combien de garçons tu as couché ?”, demande Anne (Léa Drucker, exceptionnelle) à l’adolescente pétrifiée qui se tient face à elle. “Deux ou trois ? Je dois savoir.” C’est un simple champ-contrechamp,a priori tout ce qu’il y a de plus banal, entre l’avocate spécialisée dans la protection de l’enfance et sa jeune cliente, mais quelque chose interpelle.

Comme une légère arythmie – quelque vingt-quatrième de seconde de plusou de moins entre chaque coupe, qui instaure un malaise et assoit le pouvoir torve de ce personnage qui compte parmi les plus fascinants filmés par Catherine Breillat, toujours au sommet de son art, dix ans après le déjà sublime Abus de faiblesse. Est-elle une protectrice ou une inquisitrice ? Qu’est-ce qui meut cette late quadragénaire, redoutablement intelligente et séduisante, mais aussi implacablement rationnelle et si impossible à percer à jour ?

Breillat, en grande admiratrice de Dreyer, a toujours procédé par soustraction

On a tôt fait de retrouver la lionne Anne sur son territoire, où l’essentiel du film se déroule : une grande maison bourgeoise proche de la nature, dont elle ne sort qu’au volant de sa Mercedes beige décapotable pour quelques escapades en ville ou parties de campagne – dont l’une, inoubliable, au son du Dirty Boots de Sonic Youth.

Elle partage cet éden avec son vieux mari PDG (Olivier Rabourdin, parfait en ours harassé) et leurs deux adorables filles adoptives, jusqu’à l’arrivée impromptue, le temps d’un été chez papa et belle-maman, d’un insolent éphèbe en exil auquel Samuel Kircher prête ses traits pasoliniens, tantôt séraphiques, tantôt démoniaques. Lui non plus n’est pas facile à démasquer, mais il a l’excuse de son âge – on ne sait pas ce qu’on fait à 17 ans, et Anne est bien placée pour le savoir.

Voilà pour le décor, au fond assez classique, et même très épuré. Breillat, en grande admiratrice de Dreyer, a toujours procédé par soustraction, ne gardant que le strict nécessaire pour ensuite mieux gorger ses plans d’affects tourbillonnants. Le tourbillon, ici, va se matérialiser par le biais d’une romance coupable. Puis il va faire demi-tour, dans un dernier acte vertigineux, menaçant de tout dévaster sur son passage.

Cruauté affolante

C’est précisément là qu’impressionne Léa Drucker, jamais vue ainsi. Sa puissance d’incarnation se déploie tout au long du film, notamment dans les scènes de sexe, où Breillat fait causer les corps comme peu de cinéastes savent le faire. Mais un vertige se produit, littéralement en un clin d’œil, lorsque l’avocate décide de s’engouffrer dans le déni. Ce qui se joue alors sur son visage est prodigieux.

Tout ce qui suit est d’une cruauté affolante, et cependant rien dans le regard de Breillat ne change. Rien ne semble en mesure d’ébranler la froide rationalité d’Anne, et certainement pas la mise en scène qui tient la passion et ses pièges à distance, et nimbe les dernières scènes d’une ambiguïté inconfortable – inconfortable parce qu’on est, nous spectateur·rices, pris·es à témoin du mensonge et qu’on se retrouve en position d’en jouir, tant il est impeccablement justifié et exécuté. Et c’est toute la beauté retorse de ce film que de nous faire aimer un personnage que tout désigne comme détestable.

L’Été dernier de Catherine Breillat, avec Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin (Fr., 2023, 1 h 44). En salle le 13 septembre.