L’héritage “Nevermind” : qui sont les enfants de Nirvana ?

ERRATUM : Dans notre 1er numéro, cet article a été malencontreusement coupé p. 84. Nous vous présentons toutes nos excuses et vous proposons d’en lire ici l’intégralité. (Cliquez ici pour télécharger le PDF de cet article ) Le 5 avril 2021...

L’héritage “Nevermind” : qui sont les enfants de Nirvana ?

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Le 5 avril 2021 marquait l’anniversaire de la mort de Kurt Cobain, disparu il y a vingt-sept ans, à l’âge de 27 ans. Trop de signes pour ne pas en faire quelque chose. Ce fut le rappeur Kid Cudi qui s’en chargea cinq jours plus tard sur le plateau de l’émission Saturday Night Live, interprétant deux des titres issus de son dernier projet, The Chosen, en robe à fleurs puis vêtu d’un cardigan vert. Un hommage vestimentaire donc, d’une part aux robes dénichées en friperie que le leader de Nirvana se plaisait à arborer lors de concerts en 1989 comme en couve de The Face en 1993 ; d’autre part au fameux gilet vert porté lors du tout aussi fameux MTV Unplugged, toujours en 1993.

Deux tenues comme chipées dans l’armoire des (grands)-parents qui signalaient le fameux négligé grunge, celui du manque d’argent à claquer dans les fringues, comme du refus catégorique de participer au grand manège de l’industrie de la mode, un doigt d’honneur adressé aux années 1980 et à leurs costards à épaulettes disant le power fashion, le règne de la pop commerciale, du bling-bling, de la coke et de l’argent, bref de l’ogre capitaliste et de la futilité méprisante. Le grunge fut ainsi rapidement résumé à sa mode radicale qui voulait dire l’authenticité quand d’autres avant elle célébraient le jeu des apparences, signe d’hypocrisie voire de domination.

Marier structure pop, déflagration punk et folk écorché vif

Que Kid Cudi rende hommage à Cobain en reprenant non pas l’un de ses morceaux mais deux de ses tenues emblématiques démontre la puissance de circulation de ces images, sortes de mèmes avant l’heure. Le cardigan vrombirait du Smells like Teen Spirit, la robe infuserait du Come As You Are. Le 23 avril dernier, c’est sur le plateau de Quotidien qu’un simili-Kurt Cobain se profile sous le nom de Lujipeka. Le gilet est cette fois-ci rose pétard, avec jean XL, T-shirt blanc et cheveux longs mal coiffés.

Le rappeur français interprète Putain d’époque, coup de gueule contre ladite époque qui va à vau-l’eau (pour résumer). Derrière les clins d’œil à 1ère vue superficiels se dessine la question d’un héritage, d’une filiation entre la jeunesse grunge et les artistes actuel·les qui s’emparent de marqueurs esthétiques comme on brandit une appartenance à une même idéologie. Comme l’on se parfumerait de son odeur : celle de la souffrance existentielle, de la colère contre-culturelle, de l’autodestruction nihiliste, de l’exposition sans fards ni reproches de la lose, du ratage, du grunge, soit littéralement de la crasse.

Il faut rappeler que Nirvana ne rencontre le succès qu’au moment où le groupe décide de marier la structure pop, la déflagration punk et le songwriting d’un folk écorché vif sur son deuxième album, Nevermind (“tant pis”). Les guitares lourdes ambiance macho sont détournées pour accompagner blessures et faiblesses transmises par la voix éraillée de Kurt Cobain.

Une jeunesse bien vite ramassée sous le terme de “Génération X”

Exit la culture de la gagne des années 1980, place au sel renversé à haute dose sur ses propres plaies, et en public, dans une forme de catharsis collective tubesque à laquelle adhère totalement la jeunesse de l’époque, bien vite ramassée sous le terme de “Génération X”, baptisée ainsi d’après un roman de Douglas Coupland de 1991 qui suit un trio de jeunes désabusé·es. “Il y a un sentiment de burn-out dans la culture. Les jeunes sont déprimés par le futur”, martelait alors le critique musical britannique Simon Reynolds dans Blissed Out: The Raptures of Rock (Serpent’s Tail, 1990). X comme né sous X, cette croix que l’on appose en lieu et place de son nom pour dire le vide.

En 1990, Time Magazine consacre une couv aux vingtenaires et écrit : “Ils ont peu de héros, pas d’hymne, pas de style à proprement causer. Ils désirent le divertissement mais leur attention est aussi volatile que le zapping à la télé. Ils détestent les yuppies, les hippies et les toxicos. Ils repoussent le mariage par peur du divorce. Ils méprisent les Range Rover, les Rolex et les porte-jarretelles rouges.” Comme souvent en matière de journalisme wannabe sociologique, la définition est grossièrement tracée.

