Limiñanas/Laurent Garnier, l’association la plus décoiffante de la rentrée
Commençons par ce titre, De película. S’agissait-il de composer la bande originale d’un film fantasmé ? Lionel Limiñana — C’était une volonté de structurer le disque comme un film, avec une trame, un début, un milieu et une fin. Le titre nous...
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Commençons par ce titre, De película. S’agissait-il de composer la bande originale d’un film fantasmé ?
Lionel Limiñana — C’était une volonté de structurer le disque comme un film, avec une trame, un début, un milieu et une fin. Le titre nous est apparu en dernier, ce n’était donc pas prémédité.C’est grâce au tracklisting du vinyle que la narration de l’album a pris forme, passant d’une face lumineuse à une autre plus sombre.
Laurent Garnier — Le titre, De película, c’est Lionel qui l’a proposé. Nous étions en train de manger et, après un long brainstorming (il ironise), il a sorti cette accroche en nous expliquant qu’en plus d’être connoté cinéma, c’est une expression espagnole utilisée pour dire qu’une fille est particulièrement jolie. Cela peut aussi vouloir dire que tout s’est bien déroulé, ce qui collait avec la réalité de notre collaboration. Cet album s’est construit comme un puzzle.
Un jour, ils m’ont appelé : “Tu nous fais chier. Maintenant, on fait un album. Allume tes putains de machines” – Laurent Garnier
Comment cette collaboration Limiñanas/Garnier a-t-elle commencé ?
Laurent Garnier — J’avais fait le remix du morceau Dimanche [extrait de l’album Shadow People des Limiñanas, en duo avec Bertrand Belin]. Très rapidement, Lionel et Marie ont proposé que l’on réfléchisse à faire un album ensemble : “La balle est dans ton camp”, m’ont-ils dit. C’était un projet qui allait prendre du temps, il fallait trouver un moment pour se poser, et puis le Covid a permis que l’on s’y colle.
Lionel Limiñana — Cela a aussi mis du temps parce que, comme Laurent, nous étions en tournée tout le temps.
Laurent Garnier — Avec le confinement, je ne pouvais plus leur dire : “Ah non, désolé, je suis à Berlin !” Alors un jour, ils m’ont appelé : “Tu nous fais chier. Maintenant, on fait un album. Allume tes putains de machines, il faut y aller, mon gars !”
Lionel Limiñana — On a d’abord travaillé sur un instrumental qui, maintenant, s’intitule Steeplechase. Je ne sais plus comment il s’appelait au départ ?
Laurent Garnier — Je l’avais baptisé Limilolo. (rires)
C’est donc un album que vous avez enregistré à distance ?
Laurent Garnier — Nous étions confinés, moi à Lourmarin et les Limiñanas à Cabestany. On ne s’est pas vus du tout, mais tout est allé très vite.
Lionel Limiñana — C’était un ping-pong de maquettes. Parfois, c’était juste un beat avec un groove, une guitare, une mélodie ou une phrase, et on se renvoyait la musique comme cela tous les jours. Je suis insomniaque, donc j’ai l’habitude d’attaquer vers 3 ou 4 h du matin. Quand Laurent découvrait les pistes, nous étions à la plage et lui pétait un plomb parce qu’on ne lui répondait pas. Ce n’est vraiment pas un disque qu’on a fait et que Laurent a produit. On a tout fait ensemble, de A à Z. En réalité, c’est le mixage qui a pris beaucoup de temps.
Avec Marie, on est ensemble depuis la nuit des temps, mais il y a encore une forme de timidité et de gêne à faire des trucs en présence de l’autre – Lionel Limiñana
Qui a bossé sur le mixage d’ailleurs ?
Lionel Limiñana — Laurent et Scan X [Stéphane Dri, pionnier de la techno et plus ancien collaborateur de Laurent Garnier].
Laurent Garnier — Stéphane, c’est mon ingénieur du son depuis vingt ans maintenant et mon meilleur pote. C’est aussi mon voisin, donc cela facilite grandement les choses. Il mixe mes morceaux depuis toujours. On a fait un prémix chez moi, et puis il a emmené le tout chez lui. Il s’est également occupé du mastering. La magie de Stéphane est géniale.
