Macron et le scalp de l'ENA: l'État déboulonne ses propres statues
La suppression de l‘ENA donne le top départ de la campagne présidentielle. Il fallait un geste, un symbole, le voilà. Que reste-t-il des présidents français? De Gaulle a laissé De Gaulle, Pompidou, le centre qui porte son nom avec ses tuyaux...
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La suppression de l‘ENA donne le top départ de la campagne présidentielle. Il fallait un geste, un symbole, le voilà. Que reste-t-il des présidents français? De Gaulle a laissé De Gaulle, Pompidou, le centre qui porte son nom avec ses tuyaux bleus, Giscard, la majorité à 18 ans et l’IVG, Mitterrand, les 35 heures et la retraite à 60 ans, Chirac, la fin du service militaire, Sarkozy, le causer peuple et le Fouquet’s, Hollande le défilé après Charlie hebdo. Pour Macron, ce sera la suppression de l’ENA. La belle affaire! Un scalp à montrer aux médias et aux gilets jaunes.
Lui seul pouvait le faire. Il en vient et en est même la caricature. Ses deux 1ers ministres sont énarques eux aussi. L’ENA est un mythe qui véhicule une série de mythes qui mêlent autant de vérité que de fantasmes.
Pour égaliser les chances, il suffirait de changer les coefficients des épreuves plutôt que de créer des voies de sélection parallèles, la pire des solutions!
La sélection. Non, ce n’est pas une chance que d’avoir fait l‘ENA comme on l’entend parfois. C’est un concours. Un concours ahurissant avec des candidats parfois époustouflants. Je le sais. Non seulement j’ai raté le concours à mon début de carrière mais j’ai eu l’honneur et le privilège d’avoir été, à sa fin, au jury de sélection trois ans de suite. Un concours sur un programme démentiel (droit, économie, finances publiques, questions sociales, questions internationales, questions européennes) qui suppose 15 heures de travail par jour sans week-end ni vacances. Une qualité qui sera utile par la suite lors des débats législatifs ou des négociations diplomatiques par exemple. Non, ce n’est pas (que) du bachotage. Loin des tweets rageurs de la toile, on demande aux candidats moins de restituer un apprentissage que de comprendre et d’analyser le monde dans lequel on vit.
Non, l‘ENA n‘est pas réservé aux jeunes loups bien nés. Le concours externe est celui des étudiants en fin d’études, souvent après une école (Sciences Po, HEC, Ecole Normale) et un master, avec six ou sept ans d’études derrière eux, tandis que les concours de Normale ou Polytechnique se passent à 18 ou 19 ans. Les deux autres concours sont réservés aux fonctionnaires et aux personnes du privé ayant une expérience de vie publique. La plupart ont autour de la trentaine mais certains ont 5 voire 10 ans de plus. Je me souviens d’une candidate passée par l’école des Chartes et devenue capitaine de gendarmerie mobile. Elle voulait changer de vie. Respect, madame. Un autre, ingénieur des Eaux et Forêts qui travaillait dans les parcs naturels. Respect monsieur. Cette critique sur l’arrogance des énarques leur va si mal!
À l’ENA, le CV anonyme s’appelle la copie. Le 1er filtre qui permet de passer de 1000 candidats à 80 est une série d’épreuves écrites. Des copies sans patronymes ni faciès. Certes, l’écrit est discriminant. Le style, le vocabulaire, la présentation, l‘analyse, la synthèse, l‘orthographe sont discriminants. Certes, le milieu culturel transparaît parfois. Est-ce une raison pour évacuer l‘écrit comme certains sont tentés de le faire? Il suffit de rappeler que dans l’administration, tout est écrit. J’ai passé ma vie à écrire. Des rapports de 300 pages pour caler les tables comme des notes de 15 lignes pour le décideur. Mais tout est écrit. Recruter sur dossier sans sélection écrite est une aberration démagogique. Le second filtre est à l‘oral (qui permet de passer de 80 admissibles à 40 admis). La culture et le style sont les atouts de l’écrit. L’expérience et la faconde sont ceux de l’oral. Et les chances basculent. Notamment aux deux grandes épreuves de sélection finale qui sont des oraux dits de comportement. J’ai connu des candidats visiblement bien nés, avoir 19 aux épreuves de connaissance et se faire rétamer à l’oral général, tandis que d’autres, tout aussi visiblement issus des quartiers moins favorisés, montrer des manques de connaissances patentes mais exceller aux oraux généraux. Qui gagne? Celui qui récite ou celui qui ose? Qui ose vaincra. Tous les candidats ont leur chance, leur point fort, à un moment ou à un autre du concours. Ce ne sont pas les mêmes moments, c‘est tout. Pour égaliser les chances, il suffirait de changer les coefficients des épreuves plutôt que de créer des voies de sélection parallèles, la pire des solutions!
Il y a bien des critiques à faire. Le fait que l’ENA forme davantage des hommes et des femmes qui comprennent un sujet dans sa globalité que des décideurs avisés.
Il y aurait bien d‘autres critiques à faire. Le fait que l’ENA est moins une école où l’on apprend quelque chose qu’un filtre de sélection aux postes de prestige ou de responsabilité. Ou encore, le fait que l’ENA forme davantage des hommes et des femmes qui comprennent un sujet dans sa globalité que des décideurs avisés. Imposer cinq ans en préfecture pour tout le monde à la sortie serait un excellent début de carrière. Ou bien encore, le fait que certains élèves qui ont réussi montrent jusqu’à la caricature qu’ils connaissent les dossiers mais qu’ils ne comprennent rien aux attentes du peuple. Le fait, surtout, que la crise sanitaire a montré les failles de l’appareil d’État, dinosaure pataud englué dans ses propres textes, ses propres peurs. Partout, l’État est bafoué. Il n‘a plus que les oripeaux d’un pouvoir qu’il n’exerce plus qu’auprès des sans voix, des sans organisation, des sans médias.
L’ENA était le joyau de la couronne républicaine. Le nombre de candidats étrangers témoigne de son prestige. Une fois de plus, l’État abandonne la partie. L’État déboulonne ses propres statues.
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