“Les années 1990, c’est une décennie à qui on interdit d’être tragique, mais qui l’est profondément” François Cusset

Au-delà du look, que disait le grunge de cette branlante génération X, terminologie refusée par certain·es sociologues, utilisée par d’autres ? Pour François Cusset, historien des idées et auteur d’Une histoire (critique) des années 1990 (La Découverte, 2020), si le concept même de génération est problématique (une date de naissance ne peut suffire à déterminer un individu), les vingtenaires époque Cobain, comme toute génération ultérieure à celle des baby-boomers, se sont pris de plein fouet un sentiment collectif de non-importance, “une impression générale d’arriver trop tard”, alors que les utopies soixante-huitardes avaient échoué.

“Les soixante-huitards ont interdit aux générations suivantes de faire la révolution en disant ‘nous, on a essayé, ça ne marche pas… erreur de jeunesse’, analyse-t-il. Les années 1990, c’est une décennie à qui on interdit d’être tragique, mais qui l’est profondément. Ne serait-ce qu’à cause du deuil du communisme, un espoir populaire de deux siècles d’âge que l’on éteint avec la chute du mur de Berlin en 1989. Le triomphalisme du début de la décennie célèbre un même régime de liberté sur la planète. Mais les espoirs sont douchés avec le retour de la guerre : le Rwanda, la guerre civile en Algérie, les 1ères guerres du Golfe… C’est une décennie en trompe-l’œil qui vous dit ‘fin de la révolution, on va tous vivre en paix’, et en fait pas du tout.”

Le fantôme de Cobain hante le hip-hop

La génération X refuse de jouer le jeu et s’y fait pourtant happer, sur le modèle d’internet, grande utopie libertaire en forme de champ des possibles désormais verrouillée par les maîtres de la Silicon Valley (Google, Facebook, etc.). “Ce qui est intéressant dans la contre-culture, c’est qu’elle n’est pas politique : elle intervient sur un terrain déserté par la politique, poursuit François Cusset. Les contre-cultures noires américaines, par exemple, interviennent quand le mouvement pour les droits civiques a obtenu ce qu’il voulait et que ça s’est dépolitisé. Les contre-cultures proposent de continuer autrement.”

“Les raves ne sont pas du politique au sens strict, mais en créant du corps en sueur collectif hors la loi dans des endroits hors d’accès du contrôle policier, capitaliste, parental, elles créent du politique, par défaut. C’est du politique quand il n’y a plus de politique. Ils sont les orphelins des révolutionnaires. N’ayant plus le droit à ça, ils vont chercher des fuites dans la musique, la drogue, la sci-fi. Mais quand ces fuites sont collectives et deviennent des genres culturels entiers, il y a un enjeu politique.” A partir d’une fuite personnelle, Nirvana crée une contre-culture, un genre, puis une culture largement mainstream, tamponnée sur les T-shirts vendus par la fast fashion. Ironie de l’histoire.

La toxicomanie et la violence du suicide de Kurt Cobain ont largement marqué les esprits, notamment des rappeurs, qui citent le groupe à tort et à travers depuis un paquet d’années. Eminem y faisait déjà référence sur Cum on Everybody en 1999 : “My favorite color is red like the blood shed from Kurt Cobain’s head when he shot himself dead” (“Ma couleur préférée est le rouge comme le bain de sang sortant de la tête de Kurt Cobain lorsqu’il s’est tiré une balle”).

Jay-Z renchérit sur Most Kingz : “Most kings get driven so insane that they try to hit the same vein that Kurt Cobain did” (“La plupart des rois deviennent si fous qu’ils cherchent à atteindre la même veine que Kurt Cobain”). Plus récemment, Denzel Curry cause de se suicider comme Kurt Cobain sur Clout Cobain, Travis Scott arbore des T-shirts Nirvana et Post Malone a repris, lui aussi vêtu d’une robe vintage, quinze titres du groupe dans un livestream depuis son domicile en avril 2020 (performance complète à retrouver ici).

Les stars cramées de l’emo rap

Mais depuis la fin des années 2010, de nouveaux rappeurs appartenant à la fameuse génération Z (née après 2000 dans un monde envahi de réseaux sociaux) vont plus loin en mariant les sonorités grunge et punk au rap sur des morceaux DIY et auto-tunés, barbouillés d’alcool et de médicaments (OxyContin, lean, Xanax, codéine, fentanyl…). Sur ce Soundcloud rap ou emo rap comme on l’appelle, la peine, le rien-à-foutre et la colère tissent un canevas d’une tristesse existentielle qui n’empêche pourtant pas les pogos de proliférer aux concerts, et les rappeurs comme XXXTentacion de se réclamer autant du rock que du rap.

