Locarno : l’apocalypse post-Covid selon Ferrara et la grâce d’un 1er film français

La crise sanitaire aura décidément inspiré Abel Ferrara. Un an après avoir présenté à Venise Sportin’ life – documentaire auto-fictionnel dans lequel il se filmait, lui et son entourage, confiné·es dans la capitale allemande en pleine Berlinale...

Locarno : l’apocalypse post-Covid selon Ferrara et la grâce d’un 1er film français

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La crise sanitaire aura décidément inspiré Abel Ferrara. Un an après avoir présenté à Venise Sportin’ life – documentaire auto-fictionnel dans lequel il se filmait, lui et son entourage, confiné·es dans la capitale allemande en pleine Berlinale –, le réalisateur de Bad Lieutenant revient à Locarno avec un nouveau film, de fiction cette fois, hanté par le spectre de la pandémie.

Rome, ville fermée

“C’est un film de guerre et de confinement, de danger et d’espionnage, avec des soldats américains, des Chinois de classe moyenne, des saints du Moyen-Orient, des provocateurs, des diplomates mais aussi des voyous de la CIA ou du KGB.” C’est ainsi qu’Abel Ferrara himself présente Zeroes and Ones, film étrange et boiteux dans lequel tourbillonne tout le chaos de notre monde pandémisé.

Il s’ouvre sur l’arrivée en gare de Rome d’un soldat américain (Ethan Hawke), le bas du visage (qu’on devine marqué par la vie) recouvert par un masque FFP2. Chargé d’une mission trouble par un supérieur qu’on ne distinguera que par écran interposé, J. J. devra déjouer un complot mondial dans les artères dépeuplées de la capitale italienne, soumise à un confinement drastique et défigurée par les bombes. C’est que Ferrara imagine un futur proche et dévoyé dans lequel la pandémie, loin d’avoir freiné sa course, aurait muté en un conflit géopolitique opaque, dont le film ne distille qu’une poignée d’indices sur sa nature exacte.

Dans une Rome invariablement enténébrée (il faut parfois écarquiller grands les yeux pour distinguer quelque chose), le cinéaste laisse libre court à son pessimisme patenté et offre une vision lugubre de l’avenir proche. La ville éternelle y devient le théâtre d’un conflit interlope et planétaire, où se croisent espions américains, oligarques russes, mystiques du Moyen-Orient, et trafiquants de drogue chinois ; tandis que les stigmates de la pandémie sont visibles partout : des masques que portent les militaires aux contrôles sanitaires radicaux auxquels sont soumis les civils. Et Dieu sait quel sort est réservé aux cas positifs dans ce monde rendu fou par une crise généralisée. Fait remarquable : on assiste, dans l’une des rares scènes à peu près lumineuses d’un film profondément dépressif, au 1er baiser masqué de l’histoire du cinéma post-Covid.

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Cauchemar covidien et considérations mystico-politiques

De ce cauchemar covidien, Ferrara tire quelques images envoûtantes (quand les ténèbres ne les rendent pas invisibles) et filme Rome à la manière d’un néo-noir post-apocalyptique, mais s’égare hélas dans des considérations mystico-politiques farfelues, tantôt parfaitement absconses, tantôt trivialement axiomatiques. En doublant le personnage d’Ethan Hawke, qui incarne J. J. donc, le soldat américain en garnison à Rome, mais aussi son frère, un révolutionnaire rétif capturé par l’ennemi, Ferrara fait du 1er une figure messianique et repentante (en témoignent les montages didactiques qui le comparent aux Christ en croix qui parsèment le Vatican) et du second le héraut outragé d’une vindicte populaire qui agite secrètement le monde. Dans une scène à la limite de la parodie (involontaire), alors qu’il est soumis à un interrogatoire musclé, le frère révolutionnaire laisse déborder sa rage dans un monologue hargneux mais franchement balourd, constellé de lieux-communs et de phrases au comique accidentel comme “Vous l’ignorez, mais les strip-teaseuses sont toutes marxistes”. Soit.

Loin d’être l’un sommets de la filmographie de son auteur, qui en compte quelques-uns, Zeroes and Ones se fera sans doute davantage remarquer pour sa nature de film né de la pandémie que pour ses qualités intrinsèques.

Teen-movie à fleur de peau

Au pessimisme plombant de Ferrara, on préférera la grâce mélancolique de L’Été l’éternité, 1er long métrage d’Emilie Aussel (déjà remarquée pour ses courts), présenté à Locarno dans la sélection Cinéastes du présent.

Teen-movie à fleur de peau, L’Été l’éternité dépeint avec splendeur et délicatesse le deuil de Lise, adolescente solaire qui, l’été de ses 18 ans, perd tragiquement sa meilleure amie, victime d’une noyade après une journée heureuse passée sur la plage avec leur bande. Incapable d’affronter cette épreuve, accablée par la tristesse, Lise fuit ses amis et son petit copain, et trouve refuge auprès de trois jeunes gens, plus âgé·es qu’elle, qui occupent une sorte de squat d’artistes. L’une met en scène des pièces expérimentales tandis que ses deux camarades, du genre désoeuvrés, lui servent d’acteurs de fortune pour mener à bien un spectacle placé sous l’égide d’Antonin Artaud. Chacun·e va se révèler à Lise, tenter de la tirer de son chagrin, lui faire part, souvent avec une économie de mots impressionnante, des trajectoires difficiles de leurs vies respectives, elles aussi heurtées par des accidents, des deuils et une tristesse infinie. Et puis la vie, irrépressible, chargée d’embruns et de mélancolie, va continuer de s’écouler sur cette côte méditerranéenne où l’été semble ne jamais finir.

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Avec une incroyable justesse, Emilie Aussel saisit sur le vif les interrogations mutiques ou susurrées d’ados au carrefour de leur vie – tiraillé·es entre leur désir de fuite et leur besoin d’appartenance – et sculpte leurs émotions, tantôt retenues tantôt prêtes à déborder, à travers des dialogues ciselés qui suggèrent plus qu’ils n’expliquent. Avec son visage profondément mélancolique, comme échappé d’un tableau de Botticelli, la jeune Agathe Talrich irradie l’écran dans le rôle de Lise.

Porté par une mise en scène solaire et gracile, où l’on assiste à des fêtes enfiévrées ou à la lente disparition du soleil derrière une falaise, L’Été l’Eternité s’impose comme la révélation de ce festival, et sa réalisatrice comme une promesse sûre du jeune cinéma d’auteur français.