Marina Herlop : musicienne percussive, chanteuse sensorielle et performeuse déroutante
Il régnerait presque un silence de cathédrale au Stadsschouwburg, le théâtre municipal de Groningen, petite localité néerlandaise située dans le nord du pays, à quelques encablures de la frontière allemande. Sur scène, Marina Herlop et ses...
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Il régnerait presque un silence de cathédrale au Stadsschouwburg, le théâtre municipal de Groningen, petite localité néerlandaise située dans le nord du pays, à quelques encablures de la frontière allemande. Sur scène, Marina Herlop et ses musicien·nes, au nombre de trois, jouent Pripyat, le troisième LP de la Catalane sorti au printemps dernier chez Pan (label berlinois à la croisée de la pop et de la musique expérimentale).
“J’ai l’impression que plus tu vas au nord de l’Europe, plus les gens sont calmes et silencieux, ironise-t-elle. Tu pourrais faire un graphique pour mesurer le silence du public en fonction des latitudes. Certains ont tendance à penser que je suis trop sérieuse et qu’à mes concerts, tu ne peux rien dire ni même applaudir, alors qu’en réalité je suis une véritable pallassa [clown, en catalan]. Je suis plutôt celle qui rigole toute la journée.”
Il y a parfois des dispositifs scéniques qui intimident le public, et des performances qui désarçonnent. Dans les travées de la salle ce jour-là, pour se raccrocher à quelque chose, les comparaisons avec Björk ont naturellement fusé (ici le concert à découvrir dans son intégralité sur Arte TV).
Relâcher la pression pour se remettre à la tâche
À l’image du show, le disque est résolument percussif et synthétique, emporté par des harmonies vocales hybrides, exécutées dans un langage extraterrestre, qui mettent l’accent sur l’improvisation et la collision des syllabes plutôt que sur le sens des mots. Un truc en réalité plus sensoriel et ludique que métaphysique et guindé, influencé par la musique carnatique du sud de l’Inde, dont Marina Hernández López (son vrai nom) s’est entichée après avoir suivi quelques cours, elle qui a un petit faible pour les études et les connaissances académiques.
Même si, comme elle nous le dit, elle n’a pas grandi dans une famille acquise à la cause de la musique (“Dans mon enfance, personne ne se saisissait d’une guitare après le dîner pour en jouer”), elle a commencé à apprendre le piano à l’âge de 9 ans. Après avoir étudié le journalisme et les sciences sociales, elle entre, à 23 ans, au Conservatoire de musique de Badalona.
“Il y a un cliché répandu sur certaines personnes ayant reçu une formation classique : elles chercheraient à s’en détourner et à se construire contre elle. Je ne me retrouve pas dans ce schéma. Moi, j’aimais ça. J’ai toujours voulu apprendre le maximum de choses. La dynamique des cours peut être parfois un peu rude, mais j’aime la discipline que cela implique, la constance.”
“Faire de la musique, ce n’est pas seulement se mettre à composer”
De retour de Groningen, où nous n’avons pas eu l’occasion de lui adresser la parole car elle fut très sollicitée, elle s’est retirée quelques semaines dans les montagnes des Asturies pour relâcher la pression – après avoir inlassablement tourné en 2022 et donc eu peu d’espace pour se consacrer à la suite de ses aventures discographiques. “Je suis venue ici pour me cacher et récupérer un peu”, nous dévoile-t-elle.
“L’année qui vient de s’écouler a eu un tout autre rythme, me plaçant dans un état mental opposé à celui que tu dois adopter quand tu crées et qui, chez moi, nécessite une certaine forme de tranquillité et beaucoup de concentration, de la patience, et surtout de devoir s’abstraire du monde. Faire de la musique, ce n’est pas seulement se mettre à composer. Le projet sur lequel je bosse pour le prochain disque, par exemple, implique une étude poussée des harmonies et un travail sur mes aptitudes vocales. Il ne suffit pas de s’installer derrière un piano.”
“Je suis quelqu’un qui aime quand il n’y a pas de meilleure option, et je finis par me noyer dans les détails et le chaos”
Relativement peu connue hors d’Espagne avant la sortie de Pripyat, Marina Herlop a sorti deux disques au cours des années 2010 (Nanook, en 2016 et Babasha deux ans plus tard), qui témoignent d’une rigueur et d’une évolution significative dans son approche de la composition. D’un piano/voix empruntant au lyrisme autant qu’à la musique contemporaine, elle est passée à l’incorporation discrète d’éléments électroniques, avant, avec ce troisième album, de s’y adonner complètement, plongeant dans les arcanes d’Ableton et des ordinateurs, comme si Debussy croisait Holly Herndon.“J’ai surtout dû apprendre à fermer des portes plutôt qu’à les ouvrir. Je suis quelqu’un qui aime quand il n’y a pas de meilleure option, et je finis par me noyer dans les détails et le chaos.”
“Je vois la création comme une petite parcelle de terrain à cultiver”
Pas du genre à donner dans le storytelling et à extrapoler sur le sens profond de la création, Marina Herlop appréhende son travail de musicienne comme une suite d’évolutions formelles logiques, dans un cadre fixé par des contraintes en tous genres : “Je vois la création comme une petite parcelle de terrain à cultiver, indique-t-elle. Tu t’adaptes à ce que cette parcelle met à ta disposition. Je n’aborde pas l’enregistrement d’un disque comme un moment de liberté pure et d’expression complète de ce que je suis. Pour moi, il y a des règles abstraites, subjectives et objectives auxquelles tu dois te tenir.
Je me fixe des objectifs qui ont un caractère un peu flou. Après avoir sorti deux albums piano/voix, par exemple, je savais qu’il fallait que je fasse quelque chose de plus électronique. Aujourd’hui, il me semble naturel que l’étape d’après soit de faire de la musique avec plus d’instruments, comme des instruments acoustiques ou des flûtes. Je voudrais aussi faire une œuvre plus ample, parce que trente ou quarante minutes pour un disque, ça me semble un peu court.”
“Heureusement que tout le monde ne tombe pas amoureux de la musique comme moi, il n’y aurait pas de route et pas de médecin, juste des musiciens”
À quel point cette conception des choses affecte-t-elle l’auditeur·rice ? L’écoute d’un album de Marina Herlop ouvre les portes de la perception, du sensoriel, de l’universel, d’un ailleurs que la rigueur d’exécution ne rend pas moins fun.
“Il y a l’espace dans lequel tu te déplaces et l’espace intérieur. Et c’est dans cet espace intérieur que se situe ma musique. Quand je compose, c’est là que je suis”, ajoute-t-elle, avant de conclure, amusée : “La musique a toujours été une obsession pour moi, mais une obsession positive. Heureusement que tout le monde ne tombe pas amoureux de la musique comme moi, il n’y aurait pas de route et pas de médecin, juste des musiciens.”
Pripyat (Pan). Concert le 8 avril à Nantes (festival Variations), le 14 à Londres (Kings Place), le 15 juin à Barcelone (festival Sónar).