Médecin, je dois obtenir le consentement de mes patients en ne sachant presque rien du vaccin
Chi va piano va sano… Sauf que là, nous n’avançons pas, nous sommes à l’arrêt ou presque. J’hésite entre me réjouir de la prudence et me désespérer de cette lenteur administrative incompréhensible. Nous avons été patients tant au propre qu’au...
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Chi va piano va sano… Sauf que là, nous n’avançons pas, nous sommes à l’arrêt ou presque. J’hésite entre me réjouir de la prudence et me désespérer de cette lenteur administrative incompréhensible.
Nous avons été patients tant au propre qu’au figuré.
Nous avons accepté, de courber l’échine, de fermer nos commerces, nos théâtres, nos librairies, nos centres culturels, nos restaurants, nos universités, nos commerces “non essentiels” au nom de l’impériosité du contexte sanitaire.
Comment entendre aujourd’hui que “l’urgence ne serait plus si urgente” comme le parodiaient les Inconnus?
À un détail près: nous n’avons plus envie de rire.
Nous avons envie de vivre, de revivre, et non plus de survivre.
Nous ne voulons plus couvrir leurs errances, leurs hésitations, leurs lenteurs.
Nous ne voulons plus rester Lost in translation, dans un univers aussi improbable qu’ubuesque, coincés dans un simili de monde qui avancerait et qui, en réalité, ne ferait que tourner en rond.
Aujourd’hui commence officiellement la campagne de vaccination.
Aujourd’hui je dois commencer en EHPAD des consultations “pré-vaccinales” censées répondre aux questions des patients et de leur famille concernant lesdits vaccins. J’ai eu beau chercher, je n’ai trouvé dans les recommandations tant de la sécurité sociale que de l’HAS que des réponses assez vagues et j’en ai surtout gardé la furieuse impression de n’être –une nouvelle fois– qu’un fusible censé dédouaner le gouvernement de ses responsabilités.
Moi, médecin traitant, j’ai travaillé, sans savoir, sans masque, sans gants, sans compter mes heures malgré la peur qui était la mienne face à cet ennemi inconnu.
Moi, médecin traitant, je dois convaincre mes patients de se faire vacciner, je dois leur faire signer un consentement écrit m’imputant la responsabilité de ladite vaccination malgré ses inconnues. Entendons-nous, je n’ai absolument aucun a priori vaccinal: je me ferai vacciner. Je ne fais “juste” pas partie des personnes prioritaires, donc j’attendrai mon tour… En revanche, en ce jour, j’aimerais savoir répondre aux questions légitimes de mes patients. Qui va vacciner? Où? Comment les vaccins sont-ils dégelés, conservés? Sommes-nous sûrs d’avoir suffisamment de doses pour faire la seconde injection dans 3 semaines avec le même vaccin?
Se pourrait-il que l’apologie de la lenteur adoptée par le gouvernement ne soit, une fois de plus, qu’une façon de temporiser et de masquer pénuries et manque de préparations?
Moi, médecin traitant, lorsque je parle à mes patients, je le fais en tête à tête, les yeux dans les yeux.
Moi, médecin traitant, je suis faite pour soigner des gens, pas des chiffres.
Moi, médecin traitant, je donne une information complète, documentée, étayée.
Moi, médecin traitant, j’ai travaillé, sans savoir, sans masque, sans gants, sans compter mes heures malgré la peur qui était la mienne face à cet ennemi inconnu.
Moi, médecin traitant, je n’ai pas signé pour être un fusible du système de santé, ce d’autant que j’ai déjà disjoncté et que je souhaiterais ne pas le refaire.
Moi, médecin traitant, j’ai devant mes patients une responsabilité civile, pénale, ordinale et morale.
Moi, médecin traitant, je n’ai pas de mandat ultérieur, pas de successeur et je n’ai pas prévu de me retrouver parachutée dans une quelconque élection à venir.
Moi, médecin traitant, je devrais répondre de mes actes dans dix, quinze ou vingt ans et ce consentement de consultation pré-vaccinale me rendra responsable tant de ce qu’on savait que de ce qu’on ne savait pas.
Moi, médecin traitant, j’aimerais humblement que les choses aillent plus vite parce que mes patients vont mal, blessés par leur solitude, leur précarité, leurs violences, leurs addictions, leurs souffrances de n’avoir pas d’autre projet que d’attendre que la journée se passe, sans imprévu, sans rencontre, sans rire, sans loisir.
Pourquoi ne sommes-nous pas prêts? Voilà des mois que nous attendions le vaccin, annoncé comme seule voie de retour à une vie normale, et maintenant qu’il est là, nous voilà réduits à compter au compte-goutte la poignée de gens vaccinés tous les jours?
Je dois convaincre mes patients de se faire vacciner, je dois leur faire signer un consentement écrit m’imputant la responsabilité de ladite vaccination malgré ses inconnues.
Pourquoi ne sommes-nous pas prêts? Je l’ignore. Je n’appartiens pas à la sphère de ceux qui savent, ni à celle de ceux qui font semblant de savoir. Comment oser feindre la confiance face à ces retards? Resterons-nous une nouvelle fois silencieux ou prendrons-nous conscience que chaque jour passé laisse derrière lui des familles décimées?
Oui, aujourd’hui, si je suis en colère c’est que comme nous tous, je rêve d’une vie normale. Je rêve de ne plus avoir peur de contaminer mes proches lorsque je leur rends visite. Je rêve de lien social, de rencontres, d’un resto, d’un verre, d’un ciné du dimanche soir, d’un théâtre, d’une expo, d’un concert, de Jeux Olympiques, de sports collectifs, de voyage, de nature, de découverte. Je rêve à des jours meilleurs, je repense à toutes ces choses aussi futiles qu’utiles, j’attends de vibrer à nouveau derrière les bleues d’Amandine Henry, de découvrir les exploits d’Hugo Gaston en tennis, de rire aux derniers spectacles de Kyan Khojandi ou de Nora Hamzawi: c’était sûrement plus fédérateur, plus ludique et moins clivant. J’en ai marre de ce covid-19: il a pris toute la place, toutes nos vies, tous nos rires.
Si les masques nous ont offert une première bouffée d’oxygène après que vous les ayez mis au ban, ferez-vous de 2021 l’année du vaccin Monsieur Véran? Ce pangolin ne sera-t-il bientôt plus qu’un souvenir lointain? Je vous en conjure, Monsieur Véran, cessons de nous hâter avec lenteur, cessons d’être fiers d’être des amateurs, faute de quoi ce ne seront plus ni les complotistes, ni les rassuristes qui finiront d’étriller notre société, notre économie et notre démocratie mais hélas une troisième vague catastrophique…
Pourquoi ne pas se donner les moyens d’en finir? Par peur d’essayer? “Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux.” disait Beckett.
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