Limsa d’Aulnay : “J’ai la chance de pouvoir être plus vulnérable que les rappeurs avec lesquels j’ai grandi“

De son patronyme à ses morceaux, Limsa d’Aulnay donne l’impression de porter en lui l’histoire récente d’Aulnay-sous-Bois, cette commune du 93 à laquelle tout le ramène sans cesse. Chacun de ses textes contient ainsi une référence à “ASB”,...

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De son patronyme à ses morceaux, Limsa d’Aulnay donne l’impression de porter en lui l’histoire récente d’Aulnay-sous-Bois, cette commune du 93 à laquelle tout le ramène sans cesse. Chacun de ses textes contient ainsi une référence à “ASB”, cette ville où la dureté des conditions de travail s’ajoute à celle du chômage, où chaque rue semble épeler un bout de son histoire, où certains vivent en marge du circuit économique légal (“ASB, ça schlass pour de vrai”), où des mecs fument des clopes en racontant des anecdotes que leurs potes ont déjà entendues mille fois.

Toutes ces histoires donnent en tout cas de la profondeur à la trilogie Logique, entamée comme “un chant du cygne” en juillet 2020 et intelligemment conclue avec le dernier volume. En six titres, dont un révélé en janvier 2021 pour Chambre noire chez Radio Nova, Black Room, c’est toute la vie de Limsa qui semble être circonscrite : ses rêves déchus (“Petit j’croyais que j’serai footballeur”), ces moments où la peine glisse vers l’amertume, cette volonté de ne pas servir d’exemple (“À chaque fois qu’un p’tit me d’mande des conseils/J’lui dit tout c’que j’ai fait, bah j’te le déconseille”) et ces petits aléas quotidiens qui ont forgé sa vision de vie. “Je serai malhonnête de dire que je suis toujours en bas de mon immeuble à fumer des joints avec mes potes, admet-il sans peine. Aulnay, c’est avant tout une ville avec laquelle j’entretiens un rapport d’amour/haine. C’est le lieu où je me sens le mieux et le moins bien.”

L’amour du micro

Reste que, s’il est un homme de l’autre côté du périph’, avec tout ce que cela transporte de stéréotypes fumeux et de raccourcis sociologiques, cet ancien médiateur ne se sent jamais aussi à l’aise que derrière un micro, seul endroit à même d’accueillir toutes ses confessions, ce rap introspectif qu’il défend dans chacune de ses chansons, brutes, stylisées et “toplinées par une kalash”. Le ton est parfois léger, d’autres fois rigolo, mais tout est bien là, tapi au fond de lui en un magma de vieux souvenirs.

Car, s’il maîtrise l’art du contrepied et du second degré, Limsa a surtout du mal à cacher son mea-culpa, ses pensées intimes (“La mère de ma mère, elle est presque parfaite car elle m’a tout appris, gros, sauf à vivre sans elle”) et son désenchantement vis-à-vis de l’industrie. “J’ai 35 ans et n’ai sorti que trois EP (comme si CBT et Les Fleurs de Limsa, deux projets sortis en 2015, n’avaient jamais existé, ndlr), mais j’ai déjà l’impression de voir les mauvais côtés de tout ce business. Un peu comme si j’avais conscience que plus ça allait le faire pour moi, moins je pourrais conserver l’essence de ma musique. D’où l’envie de ne pas faire long feu, de sortir un album et de passer à autre chose.”

Des freestyles, du plaisir et de la chanson française

Au moment de prendre sa retraite, que l’on espère le plus tard possible, Limsa pourra dire aux plus jeunes qu’il a commencé le rap au début des années 2010, aux côtés de Georgio, de Sopico ou de PLK. Qu’il a fréquenté les gars de la 75e Session, dont Népal, qu’il se plaît à citer en entrevue. Qu’il était proche de la scène belge (Isha, Caballero ou JeanJass, à la production de Comme la lune). Qu’il a excellé dans les freestyles où Nekfeu et Lomepal l’invitaient. Les gamins appelleront sans doute leurs parents pour leur dire qu’un vieux du quartier a oublié de prendre ses médocs. Et pourtant, tout est vrai.

Ce qu’il ne faudra pas oublier de expliquer, toutefois, c’est la façon dont ce petit gars de la cité Emmaüs s’est toujours laissé porter par l’émotion, y compris dans ses morceaux les plus techniques. À l’entendre, cette écriture au service de la vulnérabilité serait redevable à la pop française, dont il cite volontiers les principales figures dans ses chansons (Étienne Daho dans 4 décembre, Françoise Hardy dans Black Room) : “À l’adolescence, alors que je n’écoutais que du rap, la variété était l’un des rares styles qui pouvait m’émouvoir. J’y entendais des formulations que je ne retrouvais pas ailleurs, rembobine-t-il, avant d’évoquer un moment précis. À 13 ans, je me rends en Algérie pour la 1ère fois et je m’achète un tas de CD sur les marchés. C’était de la contrefaçon, mais c’était moins cher que des bonbons. J’étais tellement curieux que je suis même revenu en France avec un disque de Julio Iglesias…”

Plutôt que les grands romantiques, ce sont surtout les perdants magnifiques qui le passionnent (Salif, Nubi, Hifi). Ceux qui, comme lui, avancent uniquement guidés par le “plaisir”, ce mot qu’il répète à plusieurs reprises lorsqu’on lui demande ce qui l’incite à retourner en studio. “Je suis un branleur qui déteste le goût de l’effort. Si je ne ressens pas un peu de plaisir à créer, je ne peux rien faire.” Traduction : Limsa fait partie de ces artistes qui se plongent dans la musique pour se sentir vivre, qui se fichent de ce qui marche à la radio, de ce que réclament les maisons de disques, et qui cherchent juste à donner vie à des projets sincères, comme “aveuglés par la passion et l’émoi”. “L’idée, c’est toujours d’être fier et de rendre fier les proches. Par le passé, j’avais parlé de poser un jour nu en couverture des Inrocks. Au bout de trois EP, j’ai déjà le droit à une entrevue. C’est pas mal, non ? Ma grand-mère va être contente”.