Lionel Limiñana — Comme on bossait avec lui depuis un petit moment, il avait aussi l’habitude de manier nos prises pourries et tous nos ratés. Il n’était pas étonné de recevoir 80 pistes de fuzz…
Lionel, à l’époque de la sortie de Shadow People (2018), tu confiais aux Inrockuptibles que tu bossais seul la nuit dans votre cave et que Marie prenait le relais, seule aussi, le lendemain, pour terminer la chanson. C’est toujours le cas aujourd’hui ?
Lionel Limiñana — Avec Marie, on est ensemble depuis la nuit des temps, mais il y a encore une forme de timidité et de gêne à faire des trucs en présence de l’autre. Quand je bosse sur un titre, je lui fais écouter, puis je me barre pour qu’elle cale sa batterie, sinon je la gonfle. Il y a des moments particuliers pendant un enregistrement où tu dois te laisser aller et lâcher prise. C’est ce qui te permet de tenter des choses que tu n’oserais pas devant quelqu’un d’autre.
Laurent Garnier — Moi, je ne peux pas faire de la musique avec des gens. C’est impossible, parce que je vais passer six heures sur le même truc de vingt secondes et que je finis toujours par rendre les gens complètement dingues.
Laurent, tu expliquais avoir imposé l’idée de ne pas mettre de kicks techno sur cet album. Pour quelle raison ?
Laurent Garnier — Trop souvent, les associations sont bizarres parce que les gens veulent trop laisser les deux univers cohabiter.
Lionel Limiñana — S’il y a vraiment un truc que je déteste dans la musique, c’est la fusion.
Laurent Garnier — Dès le début, j’ai donc dit que je préférais qu’on aille vers l’univers des Limiñanas. Parce que cela me sort de ma zone de confort. Cela a été génial de travailler les mélodies, d’utiliser certains claviers et d’en oublier d’autres qui devenaient trop des automatismes. Pour toutes ces raisons, j’ai dit : “Please, pas de kick droit !” Parce que le kick droit, c’est l’archétype du mec de la techno qui veut imposer son truc.
La musique des Limiñanas a déjà une base très percussive, massive et viscérale, ce qui a peut-être facilité la rencontre de vos deux univers.
Lionel Limiñana — C’est marrant, parce que dans les commentaires que l’on a pu lire jusqu’ici, les gens causent de la rencontre de “deux mondes”. C’est étrange qu’on en soit à réfléchir comme cela. Des Stooges, avec la façon que Ron Asheton [guitariste de la formation de Detroit] avait d’appuyer sur les beats, à des groupes comme Can, ce rapport à la transe a toujours été présent. Le plaisir ressenti en club face à un DJ est similaire à la quête de l’extase dans le Krautrock ou chez Suicide. Tous ces groupes font le lien de manière assez évidente depuis longtemps.
Laurent Garnier — Je me sens tellement en phase quand ils me causent de Can. Selon moi, c’est de la techno. Des trucs répétitifs qui t’emmènent en voyage. Je me suis senti hyper à l’aise sur chaque morceau, même si, sur le papier, je sors de ma zone parce que c’est un album rock. Et en même temps, avec certains de mes morceaux, s’il n’y avait pas ce kick droit à la con que j’aime bien quand même, et une rythmique plus proche de celle de Marie, j’aurais pu vriller vers de la musique plus kraut.
Justement, au sujet de l’histoire que explique le disque, son synopsis tient dans les trois 1ères phrases de Saul en ouverture : “Il s’agit d’un petit mec de province/Il aime la musique et le cinéma/Il va au lycée mais il déteste ça.”
Lionel Limiñana — Oui, absolument. C’est moi et tous les potes de l’époque. L’histoire n’est pas autobiographique, mais on cause des mêmes personnages depuis deux ou trois disques. Le genre de types qui me touchent le plus, qui ne font pas de sport, qui écoutent des disques un peu tordus et qui aiment les films de Woody Allen, Lautner, mais aussi les 1ers Godard. Le plus souvent, ces mecs sont devenus des punks, des mods ou des rockeurs. Des styles très marqués esthétiquement.
