L'obligation vaccinale vous interroge? La philosophie nous aide à y voir plus clair

VACCIN - Dans les mois qui viennent, allons-nous tous être obligés de nous faire vacciner? Depuis le discours d’Emmanuel Macron lundi 12 juillet, l’hypothèse est dans tous les esprits. Si l’heure n’est qu’à l’incitation, un futur dans lequel...

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Liberté, équité, transparence, ces enjeux éthiques soulevés par l'obligation vaccinale

VACCIN - Dans les mois qui viennent, allons-nous tous être obligés de nous faire vacciner? Depuis le discours d’Emmanuel Macron lundi 12 juillet, l’hypothèse est dans tous les esprits. Si l’heure n’est qu’à l’incitation, un futur dans lequel la vaccination deviendrait obligatoire ne semble plus relever de la fiction.

Si ce scénario venait à se dessiner plus précisément, nul doute que les débats, qui ont déjà pris une ampleur considérable à ce jour, feront rage. Est-il moralement légitime de rendre la vaccination obligatoire? Peut-on imaginer que l’acte de se faire vacciner contre le Covid-19 représente un devoir, au même titre que celui, par exemple, de porter la ceinture au volant?

Critique d’une soi-disant “dictature”, comparaison avec la Shoah ou l’Apartheid, depuis quelques jours, les arguments d’une partie de la population se montrant réticente au pass sanitaire et contre une obligation vaccinale se font de plus en plus violents et déplacés.

Néanmoins, au-delà de ces arguments déraisonnables, voire extrêmes, le doute, les interrogations, l’inquiétude que pourrait susciter une telle mesure sont légitimes, et la question soulève de nombreuses interrogations d’ordre éthique et philosophique.

“Apatrides sanitaires”

L’un des problèmes qui pourraient être posés par une obligation vaccinale à l’échelle de la population entière est d’abord celui des “apatrides sanitaires”. “Je réprouve le moralisme vaccinal qui distinguerait les vaccinés de ceux qui ne le sont pas, ou qui ne peuvent pas l’être. Ériger la vaccination comme un mérite qui permettrait de s’autoriser ce qui sera interdit à d’autres, ne relève pas d’une évidence éthiquement acceptable sans en débattre”, notait dans Libération Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, en février dernier.

Selon lui, rendre obligatoire la vaccination détournerait la suspicion “vers ceux qui ne sont pas vaccinés, parmi lesquels nombre de personnes vulnérables (...). Comme si devait leur être imputée l’irresponsabilité ou la culpabilité d’avoir transgressé la règle”. Une telle mesure créerait une sorte de “communauté sanitaire”, dont seraient exclus ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas obtenir le pass; des apatrides, privés du droit de se rendre dans certains lieux ou de pratiquer certaines activités.

“Quelles pourraient être les conséquences sur le plan populationnel? Aura-t-on affaire à une police des mœurs? Comment les personnes non vaccinées justifieraient-elles cela dans la vie de tous les jours?”, s’interroge Philippe Bizouarn, médecin réanimateur au CHU de Nantes et docteur en philosophie, contactée par Le HuffPost. “Je crains un aspect discriminatoire pour toute une partie d’individus qui ne se rendent pas chez le médecin ou ont moins accès aux soins”, ajoute-t-il.

Liberté de choisir

Mais l’un des principaux arguments brandis à l’encontre du pass sanitaire ou de l’obligation vaccinale est celui de la liberté individuelle. “C’est dire que rendre obligatoire le vaccin diminue la liberté de choisir”, souligne Philippe Bizouarn. Mais cet argument est rapidement contrebalancé par celui du préjudice fait à nous-mêmes ou aux autres. Car si je refuse de me faire vacciner, je prends le risque de me porter préjudice à moi-même si je tombe gravement malade, ou aux autres en leur transmettant le virus. Et si de très nombreux individus refusent de se faire vacciner, d’autres restrictions de liberté seront probablement mises en place, comme un confinement. Donc quelle est la meilleure alternative? Quelle stratégie est la moins contraignante en termes de liberté?

“C’est là que vient se nicher l’obligation vaccinale: on essaye de diminuer le moins possible les restrictions tout en réduisant le préjudice sur les autres”, poursuit le médecin.

Comme le rappelle par ailleurs la professeure de droit public à l’École de droit de la Sorbonne, Diane Roman, “toute vie en société implique des limitations aux libertés: faut-il encore une fois rappeler l’article 4 de la Déclaration de 1789 (un modèle de libéralisme par ailleurs)? ‘La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi’. Le passe sanitaire est tout autant “discriminatoire” que le serait le code de la route, qui interdit de conduire sans permis, ivre ou sans ceinture de sécurité”. Elle ajoute sur sa page Facebook que ce point est d’autant plus valable dès lors qu’il s’agit de santé publique. “La santé n’est pas qu’une question individuelle: c’est aussi un enjeu public. L’histoire de la santé publique est faite de mesures collectives, visant l’intérêt général et restreignant parfois les libertés individuelles”, écrit-elle.