Un étrange mélange des genres qui rappelle l’horizontalité même d’internet, règne du collage que pratiquait déjà Nirvana à son époque, empruntant autant à Bowie, aux Beatles et aux Pixies qu’aux Melvins, hurlant la tristesse en faisant headbanger les foules, ou transformant ses furieux morceaux en ballades tendres à pleurer, réconciliant le tube pop et la déflagration alternative. En 2016, deux emo rappeurs, Lil Peep et Lil Tracy, vont jusqu’à baptiser un morceau de trap mélancolique Cobain : “Call me Cobain, she can see the pain” (“Appelle-moi Cobain, elle peut voir la peine”).

Si Kurt Cobain maîtrisait l’art du look, de la photogénie et du happening, les emo rappeurs sont nés avec les réseaux sociaux, qui occupent une bonne partie de leur cerveau. Il faut produire de la musique mais également se mettre en scène. D’où leurs couleurs de cheveux criardes en mode licorne (rose, bleu, vert, violet) et les tatouages constellant leurs juvéniles visages. Il est loin le temps de la sobriété grunge, Instagram est passé par là. Mais voilà, dans le subtil mélange de DIY et de mainstream, de douleur et de fureur, d’affirmation de sa propre étrangeté et de défonce pour l’oublier, explose l’héritage Nirvana.

Les trajectoires éclairs des rappeurs Lil Peep, Juice Wrld ou encore XXXTentacion, morts à 21 ans d’overdose pour les deux 1ers, à 20 ans lors d’une attaque à main armée pour le troisième, ont scellé le parallèle entre Kurt Cobain et ces rappeurs d’une noirceur sans fond, aussi shootés aux médocs qu’à la désillusion bret-eastonellisienne qui traîne ses baskets dans les malls. “What’s the 27 Club? We ain’t making it past 21” (“Qu’est-ce que le club des 27 ? Nous ne dépassons pas les 21 ans”), rappait Juice Wrld sur Legends, en référence à Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Amy Winehouse et Kurt Cobain, tous·tes disparu·es à 27 ans des suites d’overdose ou d’un suicide par balles pour ce dernier.

Une amitié de longue date avec Kathleen Hanna, leadeuse des Bikini Kill

Seraient-ce eux·elles les véritables héritier·ières du grunge ? Les descendant·es d’une génération X déjà barrée ? Oui, et non. Si le mélange de détresse psychologique, de vide à l’âme, de perdition et d’énergie live, comme la tristesse défoncée à la guitare et à la drogue rappelle Nirvana, Kurt Cobain était bien plus engagé dans la défense des minorités politiques, et notamment du féminisme.

Lil Peep en 2017 à Los Angeles © WENN/News Pictures

Outre ses gimmicks de travestissement, il faut surtout retenir son amitié de longue date avec Kathleen Hanna, leadeuse des Bikini Kill, groupe phare du mouvement Riot grrrl qui émergea en 1990 à Olympia (la ville, aussi, où naquit Gossip) pour revendiquer le droit des filles à s’emparer du punk, à créer des fanzines et à se réapproprier la culture do it yourself, soit : n’attends pas d’avoir les moyens (financiers) pour faire ce dont tu as envie, fais-le.

En 1992, Kurt Cobain déclare à Rolling Stone : “Je me sens plus proche du côté féminin de l’être humain que du côté masculin, ou de l’idée américaine de ce qu’un homme doit être. Regarde juste une publicité pour la bière, et tu verras ce que je veux dire.” Un an plus tard à Blank on Blank : “Parce que je ne trouvais aucun ami masculin avec qui je me sentais compatible, j’ai fini par traîner avec des filles. Et j’ai toujours vu qu’elles n’étaient pas traitées avec respect, tout simplement car les femmes sont totalement opprimées. Le terme salope était totalement banal.”

Une prise de conscience des mécanismes de domination

Le 10 septembre 1992, Nirvana participe à un concert à Portland contre une loi interdisant la “promotion” de l’homosexualité, puis refuse de tourner avec les Guns N’Roses. A un fan les interpellant sur leur inimitié avec le groupe d’Axl Rose lors de ce concert de soutien, Cobain répond : “C’est un putain de sexiste, de raciste et d’homophobe, et tu ne peux pas être de leur côté et du nôtre.” Plusieurs emo rappeurs ont, eux, été accusés d’agressions sexuelles, dont XXXTentacion, condamné pour avoir frappé et séquestré sa petite amie. Quant à leurs morceaux, ils continuent de véhiculer un certain nombre de clichés sexistes.