Rien n’était calculé de notre part, mais c’était intéressant de mélanger les codes que Laurent et nous avons connus dans notre jeunesse – Lionel Limiñana
Le genre d’adolescent·es ayant grandi dans des villages comme le vôtre ?
Lionel Limiñana — Nous, on venait de Cabestany, où l’on vit toujours. Ce qui a été salvateur, c’était l’ennui, et le fait qu’il y avait quatre ou cinq disquaires en ville et des bibliothèques bien achalandées et des librairies où l’on allait se réfugier. C’était notre seule obsession. Quand tu n’avais pas de thune, tu achetais un disque et tu l’écoutais pendant six mois nuit et jour, tu relisais les notes de pochette, tu savais que Steven MacKay avait enregistré le saxophone de Fun House [deuxième album des Stooges sorti en 1970], même si tu n’avais aucune idée de qui c’était parce que tu n’avais pas internet.
Y avait-il, même inconsciemment, la transposition d’un fantasme américain à votre région pyrénéenne ?
Lionel Limiñana — Curieusement, cette partie-là du Sud rappelle en effet plein d’endroits de la Californie, notamment quand tu te rapproches des paysages sauvages au sortir de la ville de Collioure. Beaucoup de westerns ont d’ailleurs été tournés de l’autre côté de la frontière – je ne comprends pas pourquoi notre région n’est pas davantage exploitée par les cinéastes. Cela dit, rien n’était calculé de notre part, mais c’était intéressant de mélanger les codes que Laurent et nous avons connus dans notre jeunesse. Dans les années 1980 et 1990, Marie et moi fréquentions souvent les clubs autour de Perpignan.
À l’instar des clubs, les disquaires étaient pour vous comme des oasis dans ces paysages arides.
Laurent Garnier — Quand j’étais jeune, mes trois repères étaient les cinémas, les disquaires et les discothèques, où je passais mes dimanches après-midi devant les platines de la cabine du DJ à noter tous les disques qu’il passait. C’était notre soupape. Je pouvais faire deux heures de bus pour aller chez Champs Disques et écouter des vinyles en import, alors que mes potes préféraient jouer au foot.
Lionel Limiñana — Sans faire le vieux con, certains disquaires indépendants ont pu changer notre vision du monde. La 1ère fois que j’ai entendu du garage punk américain des années 1960, qui est ma musique préférée au monde, c’était grâce à un vendeur de disques. Les disquaires sont de véritables passeurs, ce n’est pas grâce à Spotify que j’aurais découvert ça.
Chez The Limiñanas, il y a une approche presque désuète de la musique, vous paraissez refuser les motifs de modernité de l’époque.
Lionel Limiñana — Avec Marie, on a un garçon de 13 ans, on ne comprend pas vraiment la musique qu’il écoute, mais on l’entend. On revendique naturellement notre classicisme, sans jamais se forcer. Ce serait tricher que de faire autrement. Pour autant, je ne suis pas nostalgique, et je refuse l’étiquette de tribute band qui nous est parfois accolée à tort. J’ai simplement été marqué viscéralement par quelques albums dans ma jeunesse, comme Histoire de Melody Nelson que j’écoutais tous les jours au casque en prenant le bus pour aller au travail. Vingt ans après, il en reste forcément des traces lorsque je ramène le médiator près du micro pour jouer un riff de basse, comme sur Melody.
Laurent Garnier — Si la trame de De película est très connotée seventies – la décennie de notre enfance et de notre adolescence –, certains morceaux du disque peuvent rappeler Massive Attack, The Stone Roses ou d’autres groupes de Manchester.
Encore une fois, il y a des clins d’œil aux productions spectoriennes ainsi qu’à Can, le groupe allemand pour lequel vous partagez une passion commune.