C’est également ce que souligne l’eurodéputé Raphaël Glucksmann dans un post très partagé sur Instagram: “Je suis libre tant que ma liberté individuelle ne nie pas celle des autres ou de l’ensemble. Simple. Or, dans ce cas précis, ne pas me faire vacciner condamne potentiellement toute la nation au confinement à moyen terme. Donc voir mes droits d’accès limités parce que je décide de faire peser un risque sur l’ensemble, ce n’est pas attaquer mes droits, c’est normal. Basique”.

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“Cet argument de la liberté est souvent brandi sans que l’on se rende compte de ses implications. Notre comportement a toujours un impact, et si ma liberté individuelle implique de nuire à autrui, alors on sera toujours prêt à la limiter”, avance auprès du HuffPost Samuel Lepine, maître de conférences en philosophie morale et politique à l’université Clermont Auvergne.

La santé, un bien commun

À partir du moment où l’on vit en société et que des biens communs existent -la santé publique en faisant partie- et à moins de prôner un libertarisme démesuré, nos libertés sont forcément limitées. Cela vaut aussi si l’on considère que l’immunité collective, qui peut être apportée par la vaccination d’un grand nombre d’individus, est également un bien commun. Et pour Philippe Bizouarn, elle en est un. Pourquoi? “Un bien est commun s’il répond à deux principes, la non-exclusivité et la non-rivalité. Or, l’immunité peut être atteinte par tous, et je n’empêche pas les autres de l’avoir si je décide de me faire vacciner. Donc l’immunité collective est un bien commun, au même titre que l’air qu’on respire”, explique le philosophe.

Le contre-argument sous-jacent à celui de la liberté est celui du risque purement individuel pris par la personne ne souhaitant pas se faire vacciner. Or, ici, aussi cocasse que cela puisse paraître, l’obligation vaccinale pourrait être comparée à celle de porter la ceinture sur la route. Cette analogie est soutenue par deux chercheurs en bioéthique à l’université d’Oxford, Alberto Giubilini et Julian Savulescu, chercheurs en bioéthique à l’université d’Oxford, et analysée par Samuel Lepine dans un article intitulé: “Si vous êtes pour le port de la ceinture, pourquoi ne seriez-vous pas aussi pour l’obligation vaccinale?”.

Si je n’attache pas ma ceinture, et que je suis victime d’un accident, je peux penser que je serai le seul concerné. Mais c’est faux. Ce refus peut avoir des conséquences sur d’autres individus et même sur le système de soin. Si j’ai un accident, “ce qui ne concerne a priori que moi concerne ensuite les personnes qui vont devoir prendre soin de moi, et ensuite les hôpitaux”, indique Samuel Lepine.

L’obligation vaccinale, telle qu’elle semble portée par le gouvernement à l’heure actuelle, reprend en quelque sorte l’argument des utilitaristes, et plus précisément celui du “harm principle” (principe de non-nuisance) de John Stuart Mill, à savoir: le seul argument valable pour une société de contraindre la volonté d’un individu est d’empêcher de causer du tort à autrui, de nuire à autrui.

Quant à l’argument selon lequel je n’ai pas besoin de me faire vacciner car les autres le feront à ma place, et que, par conséquent, je pourrai quoi qu’il arrive bénéficier de l’immunité collective, il tombe à l’eau dès lors que l’on avance l’impératif catégorique de Kant: “Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle”. Si tout le monde agit selon la même maxime et refuse le vaccin pour cette raison, alors personne ne se fait vacciner.

Coercition proportionnelle

Toutefois, les inquiétudes et les peurs relatives à la vaccination sont audibles, et si l’obligation vaccinale venait à être étendue, les critères de celle-ci devront être scrutés avec attention. “Nos libertés individuelles sont malgré tout mises en péril et il n’est pas absurde de s’inquiéter. Des enjeux sécuritaires viennent se greffer sur les questions sanitaires. Il faut veiller au respect de nos droits fondamentaux”, note Samuel Lepine.

L’un des enjeux sera celui de l’iniquité. Comment faire en sorte que tout le monde ait accès au vaccin, et ce de manière équitable? Cela ne concerne pas que la France, mais le monde entier. Et c’est l’un des points soulevés par l’OMS dans un rapport sur l’obligation vaccinale publié en avril 2021. “L’approvisionnement en vaccin doit être suffisant et fiable, avec un accès gratuit et raisonnable à ceux pour qui il devient obligatoire”, note l’organisation. 

Un autre enjeu sera celui de la coercition, dont l’application doit être proportionnelle à son application, note également l’OMS. “Toute la question sera comment et quel type de punition. Celle-ci devra présenter un aspect proportionnel par rapport à l’application de l’obligation”, note Philippe Bizouarn. “Ce que je crains dans une telle obligation légale, c’est le couperet que cela peut représenter. Il faut accompagner, expliquer. Dans tous les cas, quelle que soit la manière dont on va obliger, que ce soit moralement ou légalement, une population entière à se faire vacciner, il faudra rester sur une transparence totale des arguments et continuer d’expliquer”, ajoute-t-il. 

Car au-delà des aspects purement théoriques, éthiques ou philosophiques d’une telle mesure, le contexte a son importance. Et sur ce point, en ce qui concerne l’obligation vaccinale pour les soignants, Philippe Bizouarn comme Samuel Lepine s’accordent à dire que le calendrier doit être pris en compte, et la transparence de mise. 

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