Loi "séparatisme": mais où est passée la droite républicaine?

Il est des textes de loi dont l’examen au Parlement a le mérite de clarifier les ambitions et le logiciel idéologique de celles et ceux que nous avons élus pour nous représenter. Assurément, le projet de loi visant à conforter les principes...

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Une manifestante porte un bonnet phrygien lors d'une manifestation contre le projet de loi

Il est des textes de loi dont l’examen au Parlement a le mérite de clarifier les ambitions et le logiciel idéologique de celles et ceux que nous avons élus pour nous représenter. Assurément, le projet de loi visant à conforter les principes républicains, anciennement nommé “de lutte contre les séparatismes”, dont l’examen s’est achevé hier soir au Sénat en est: il porte les stigmates infligés par une droite dont chacun est légitime à questionner le caractère républicain, tant les mesures ajoutées sont, à de nombreux égards, dangereuses et contre-productives.

S’il allait de soi, pour beaucoup, qu’un seul texte de loi ne suffirait pas à lutter et à enrayer le phénomène de radicalisation qui peut s’emparer de certains de nos concitoyens, il est en revanche une certitude, aujourd’hui, que par certains raccourcis idéologiques ou par certains biais de pensée, un texte peut renforcer les arguments de ceux qu’il prétend combattre.

Sans grande surprise tout d’abord, la majorité sénatoriale a fait du voile un objet politique et polémique. Se drapant de la vertu de protection de la dignité des femmes, ce avec quoi personne ne peut être en désaccord, les sénateurs ont porté un coup dur à la jurisprudence du juge administratif et accrédité, à défaut, le discours des fondamentalistes. Le Conseil d’État a, en effet, toujours considéré que les collaborateurs occasionnels du service public que sont les accompagnateurs des sorties scolaires n’étaient pas soumis à l’obligation de neutralité: en revenant sur cet état de fait et de droit, ce qu’il a la faculté de faire comme législateur, le Sénat assène un coup fatal à la promesse républicaine. En interdisant à certaines femmes d’accompagner leurs enfants parce qu’elles portent un signe ostensible, le législateur les exclut, de fait, de la vie de la société et de l’école, lieu par excellence de l’inclusion sociale. Ce faisant, il renforce le ressenti de certains dans le pays, selon lequel ils ne seraient pas les bienvenus en notre République.

 

Parce qu’il confond la justice qui punit puis réhabilite, et la solidarité qui protège, ce dispositif est une gifle à la République, que le texte prétend pourtant renforcer.

 

Outre ce débat, qui a par ailleurs conduit la Chambre haute à interdire aux enfants le droit d’arborer des signes ostensibles –ce que permet la convention dite “de New-York” relative aux droits de l’enfant– le Sénat a adopté un amendement permettant que soit réglementé “le fait d’arborer des drapeaux autres que ceux de la République française ou de l’Union européenne” lors d’un mariage. Dans une confusion totale entre nationalité, citoyenneté, foi et culture, par cet amendement adopté, la majorité sénatoriale témoigne de ce qu’elle n’a rien compris des réalités dans notre pays. Soufflant sur les braises des mémoires de notre Histoire, cet amendement véhicule l’idée, mortifère pour la République, selon laquelle on ne pourrait être citoyen français qu’à la condition de taire, d’enfouir, de cacher ses origines. Reprenant là le logiciel de la droite dure et de l’extrême droite quand elles font de “l’assimilation” l’un de leurs dogmes de pensée, cette droite piétine et balaie d’un revers de main toute tentative de réconciliation dans la société, pourtant appelée de leurs vœux par les travaux de nombreux historiens et chercheurs, tels Benjamin Stora ou Pascal Blanchard.

En outre, sous prétexte de réaffirmer la République, la version sortie du Sénat, avec laquelle le Gouvernement a même indiqué être en désaccord, pourrait faire dans le pays beaucoup plus de dommages qu’il n’y paraît. Symptôme d’une perte totale de repères sur ce qui fonde la solidarité nationale, le Sénat a voté la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. S’il est certain que le sujet mérite toute l’attention du législateur, la méthode employée est en tous points l’illustration de ce que cette droite méconnaît les fondements élémentaires de notre Constitution et de nos institutions: la protection sociale universelle en France n’est pas un outil de chantage ni de soumission des citoyens. Parce qu’il confond la justice qui punit puis réhabilite, et la solidarité qui protège, ce dispositif est une gifle à la République, que le texte prétend pourtant renforcer.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, sans aucun doute le mal le plus cinglant qu’infligera ce texte de loi au pays vient du fait qu’une très large partie ne sera pas appliquée, et c’est tant mieux. D’une part parce qu’il faut espérer que la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale effacera les dérives du Sénat, d’autre part parce que même si elles étaient confirmées, un nombre important des dispositions du texte, dont certaines ont été précitées, seront très certainement censurées par le Conseil constitutionnel. Quelle image donnerait de lui un législateur qui, prétendant par sa dureté, sa résolution, son empressement et par sa sécession au galopant attrait de l’émotion, verrait son travail annulé parce qu’il a méconnu les principes qu’il prétend renforcer? La crise de confiance démocratique que traverse notre pays est trop grave pour que l’encre de la loi soit maniée avec tant de légèreté: au mieux elle ridiculise le législateur, au pire elle achève d’enraciner le non-consentement des Français à des politiques qu’ils jugent incapables. La droite sénatoriale leur donnera-t-elle tort? À suivre… ou pas.

 

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