L’histoire de la drill : de Chicago jusqu’en France
Des paroles crues et réalistes, un tempo variant entre 60 et 70 BPM, une ambiance sombre et ténébreuse, des grosses basses 808 aux allures de serpent à sonnette : voilà la recette de la drill. Ce genre musical issu des quartiers sud de Chicago...
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Des paroles crues et réalistes, un tempo variant entre 60 et 70 BPM, une ambiance sombre et ténébreuse, des grosses basses 808 aux allures de serpent à sonnette : voilà la recette de la drill. Ce genre musical issu des quartiers sud de Chicago ne cesse de faire parler de lui et grimpe en flèche dans la culture hip-hop mondiale depuis plusieurs années. Ce n’est que depuis quelques mois que ce courant s’installe sur la scène française et son ascension est fulgurante. De nouveaux drilleurs naissent chaque jour et les fans sont de plus en plus nombreux. Mais savez-vous comment est né ce mouvement musical si sombre et violent ? Connaissez-vous son histoire ? Lisez cet article et apprenez tout ce qu’il faut savoir sur la Drill Music.
Chicago : lieu de naissance de la drill
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la drill n’est pas un phénomène nouveau. Ce genre musical existe depuis les années 2011/2012 aux Etats-Unis et tire ses origines des quartiers de South Side à Chicago. Pour comprendre comment est né la drill, il faut connaître la situation de la ville de Chicago durant ces années-là. La ville connaît une crise financière, se divise, et les quartiers du sud se retrouvent abandonnés. Certains jeunes se tournent alors vers la musique pour exprimer leur colère, leur frustration, leur sentiment d’injustice. C’est dans ce contexte de désespoir, de violence, de guerres de gang, que naît la drill. Un contexte qui explique l’univers brutal et violent de ce genre musical.
Parmi ces jeunes de Chicago qui utilisent la musique comme moyen d’expression, un nom sort du lot et apparaît comme le précurseur de la drill : Chief Keef. Du haut de ses 16 ans, Chief Keef, accompagné de jeunes producteurs comme Young Chop, réinvente le rap en racontant sa vie de membre de gang de manière très réelle sur des prods sombres et percutantes. On pense notamment à ses titres “I Don’t Like” et “Love Sosa” qui ont marqué le rap et donné naissance à des rappeurs tels que Lil Durk ou Fredo Santana.
Au fil des années, la drill a continué de prendre de l’ampleur jusqu’à dépasser l’Atlantique et atterrir dans les rues de Londres.
La drill UK : les anglais réinventent la drill
Après quelques années et le succès mondial de Chief Keef, le phénomène drill arrive enfin aux portes de la capitale anglaise et s’installe dans les quartiers sud comme celui de Brixton. Les membres des gangs londoniens s’identifient aux codes de la drill et aux quotidiens des jeunes de Chicago. Mais les rappeurs anglais ne vont pas se contenter de copier leurs homologues américains. Ils vont y ajouter leurs touches personnelles pour donner un style unique : la drill UK.
Tout d’abord sur le plan musical : la forte concentration de jeunes issus de l’immigration jamaïcaine dans les rues de Londres apporte des influences caribéennes à la drill originale de Chicago. Mélangés avec la grime, de nouvelles sonorités apparaissent avec des rythmes plus saccadés et donnent naissance à ce nouveau style de drill, la drill UK.
Sur le plan de l’image : Les drilleurs anglais ont révolutionné ce courant musical grâce à de nouvelles sonorités comme nous venons de le voir, mais également grâce à une imagerie et des visuels totalement différents de celles des drilleurs de Chicago.
En effet, dans leurs clips, les drilleurs anglais sont majoritairement cagoulés ou masqués. Mais savez-vous pourquoi ? Non, ce n’est pas qu’une question de style ou d’anonymat pour éviter la célébrité. Le fait de se cacher le visage découle d’une guerre juridique entre ces rappeurs et le gouvernement britannique qui les accuse de promouvoir la culture des gangs. De nombreux rappeurs ont déjà été condamnés suite à certaines de leurs lyrics décrivant leurs activités criminelles à l’instar du duo Skengdo & AM. Des concerts annulés, des clips supprimés, la censure se faisait se plus en plus présente. Par conséquent, pour continuer à rapper, certains drilleurs anglais, membres de gangs, se camouflent le visage pour éviter les ennuis judiciaires et la censure.
Ce moyen de protection est devenu petit à petit une tendance et une des spécificités majeures de la drill UK.
Parmi les acteurs importants de la drill UK, nous pouvons citer des rappeurs comme Stormzy, Headie One, PA Salieu, Dutchavelli, le groupe 67 composé de six rappeurs (LD, Dimzy, Monkey, SJ, ASAP et Liquez), Knucks, Young Boy Adz ou encore Skengdo & AM.
La drill a pris un nouveau tournant grâce à cette métamorphose et cette effervescence de nouveaux rappeurs émergents. Le mouvement s’est répandu de manière virale dans tout l’Angleterre, jusqu’à repasser par les Etats-Unis.
Pourtant, ce courant musical n’aurait pas connu un tel succès mondial sans le jeune prodige New Yorkais Pop Smoke, devenu aujourd’hui un symbole incontesté de la drill.
Pop Smoke et la popularisation de la drill
Avant d’atterrir en France et d’être popularisé dans le monde entier, le phénomène drill a voyagé jusqu’à New York, et plus particulièrement dans les quartiers sud-est de Brooklyn qui ont vu éclore une nouvelle génération de jeunes rappeurs comme Sheff G, 22GZ ou Fivio Foreign, s’inspirant de la drill UK et travaillant avec des producteurs anglais comme 808Melo ou AXL Beats. Parmi ce nouveau mouvement New Yorkais, influencé d’une part par la drill de Chicago et de l’autre part par la drill UK, un nom sortira du lot et deviendra le symbole mondial de la drill : Pop Smoke, de son vrai nom Bashar Barakah Jackson.
Alors inconnu, le jeune Pop Smoke, né en 1999 à Brooklyn, va s’approprier les codes de la drill en s’accompagnant du producteur 808Melo sur son premier projet “Meet the Woo” sortie en 2019. Sa voix grave et sombre, ses lyrics crues et son flow new yorkais donnent à sa musique un air menaçant et deviennent rapidement sa marque de fabrique.
Le grand public découvre cet univers lugubre avec des titres comme Dior ou Welcome to the Party. Pop Smoke devient très rapidement une figure majeure de la drill et permet à ce mouvement musical de se populariser dans le monde entier, notamment en France.
L’assassinat de Pop Smoke, aussi tragique soit-il, a également mis en lumière sa musique et a contribué à cette démocratisation de la drill.
Il laissa dans son sillage son album posthume « Shoot For The Stars Aim For The Moon » s’écoulant à 251 000 copies en première semaine et se hissant parmi les albums les plus écoutés en 2020.
Aujourd’hui, la drill est enfin arrivée dans les quartiers français et les rappeurs s’en donnent à coeur joie. Nouveaux, anciens, tous s’essayent à ce courant musical qui fait des ravages et donne un nouveau souffle au rap français.
L’ascension de la drill dans le rap français
Le phénomène de la drill n’arrive en France que très récemment, courant 2019, avec notamment Ashe 22 et son collectif lyonnais Lyonzon qui après s’être rendu dans des studios londoniens et vu la drill UK de près ont décidé de s’y mettre. Ils apparaissent alors parmi les premiers à avoir fait du bruit en tant que drilleurs français affirmés. Ils ont participé, avec une nouvelle vague d’artistes comme Freeze Corleone et son collectif 667, 1Pliké140 ou le collectif CZ8, a démocratisé la drill en France. Un vent de fraîcheur qui fait du bien au rap français.
Mais impossible de parler de drill en France sans parler du “prince de la drill”, celui qui multiplie les feats avec des têtes d’affiches du rap français depuis quelques mois, celui qui détient une “kichta” aussi longue que son bras, Gazo. Avec ses freestyles DrillFR et sa mixtape « Drill Fr », il a rapidement démontré son talent et s’est imposé comme le « prince de la drill » grâce à son énergie, ses paroles crues et sa voix grave qui marquent les esprits. Il décrit la réalité des quartiers parisiens sans filtres et sans mensonges. En feat avec Freeze Corleone, Hamza, et plus récemment Gims, il s’est implanté sur la scène française et a fortement contribué à l’ascension de la drill en France.
Le genre se popularise très rapidement. En à peine un an, pratiquement tout le monde s’est essayé à ce nouveau courant musical. Que ce soit des rappeurs déjà en place comme Lacrim, Hamza et son projet 100% drill ou Kekra, ou de nouveaux rappeurs comme Ziak, Gazo, Ashe 22 ou Negrito, la drill s’est emparée du rap français. Certains rappeurs en profitent même pour faire leur grand retour comme Django et son projet « S/O le Flem », 100% drill, accompagné du beatmaker Flem et d’invités comme Gazo et Freeze Corleone. Un retour fracassant.
Malheureusement, la drill française n’a pas encore trouvé sa patte et se contente de reprendre les codes anglais. On y retrouve les mêmes sonorités et parfois les mêmes flows. Certains, comme Freeze Corleone, Hamza, Gazo ou Kekra réussissent à se dégager un style propre à eux, mais ce n’est pas suffisant. La drill en France n’est encore qu’un bébé qu’il faut éduquer. La scène française doit réussir à se défaire des codes anglais pour trouver les siens.
En Angleterre, les rappeurs ont mis presque trois ans à s’approprier ce genre musical. Alors soyons patients.
S’ajoute à ça un autre problème. La dimension de gang n’est pas présente en France. Alors comment reprendre un style qui décrit ce mode de vie et tire son essence de cette culture de gang ? Le modèle anglais ou new yorkais est difficilement exploitable en France. D’où l’importance de faire évoluer ce genre pour se l’approprier. Tout comme les anglais ont métamorphosé la drill de Chicago.
Soyons attentifs et attendons de voir quel tournant prendra la drill en France. Arrivera-t-elle à s’émanciper de la recette londonienne et new yorkaise ?
Ce qui est certain c’est qu’avec avec l’arrivée de la drill, le rap cru et dur reprend ses droits, et ça, ça fait plaisir.
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