Lionel Limiñana — C’est une manière d’aborder des artistes intouchables comme Phil Spector ou Can. À la différence de nous, ils enregistraient tous en live dans la même pièce du studio. Depuis que Raph Dumas, un DJ de Perpignan, et Pascal Comelade nous ont montré que l’on pouvait enregistrer une guitare fuzz avec un ordinateur à la maison, ils ont changé ma vie. C’est ainsi qu’avec Marie nous avons fondé The Limiñanas, avant de se faire remarquer par un label américain [Trouble In Mind Records] via MySpace.
Grâce aux Limiñanas, j’ai appris à ne plus avoir honte de ma musique – Laurent Garnier
Pour revenir à Pascal Comelade, outre le musicien catalan le plus célèbre de l’Hexagone, il demeure un modèle à la fois absolu et exemplaire.
Lionel Limiñana — En sus d’être un ami qu’on aime profondément et qu’on respecte plus que tout, Pascal nous a beaucoup appris. Avec la générosité et la discrétion qu’on lui connaît. Ce sont avant tout les rencontres qui déterminent et jalonnent notre discographie.
Laurent Garnier — Si nos productions paraissent assez éloignées musicalement, nous appartenons au même univers avec Lionel et Marie. Notre association tombait finalement sous le sens. En faisant un essai sur Saul, nous avons mesuré à quel point nous étions pleinement en phase. Et s’il n’avait pas été concluant, on aurait organisé une bonne bouffe. Pour les remixes, j’ai toujours adopté la même démarche : je propose, l’artiste dispose. Dans ma carrière, j’ai trop souffert avec F Communications des remixes coûteux et frustrants, comme lorsque Lil’ Louis, l’un des dieux vivants de la house de Chicago, avait remixé l’un de mes morceaux pour un résultat décevant qui ne satisfaisait personne. Avec la musique, il ne faut pas se prendre le chou. L’essentiel est d’abord de se faire plaisir.
Lionel Limiñana — C’est même une règle d’or. Et tant pis si c’est une position un peu égoïste.
Laurent Garnier — Ce n’est pas égoïste, Lionel, on n’impose rien à personne. On ne fait que de la musique et on ne peut pas plaire à tout le monde. C’est exactement dans cet esprit-là que l’on a réalisé De película : nous avons pris du plaisir à le faire, le disque nous satisfait, et s’il plaît à d’autres, ce sera la cerise sur le gâteau.
Qu’est-ce que chacun a appris de l’autre à l’aune de votre collaboration à six mains ?
Lionel Limiñana — À ne pas lâcher le morceau. Grâce à Pascal Comelade, j’avais appris à couper des pistes et à faire le deuil d’un riff, ce qui est toujours traumatisant lorsque tu enregistres. Avec Laurent, j’ai appris à aller le plus loin possible dans le mixage.
Laurent Garnier — Je cherche…
Lionel Limiñana — Tu as déjà appris la recette des migas, un vieux plat de Juifs pieds-noirs hérité de ma grand-mère, dont on a utilisé le nom dans les paroles d’un morceau.
Laurent Garnier — En réfléchissant bien, je dirais que je n’ai pas souffert de la frustration du non-musicien, comme je peux l’entendre trop souvent dans la musique électronique. Ça m’a touché profondément de recevoir des compliments de Lionel et Marie sur la qualité de composition des mélodies. Depuis trente ans, je vis avec la problématique de monter
dans un taxi pour aller à l’aéroport et de ne jamais savoir quoi lui répondre lorsqu’il m’interroge sur mon métier. Le pire, c’est quand il me demande quel style de musique je mixe comme DJ… Jamais je ne dis de la techno. Je m’en sors souvent en parlant de musique électronique et de jazz, un mot rassurant pour une personne lambda. Grâce aux Limiñanas, j’ai appris à ne plus avoir honte de ma musique. Comme s’ils m’avaient libéré d’un poids de longue date. D’ailleurs, les morceaux techno que je suis en train d’élaborer seront sans doute les plus musicaux de toute ma discographie. Et ce sera peut-être mon ultime album techno.
De película (Because/Virgin Records). Sortie le 10 septembre
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