Mark Hollis et Ryūichi Sakamoto contre l’apocalypse

Le 24 janvier dernier, le Bulletin of the Atomic Scientists, vénérable institution créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour documenter le temps nucléaire et sensibiliser l’opinion sur l’imminence des dangers qui menacent désormais...

Mark Hollis et Ryūichi Sakamoto contre l’apocalypse

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Le 24 janvier dernier, le Bulletin of the Atomic Scientists, vénérable institution créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour documenter le temps nucléaire et sensibiliser l’opinion sur l’imminence des dangers qui menacent désormais l’humanité, a remis la pendule à l’heure. Figé sur minuit moins 100 secondes depuis trois ans, les éminents représentants de l’organisation fondée à Chicago ont avancé la grande aiguille de ce coucou symbolique de dix secondes, signalant par la même occasion que nous, humains, n’avons jamais été aussi proches de notre perte.

Guerre, pandémie, dérèglement climatique. L’apocalypse est là, en creux, et nous apparaît par l’entremise de signaux faibles, comme des petites lueurs clignotantes dans la nuit. Du néant collectif, à l’intime : le meilleur vecteur pour lier les deux, et prendre enfin la pleine mesure de cette question métaphysique ultime, est encore la musique. Deux musiciens de la même génération, l’un encore en vie, l’autre décédé, ont tenté de réduire ce fossé qui nous sépare de l’intangible et de l’inimaginable. Et ceci, par le biais d’un processus d’abstraction salutaire, en forme de memento mori.

Le 1er s’appelle Mark Hollis, mort en février 2019, dont on célèbre cette semaine les 25 ans de son unique album solo. Le deuxième, c’est le Japonais Ryūichi Sakamoto, de nouveau atteint d’un cancer, qui a sorti la semaine dernière son nouvel album, 12, comme douze performances improvisées au piano et au synthétiseur, chez lui, entre 2021 et 2022. Les deux hommes ont la particularité d’avoir été les hérauts 80s d’une synth-pop inspirée (l’un avec le groupe Talk Talk, l’autre avec le Yellow Magic Orchestra), avant de s’éloigner des charts pour se concentrer sur une musique plus éthérée et axée sur l’improvisation, décrivant des paysages diaphanes et abstraits et offrant la part belle aux silences et aux espaces de respiration. C’est particulièrement le cas de Mark Hollis qui, dès 1988 et la sortie de l’album Spirit of Eden de Talk Talk, amorçait une 1ère mue qui connaîtra son apogée avec Mark Hollis (1998), son cultissime album solo cultivant cet “art de l’effacement” qui lui était propre, pour reprendre le titre du bouquin de Frédérick Rapilly sur l’ancien leader de Talk Talk. Il disparaîtra des écrans radars après ce dernier geste, jusqu’à sa mort 21 ans plus tard.

Mark Hollis, par ce jeu sensible et subtil d’enchevêtrement de monochromes, réussissait le prodige d’offrir une perception inédite de ce que serait la vie après la mort : une vie dans l’éther, coincée entre deux saisons, dans l’attente d’un bourgeonnement qui ne vient jamais tout à fait, mais où tout est cristallin. Quant à Ryūichi Sakamoto, après avoir documenté la possibilité d’une ultime floraison avec l’album async (2017) suite à la rémission de son 1er cancer, c’est ce processus d’attente lancinant qui précède la mort dont il témoigne aujourd’hui, avec une lucidité qui nous obligerait presque. Chaque pièce de ce disque, tel un agenda de la fin du monde, porte le nom de la date à laquelle elle a été enregistrée, comme la trace d’un décompte inéluctable qui relate au jour le jour, par le biais des tonalités, l’état d’esprit du musicien au quotidien. Un portrait de l’artiste face au néant, en somme, qui nous rappelle que chaque mort est une apocalypse.

Nous sommes 90 secondes avant la fin des temps, Mark Hollis et Ryūichi Sakamoto nous causent encore.

Édito initialement paru dans la newsletter Musiques du 27 janvier. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !