Marina Foïs : “Je fais des choix aussi éclectiques que mes goûts de spectatrice”
Marina Foïs enchaîne les rôles principaux avec une rapidité folle. Bien sûr, l’embouteillage de films, retenus longtemps par la fermeture des salles de cinéma, y est pour beaucoup. Mais quand même : après En roue libre de Didier Barcelo, sorti...
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Marina Foïs enchaîne les rôles principaux avec une rapidité folle. Bien sûr, l’embouteillage de films, retenus longtemps par la fermeture des salles de cinéma, y est pour beaucoup. Mais quand même : après En roue libre de Didier Barcelo, sorti le 29 juin, la voici cette semaine dans As Bestas, un très beau film de l’Espagnol Rodrigo Sorogoyen avec Denis Ménochet. Elle sera également à l’affiche de L’Année du requin des frères Boukherma le 3 août. Rencontre avec une actrice sans chichi, vive et disponible, totalement passionnée par son métier et par ceux et celles qui l’exercent, et attirée par la diversité.
Vous connaissiez les films précédents de Rodrigo Sorogoyen ?
Marina Foïs — Oui, je le connaissais avant qu’il ne m’appelle. J’étais folle de joie. Il est hyper intéressant. J’avais découvert un peu par hasard, en été, en 2016, Que Dios nos perdone, que j’avais adoré, et qui m’avait fait penser à Memories of murders de Bong Joon Ho. J’aime sa manière tout à fait particulière de filmer les hommes. Il n’a que quarante balais ! Ces hommes ont beau être toujours très virils, très costauds, on voit toujours en eux le petit garçon. C’est très étonnant, ce regard sur la masculinité. J’adore aussi comment il se coltine au genre tout en le dégenrant. Je le connais bien maintenant, il est supérieurement intelligent, il a besoin que tout aille vite, sinon il s’ennuie. Donc il a tout le temps envie d’inventer, de trouver des manières de filmer différemment, parce qu’il est cultivé et qu’il les connaît toutes, celles qui existent déjà. Donc il est passionnant dans la vie ! On répète beaucoup. Il pose des questions aux acteurs, aussi. Il y a plein de cinéastes qui posent des questions aux gens, mais lui, il écoute les réponses. Il sait très bien ce qu’il veut en règle générale, mais, parfois, il ne sait pas, alors on répète ensemble et on la cherche, la scène. Il a une liberté folle qui montre son assurance, ce qui n’a rien à voir avec la prétention. Je l’admire. Il est intellectuel, mais pas cérébralement chiant. Ou théorique. Comme Verhoeven ou Isabelle Huppert : je pense que leur plaisir est toujours au centre de leur travail. Et ce plaisir est communicatif. Ces artistes-là, qui savent transmettre ça, rendent les films encore plus beaux.
Ce qui est beau, je crois, c’est que Sorogoyen n’a pas peur, parfois, de digresser. Par exemple, dans cette scène où le film nous dit sans l’expliciter qu’une fille ne peut pas causer du couple que composent ses parents, parce qu’on ne sait jamais ce qui se passe réellement eux…
Oui. Et pareil pour nos enfants, qu’on ne connaît jamais parfaitement, d’ailleurs.
Tout à fait. Cette digression s’écarte du sujet du film, mais ça le rend en même plus intéressant, ça lui donne de l’épaisseur. Les chemins, les récits secondaires sont aussi importants que les 1ers, parfois.
Tout à fait d’accord.
J’ai remarqué que vous causez souvent d’Isabelle Huppert dans les entrevues…
Je suis très fan en général des acteurs et des actrices. Isabelle Huppert fait partie de ceux que j’aime passionnément. En plus de son talent, je suis admiratif de sa manière de mener sa carrière. Elle est guidée par la curiosité et son désir insatiable, c’est assez beau. Je l’admirais déjà avant de la rencontrer. Je la trouve fascinante : son envie de cinéma, sa curiosité pour les gens… J’espère que j’aurai ça aussi, que je ne perdrai jamais ce truc-là, moi non plus. Parce que je pense que c’est un moteur qui rend service à la fois à soi-même et à tout le monde, et au cinéma en fait.
Il y a quelque chose de très politique : elle a dit un jour que sa carrière, elle l’a menée comme un combat féministe.
De toute façon, je crois pouvoir dire qu’en France, si vous faites la liste des meilleurs, il y aura beaucoup de femmes. Les trois 1ers noms…
“Il y a plein d’actrices, qui ont des identités de cinéma très fortes, qui ont des filmographies hallucinantes et qui continuent !”
Catherine Deneuve, Isabelle Huppert et … ?
Oui, et Fanny Ardant, Nicole Garcia… Il y a des femmes très puissantes. Nathalie Baye… Il y en a plein, qui ont des identités de cinéma très fortes, qui ont des filmographies hallucinantes et qui continuent ! Fanny Ardant, intelligence prodigieuse, fascinante, je l’admire aussi beaucoup. Eh bien, elle a tourné en janvier dans le film (Les jeunes amants – ndlr.) qui a le mieux marché dans l’économie difficile du cinéma du moment ! Et elle réalise aussi des films. On sent chez ces femmes une liberté de choix incroyable, qu’elles sont plus audacieuses que certains hommes autour d’elles, oui !
Vous aussi, vous avez obtenu une liberté de choix, aujourd’hui, non ?
J’ai beaucoup de chance. Je reçois des choses très différentes. J’ai la chance de pouvoir faire des choix aussi éclectiques que mes goûts de spectatrice. Je suis une spectatrice très bordélique, pas du tout encyclopédique ou académique. En revanche, je vais beaucoup au cinéma. Mais d’une manière désordonnée. Ma carrière ressemble à mes goûts.
Pourquoi avoir accepté de jouer dans En roue libre, par exemple ?
Bizarrement, c’est l’idée du huis clos qui m’a plu, du roadmovie enfermé. Un décor, un partenaire. Et puis, il y a quelque de très absurde et j’aime beaucoup l’absurde. Et puis Benjamin Voisin, qui est pour moi déjà un très grand acteur.
Il y a un point commun entre les trois films qui sortent pendant l’été : la colère.
Oui, le personnage de Benjamin cherche à donner un sens à la mort de son frère, alors qu’il n’y en pas et que personne n’est responsable en dehors de son frère. Mais ce que j’aime dans le film, aussi, c’est qu’il a un message politique : celui qui va résoudre votre problème, c’est un autre qui ne vous ressemble pas du tout. Et ça, ça me plaît. “Ouvre ta porte, c’est peut-être la chance de ta vie, n’aies pas peur”. Ce sont deux grosses névroses qui se rencontrent, deux personnages très perdus, et c’est chouette : ce n’est pas celui qui va bien qui t’aider, c’est une autre personne qui va mal. C’est le récit d’un possible en tout cas.
Dans As bestas, il est aussi question de colère. Le personnage que vous jouez sait, au fond, très bien ce qui a dû arriver à son mari – joué par Denis Ménochet. Mais il n’y a pas de haine en elle, il n’y a que de la colère rentrée, qui va lui donner la patience pour chercher des preuves de ce qui s’est passé. C’est une femme forte.
Oui. Et ce que j’aime, c’est que ce n’est pas un film de vengeance. Truffaut disait qu’il n’aimait pas les films de vengeance, et moi non plus. C’est comme si l’être humain n’avait pas d’autres portes de sortie quand un être proche a été tué. Je veux qu’il y ait d’autres moyens, c’est ce que explique mon personnage dans le film. Elle veut savoir parce qu’elle a besoin de savoir. Elle vit un cauchemar, parce qu’elle ne peut pas quitter cet endroit sans connaître la vérité. Ce serait tuer une seconde fois son mari. C’est ce qui est beau en elle. Je me souviens d’un père qui avait perdu son fils de manière atroce dans un fait divers, et qui ne manifestait aucune haine. L’humanité sublimée par la tragédie. Moi, ce sont des gens qui me rassurent beaucoup. Je me dis : “on peut ne pas être tué deux fois”. Ça donne foi en nous autres. Si on peut être sublime au moment de la tragédie, ça veut dire qu’on peut ne pas être complètement merdique dans la vie quotidienne. C’est un vrai espoir.
“Les frères Boukherma ont inventé quelque chose de pas très français, qui me fait penser à ce qu’on trouve parfois dans le cinéma coréen ou hongkongais”
Dans L’année du requin, votre personnage est dans la colère aussi : cette gendarme a laissé s’échapper le requin qu’elle avait capturé.
Je vous explique. Je n’avais pas vu Teddy, leur 1er film, qu’il faut absolument voir. On était pendant le deuxième confinement. Les salles étaient fermées. Les frères Boukherma m’ont contactée en me disant : “On voudrait vous projeter Teddy, parce qu’on a écrit notre prochain film pour vous”. Je suis allée au Max Linder, je les ai appelés en sortant et je leur ai dit : “C’est oui, mais je vais lire le scénario avant, bien sûr”. Je leur ai dit oui parce que je suis persuadée que ce sont deux cinéastes, et qu’ils ont inventé quelque chose de pas très français, qui me fait penser à ce qu’on trouve parfois dans le cinéma coréen ou hongkongais, c’est-à-dire un mélange de genres, où l’on passe soudain d’une scène de comédie musicale à une scène de polar. En fait, le genre importe peu. Ensuite, c’est un peu générationnel : que ce soient les Boukherma, Sorogoyen ou Harari, le film de genre les intéresse beaucoup. Mais eux, ils ont quelque chose de très spécial qui n’est pas du tout artificiel : ils mélangent acteurs et non-acteurs, film de genre et critique sociale, etc. Le mélange des genres est vraiment dans leur ADN. Et je trouve que c’est un cocktail ultra-réussi. J’adore ce film ! Ils vont faire de grandes choses et ils vont marquer leur époque avec leur cinéma, j’en suis convaincue !
Dans les bios que j’ai pu lire sur internet, on dit souvent que vous avez changé de cinéma en tournant dans tel ou tel film, mais selon les personnes qui écrivent, ce n’est jamais le même film. Est-ce qu’au fond, vous jouez différemment dans une comédie et dans un drame ? J’ai l’impression que non.
En général, dans une comédie, ce qui arrive au personnage n’est pas drôle du tout pour lui, en réalité. Donc je ne vois pas pourquoi le personnage devrait avoir la conscience de sa drôlerie. Je pense que c’est le boulot du metteur en scène et aux acteurs de jouer les situations, tout simplement. Ensuite, très concrètement, j’ai enchaîné Nulle part ailleurs avec les Robins des bois sur Canal + et La Tour de la Défense de Copi monté par Marcial Di Fonzo Bo à la MC 93 de Bobigny… Le grand écart a toujours été présent. J’avais préparé le Conservatoire (que j’ai raté) avec une grande actrice vitezienne qui s’appelle Nada Strancar. Je travaillais Racine. Elle me disait : “ll faut que tu trouves la tragédie dans la comédie, et que tu trouves la légèreté dans le drame”. Ce sont ces contrastes-là qui font vivre les choses. Ensuite, la vérité-vérité, c’est que pour être bien dans la comédie ou la tragédie, il faut se rendre disponible au projet. C’est très con : si le metteur en scène veut que tu apprennes ton texte par cœur, tu le fais, s’il ne veut pas que tu l’apprennes, tu ne l’appends pas. Tu dois te rendre disponible au plateau, absolument disponible. Il faut être le meilleur outil pour cet univers-là, s’oublier soi-même pour fabriquer l’objet le plus beau possible. En fait, c’est hyper sexy comme attitude, cet abandon, et c’est ce qui m’intéresse le plus dans mon travail. Si on arrive à faire ça, il ne devrait pas y avoir d’ennui ou de routine, parce que chaque film impose sa façon de le fabriquer. Si on est en face d’un vrai metteur en scène, aussi…
Pour revenir à Isabelle Huppert, dans un hommage qu’elle rendait à Jean-Louis Trintignant, elle a expliqué qu’elle s’était inspirée de lui : il jouait parfois, volontairement bien sûr, un petit peu à côté de la situation.
Ah oui ? C’est génial. Alors moi, je me suis directement inspiré d’Huppert. Je jouais alors à Bobigny. Elle avait dit dans une entrevue quelque chose comme : “Parfois, j’aime bien ne pas savoir ou ne pas comprendre”. Dans la vie, parfois, on est agi par nous-même ou une situation et on ne maîtrise pas ce qu’on est en train de faire. Le risque pour un acteur est d’être trop intelligent, de tout savoir de son personnage, et donc de se mettre un peu au-dessus de lui. Il faut assumer de faire des choses sans savoir pourquoi on les fait. Ça donne du poids et donc de la vérité au personnage. Mais “à côté”, c’est intéressant… Je crois qu’il faut toujours laisser un peu de place, un petit espace au spectateur qui vous regarde, pour qu’il puisse y mettre son imagination, sa sensibilité. Il faut qu’il puisse faire du film son film.