Nirvana se respire donc, un peu, du côté des emo rappeurs, mais pas totalement. On aperçoit peut-être mieux le fantôme de Kurt Cobain dans une série comme Euphoria, miroir de la génération Z. Dans cette série, qui suit une bande d’adolescent·es en banlieue américaine, on retrouve la défonce (les médicaments gobés par des ados en détresse), la recherche et l’exploration de l’identité de genre, un rapport à la politique vécu non sur un plan partisan classique mais à travers une prise de conscience des mécanismes de domination (racistes, patriarcaux, classistes) à l’œuvre, une quête de l’amour (de soi et de l’autre), mais aussi une explosion de l’image, celle des autres mais aussi celle de soi. Si Kurt Cobain a vu son image se démultiplier (clips sur MTV, covers de magazines, T-shirts à son effigie), les ados de la génération Z vivent constamment avec la leur sur les réseaux sociaux, tel un miroir vissé à leur nuque.

“Mes filles sont obsédées par Billie Eilish. Il se passe avec elle ce qui s’est passé avec Nirvana en 1991.” Dave Grohl

En définitive, la grande héritière de Kurt Cobain s’appelle certainement Billie Eilish – un album de pop rock torturé When We All Fall Asleep, Where Do We Go? et une flopée de récompenses dont cinq Grammy Awards en 2020. Ce qu’a confirmé Dave Grohl, ex-Nirvana désormais leader des Foo Fighters, lors d’une conférence avec le boss de Live Nation Michael Rapino, le 9 février dernier, à Los Angeles.

“Mes filles sont obsédées par Billie Eilish. Il se passe avec elle ce qui s’est passé avec Nirvana en 1991. Les gens se demandent si le rock est mort. Quand je regarde Billie Eilish, je me dis que le rock’n’roll est loin d’être mort !” Que s’est-il passé avec Nirvana qui pourrait se reproduire trente ans plus tard ? “Billie Eilish et le triomphe du bizarre”, titrait Rolling Stone en 2019.

“Je suis le pire dans ce que je fais de mieux”

Avec elle, comme avec Kurt Cobain, c’est le droit à l’autodétermination et à l’autoaffirmation qui se voit consacré, loin des normes patriarcales, de la dictature du plaire ou de la construction d’un personnage fictionnel – ce qui n’empêche pas Billie Eilish, comme Cobain, de faire preuve d’une grande créativité artistique. Leurs succès commerciaux respectifs achèvent de transformer leur “grunge”, leurs blessures, leurs failles en vérités voire en forces.

“I’m worse at what I do best and for this gift I feel blessed”, chantait Cobain sur Smells like Teen Spirit (“Je suis le pire dans ce que je fais de mieux et pour ce présent je me sens chanceux”). “On a l’artiste dépressif, introspectif, mais c’était authentique et c’est la clé de la réussite de Nirvana, analyse Nick Rees-Roberts, professeur des médias, culture et communication à l’université Sorbonne Nouvelle. Ils ne paraissaient pas produits pour le public. Ils canalisaient le Zeitgeist en montrant une obscurité au grand public.”

Rejeter le marketing et la course au cool pour asseoir la sincérité dans ce qu’elle a de plus torturé. Dans un monde hyper-digitalisé, la transparence complexe de Billie Eilish, qui joue sur les couleurs de cheveux et travaille ses looks, marie la conscience de l’image avec un sens de la grimace et de l’autodérision qui disent un je-m’en-foutisme très nevermind.

Etrangement, Kurt Cobain et Billie Eilish se ressemblent

Enfin, la jeune artiste, comme Kurt Cobain, n’hésite pas à s’exprimer contre le patriarcat, mais aussi contre le réchauffement climatique ou pour le mouvement Black Lives Matter. Car si les années 1990 ont connu l’affaire Rodney King, arrêté et passé à tabac par des policiers blancs, et les émeutes de Los Angeles qui s’ensuivirent, la fin des années 2010 et le début des 2020 sont marqués par les violences policières à l’encontre de la communauté africaine-américaine, leur médiatisation sur les réseaux sociaux et l’essor de Black Lives Matter.

Si Kurt Cobain a fait figure de messie de la génération X, Billie Eilish traduit les questionnements esthétiques, musicaux, identitaires, politiques et dépressifs de la génération Z. Etrangement, les deux se ressemblent. Est-ce à dire que d’une génération à l’autre rien ne change et tout se transforme ?

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Il est certain que se dessine entre 1991 et 2021 un héritage : le besoin de trouver et d’asseoir son identité propre, d’échapper au monde patriarcal et capitaliste qui crame la planète et domine les minorités politiques, et le refus de choisir sa chapelle, celle de la force ou de la faiblesse, celle du rock, du rap, du folk, du metal ou de la pop, celle de l’underground ou du mainstream.

Une ligne de fuite qui, derrière sa récupération par le marketing, dit la volonté d’une contre-culture de devenir culture, la volonté de la marge de se transformer en page. Ou plutôt d’exploser le concept même de page pour construire des archipels, liés les uns aux autres par un destin commun. En 1990, Jean Baudrillard écrivait dans La Transparence du mal : “S’il fallait caractériser l’état actuel des choses, je dirais que c’est celui d’après l’orgie.” Même constat aujourd’hui.