“Memoria” : attention chef d’œuvre !

C’est le big bang qu’on attendait pour conclure ce Cannes en beauté. Un choc, un réveil, un onguent, tout ça à la fois, comme à chaque fois qu’Apichatpong Weerasethakul a débarqué sur la Croisette ces vingt dernières années. Nulle surprise...

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C’est le big bang qu’on attendait pour conclure ce Cannes en beauté. Un choc, un réveil, un onguent, tout ça à la fois, comme à chaque fois qu’Apichatpong Weerasethakul a débarqué sur la Croisette ces vingt dernières années. Nulle surprise à le retrouver à cette hauteur, six ans après Cemetery of Splendour, mais un soulagement, tout de même, que cette production inhabituelle, loin de sa Thaïlande natale et accompagnée d’une star internationale (Tilda Swinton, ainsi que Jeanne Balibar pour un petit rôle), n’ait pas entamé d’un iota son intégrité artistique.

Bien que le film appartienne à sa veine la plus mystérieuse (celle de Syndromes and a Century), c’est un pur Joe-movie qui s’est déployé sur la compétition, pur et néanmoins déplacé, déterritorialisé pour mieux se retrouver.

La nouveauté, c’est un son. Un gros bang qu’on aurait bien imaginé chez David Lynch, l’autre grand shaman de nos rêves, et qui nous prend par surprise lorsqu’on l’entend dans les 1ères minutes de Memoria. On est là, au calme, confortablement sis à l’intérieur d’un beau plan fixe rosoyant (la couleur dominante du film, la même que celle des cheveux de Tilda Swinton, spécifiquement remerciés à l’issue de la projection officielle), et soudain BANG ! Ce son sourd et métallique, sec et terrifiant, nous sort de notre torpeur pour nous hanter autant qu’il hante le personnage principal, une anthropologue prénommée Jessica (un hommage au Vaudou de Jacques Tourneur), venue travailler en Colombie.

>> À lire aussi : “Cemetery of Splendour” : aussi envoûtant qu’une séance de spiritisme

On embarque ainsi avec Tilda pour un grand voyage statique vers l’au-delà du visible, oscillant de la langueur à l’effroi, de l’état de demi-sommeil habituel au cinéma du Thaïlandais à cette sensation glaçante, nouvelle chez lui. Un vortex dont on va chercher la source de chambres d’hôtel en hôpitaux de Bogota, de voitures hululantes en frigidaires anti-fongiques (“où le temps s’arrête”), de salles de mixage en jungles amazoniennes. Par bonheur, l’actrice écossaise se fond merveilleusement dans l’univers du cinéaste thaïlandais, lui offrant une performance sobre et néanmoins intense, toute en intériorité et lentes glissades sémantiques que son espagnol liquoreux magnifie.

Diptyque

Comme toujours ou presque, Apichatpong scinde son film en deux : une 1ère partie, urbaine et froide ; une seconde, sylvestre et sensuelle. Mais plutôt que par ses coutumières hallucinations visuelles — bien que le film ne manque pas de coups de force optiques —, c’est d’abord par un sidérant travail sonore que le réalisateur palmé sculpte là sa matière. On ne révélera pas d’où vient, en fin de compte, le fameux son — si ce n’est pour avancer que la quête des origines cosmiques, le big bang donc, est une piste interprétative possible. Mais autour de lui se tisse tout un écheveau d’expériences auditives, qui viennent communiquer directement avec le subconscient, et dont l’acmé se joue une 1ère fois aux côtés d’un jeune sound designer electro-punk prénommé Hernan (grâce à qui nous connaissons désormais le bruit d’un coup de poing sur un sweat à capuche) ; une seconde fois auprès d’un vieux shaman lui aussi nommé Hernan (tiens tiens…), capable de plier l’espace-temps à coup d’ayahuasca (ou une liqueur qui du moins y ressemble), et qui semble tout connaître de l’histoire des humains et des non-humains.

Le sens du film, d’abord fuyant, apparaît progressivement, par échos lointains et rimes secrètes, mais il faut accepter que certaines zones restent opaques. C’est finalement toute la mémoire des mondes qui semble se déplier paisiblement devant nous, dans ce nouveau chef d’œuvre qu’il nous tarde de revoir.

Memoria d’Apichatpong Weerasethakul, en compétition au Festival de Cannes 2021