“Little Palestine”, un grand film et un acte de résistance puissant

Yarmouk est une ville en banlieue de Damas en Syrie. C’est aussi le plus grand camp de réfugié·es palestinien·nes au monde. Durant la révolution syrienne, le quartier est assiégé par le régime de Bachar el-Assad. Les habitant·es se retrouvent...

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Yarmouk est une ville en banlieue de Damas en Syrie. C’est aussi le plus grand camp de réfugié·es palestinien·nes au monde. Durant la révolution syrienne, le quartier est assiégé par le régime de Bachar el-Assad. Les habitant·es se retrouvent alors prisonnier·ères de la ville, privé·es de nourriture, d’eau, d’électricité, de médicaments, assailli·es par les bombardements.

Ancien étudiant en sociologie, Abdallah Al Khatib, derrière et parfois devant la caméra, est encore employé aux Nations unies quand commence la révolution. Au début du film, on le voit déchirer sa carte de membre et devenir, par ce geste symbolique, cinéaste – c’est son 1er film. Dans ce temps suspendu que représente le siège, ce temps qui est aussi “la plus redoutable prison” dit-il, Abdallah filme sa mère, infirmière qui se rend au chevet de malades esseulé·es. Il filme les décombres d’une ville semblable à un château de sable, les vieillard·es et les enfants de la rue, les manifestations réprimées qui semblent aussi raviver le cœur des habitant·es par une colère salvatrice et la consolation d’être ensemble.

Devoir de mémoire

Il filme comme il marche, pour donner du mouvement à ce qui n’en a presque plus et capte quelque chose de la grande fébrilité psychologique que provoque la faim qui assaille les hommes et les femmes, une captation sur un mode très quotidien, et donc paradoxalement plus proche de la vie que de la mort. Little Palestine est par sa nature clandestine un film important, qui accomplit un devoir de mémoire et donne à voir ce que l’on ne voit nulle part et qui se réduit souvent à des données chiffrées amères.

Mais c’est aussi un grand film de cinéma qui invente dans le cadre de son décor désolé des petits miracles de mise en scène. Comme cette séquence que l’on croirait sortie d’un rêve étrange, où dans un champ d’herbes fraîches, peut-être seul carré de verdure à avoir survécu au gris de la poussière ambiante, une enfant accroupie ramasse des pousses vertes pour les manger. Concentrée à sa tâche, elle explique avec détachement et sagesse, le quotidien, la faim de son petit frère, l’école où elle ne va plus. De l’autre côté, Abdallah Al Khatib la questionne et en hors-champ ce sont les obus que l’on entend s’écraser au sol sans que les deux protagonistes ne se décident à quitter les lieux. La séquence est saisissante de beauté plastique, mais elle est aussi ahurissante parce qu’elle montre et fait exister quelque chose d’impensable, de quasi schizophrénique, un état fou du monde, une cohabitation entre l’enfance d’un côté, et la guerre de l’autre.

Little Palestine de Abdallah Al Khatib le 12 janvier 2022