“Loveless” de My Bloody Valentine, un chef-d’œuvre indépassable ?
Que n’a-t-on pas lu, relu et épluché depuis la parution de Loveless à l’automne 1991 ? Une avalanche d’articles sans fin – littéralement endless – pour analyser le deuxième album de My Bloody Valentine, déflagration révolutionnaire de bruit...
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Que n’a-t-on pas lu, relu et épluché depuis la parution de Loveless à l’automne 1991 ? Une avalanche d’articles sans fin – littéralement endless – pour analyser le deuxième album de My Bloody Valentine, déflagration révolutionnaire de bruit blanc qui fête son trentième anniversaire l’année où Kevin Shields a décidé de rendre enfin disponible la discographie de My Bloody Valentine en digital et sur les plateformes de streaming – une autre révolution à l’échelle de la musique dématérialisée en 2021, après tant d’années d’indisponibilité numérique pour les fans et les profanes de MBV.
En 1991, année pléthorique pour les chefs-d’œuvre visionnaires – Loveless, donc, mais aussi Blue Lines de Massive Attack, Laughing Stock de Talk Talk, Nevermind de Nirvana, Screamadelica de Primal Scream, Spiderland de Slint, la liste est trop longue pour être exhaustive –, paraît donc le successeur attendu d’Isn’t Anything (1988), 1er disque déjà haletant d’une noisy pop à la fois cotonneuse, mélodique et saturée.
Comme l’anticipait brillamment Arnaud Viviant dans ces colonnes dès la sortie de Loveless à l’automne 1991, “My Bloody Valentine, sans pour autant sortir du carcan rock, a en effet inventé quelque chose. Aux notions ordinaires de notes de musique ou de séquences synthétiques, ils ont substitué celle – plus atmosphérique – d’onde. Ils jouent des ‘ondes’, c’est-à-dire avec des déformations, des ébranlements, des vibrations du son. La musicalité de l’ensemble tient alors aux élongations, à la direction de la propagation, à l’amplitude, à l’ondulation, à la diffraction, à la résonance, à la crête de ces ondes. La musique, nous dit-on, est l’art de combiner des sons. Avec My Bloody Valentine, elle devient l’art de combiner des ondes musicales en tripatouillant leurs fréquences.”
Postérité d’un disque
En 2012, pour la 1ère réédition de Loveless remasterisé, Kevin Shields, leader obsessionnel et pointilliste du groupe dublinois, reconnaissait, avec franchise et morgue, la postérité de son disque illustré par une pochette fuchsia à l’effigie de la guitare Fender Jazzmaster dans ces pages : “J’étais certain que le temps lui rendrait justice. J’étais outré de me retrouver associé à cette scène shoegazing.
Un mot revenait dans les chroniques, qui m’exaspérait particulièrement : ‘rêveur’. Notre musique n’a jamais été avachie, assoupie, elle gardait toujours un œil ouvert, restait tendue, aux aguets. […] Loveless avait vraiment une direction, j’ai porté cet album dans ma tête, exactement tel qu’il devait être, pendant des mois. Le problème a été de le coucher sur bandes… […] Sur la seule chanson To Here Knows When, j’ai passé plus de trois mois à jouer sur le feedback du clavier en fond sonore.”
Fascination labyrinthique
Quarante-huit minutes et trente-huit secondes pour les onze plages de Loveless, dont le titre conclusif (et 1er single dévoilé en 1990 sur le maxi Glider EP), Soon, s’interprétera rétrospectivement comme un magnifique leurre à l’aune des vingt-deux années écoulées jusqu’à l’accouchement au forceps de m b v en 2013. Pourtant avare en compliments, Brian Eno considère même Soon comme “la musique la plus vague à jamais avoir été un hit”, et surtout “un nouveau standard pour la pop”.
Construit comme un monolithe sonore, Loveless est une véritable et intense immersion auditive, au point de ne plus discerner le passage d’un morceau enchaîné à l’autre, à l’instar de ces motifs saturés de guitares empilés, réverbérés et répétés ad libitum.
En sus de l’enregistrement dispendieux (qui faillit ruiner le label Creation d’Alan McGee, contraint de pactiser avec la major Sony Music) et d’une gestation douloureuse de vingt-quatre mois (épuisant rien de moins que seize ingénieurs du son, scrupuleusement recensés dans le livret dans le désordre alphabétique), cet album sidère et fascine par son architecture labyrinthique.
“Chaque nouvelle écoute, si elle est attentive, change en effet la donne, quitte à chasser bientôt le souvenir de l’écoute précédente : sous ses refrains d’habitude, ce sont alors révélées de nouvelles arabesques, d’autres plages d’ombre, si ce n’est carrément de stupeur”, écrit Guillaume Belhomme dans son livre My Bloody Valentine – Loveless (Densité, 2016).
Sans équivalent depuis trois décennies
Dans un numéro spécial des Inrockuptibles sur les cent meilleurs albums anglais de l’histoire, le journaliste Richard Robert évoque fort à propos le “mur du sang », faisant de Kevin Shields le Phil Spector des temps modernes : “Avec les guitares, les voix, les samples et les rythmiques fondues de Loveless, Kevin Shields a inventé ‘le mur du sang’ : un tissu nutritif épais et liquide, chaud et vivant, dans lequel les musiciens rock les plus vigoureux (Radiohead compris) viendront baigner leur inspiration.”
“Je ne voulais être ni un milliardaire ni une rock star, mais une influence” Kevin Shields
Car au-delà de l’empreinte phénoménale et définitive sur tout le mouvement shoegaze dans les années 1990, Loveless de My Bloody Valentine va infuser durablement dans tout le planisphère pop moderne – du Canada (Godspeed You ! Black Emperor) à l’Islande (Sigur Rós), de l’Ecosse (Mogwai) à la France (M83). “Je ne voulais être ni un milliardaire ni une rock star, mais une influence”, affirmait d’ailleurs Kevin Shields dans cette même entrevue en 2012.
Reconnaissant le profond impact sur lui dans une entrevue à The Quietus en 2014 (“Je n’avais jamais entendu une musique sonner ainsi, avec une telle densité”), l’expérimenté musicien américain Bob Mould (Hüsker Dü, Sugar) résumera Loveless d’une formule laconique : “Un disque unique et sans comparaison possible.”
Pierre philosophale du bruit blanc sans équivalent depuis trois décennies, Loveless reste ce tremblement de terre à l’échelle sonique de Richter, aux secousses infinies et répliques multiples, dont le titre idoine aurait été Nowhere, mais les shoegazers oxfordiens de Ride l’avaient déjà pris pour leur 1er album paru l’année précédente. Loveless is more.
Rééditions Ep’s 1988-1991, Isn’t Anything, Loveless, m b v (Domino/A + LSO/Sony Music). Sortie en CD et vinyle le 21 mai