Merci Serge, adieu Gainsbarre

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I want to fuck you", murmurait-il à Withney Houston, face à un Michel Drucker médusé face à Gainsbarre. Qui comprenait vraiment l’extrême poésie de l’artiste derrière ses pirouettes?" data-caption=""I want to fuck you", murmurait-il à Withney Houston, face à un Michel Drucker médusé face à Gainsbarre. Qui comprenait vraiment l’extrême poésie de l’artiste derrière ses pirouettes?" data-rich-caption=""I want to fuck you", murmurait-il à Withney Houston, face à un Michel Drucker médusé face à Gainsbarre. Qui comprenait vraiment l’extrême poésie de l’artiste derrière ses pirouettes?" data-credit="Patrick AVENTURIER / Contributeur" data-credit-link-back="" />

SERGE GAINSBOURG —2 mars 1991. Serge Gainsbourg est retrouvé mort, dans son salon de la rue de Verneuil. Stéphane Basset lui a rendu hommage hier sur C Star dans son excellent documentaire “Gainsbourg, le punchliner”. Et on vit tout le génie de l’homme défiler, se consumer devant nous. Car c’est bien de consumation dont on parle quand on se souvient de Gainsbourg. Et du dernier tour de piste: celui de Gainsbarre, qui évoluait dans son monde, celui des années 80 pailletées, fatiguées, qui respirait bien moins Gérard de Nerval que Jean-Pierre Foucault. Gainsbourg faisait penser à la chanson “Du jazz dans le ravin”, en 1958. Le texte, aux accents de Boris Vian raconte l’histoire d’un couple dont la radio continue de gueuler alors que la voiture est déjà tombée dans le précipice… Gainsbourg était peut-être “tombé” dans tous les sens du terme à cette époque. Restait Gainsbarre, ce qu’il fit de pire et de meilleur. Il se prêtait au show, à l’excès, avec délectation même! Se perdait-il dans ses outrances? Quand il mettait le feu à un billet de 500 francs. en direct devant les caméras de “7 sur 7″, pour dénoncer le racket fiscal, la plus grosse fraude n’était-elle pas celle envers lui-même? Il simplifiait on ne peut plus son style, lui qui reprochait justement aux autres de consentir à la vulgarité ambiante! Un comble. Une méprise. Un regrettable malentendu.

“Un poète au pays de Francis Bouygues”

I want to fuck you”, murmurait-il à Withney Houston, face à un Michel Drucker médusé face à Gainsbarre. Qui comprenait vraiment l’extrême poésie de l’artiste derrière ses pirouettes? Drucker? Peut-être. Mais l’appétit d’audience était plus fort. Les désillusions sous Mitterrand, les ravages du sida, la fin des utopies communistes, le sacre de Bernard Tapie et d’autres grands magnats de la privatisation… Serge est devenu un poète au pays de Francis Bouygues. Au pays des aveugles, les borgnes sont rois. Mais il voulait être au pays des voyants, comme Artaud, comme Nicolas de Staël, comme Van Gogh. Eux sont morts alors qu’il survit. Il ne sait même plus vraiment comment ni pourquoi en fait. La création est une consumation qui dure souvent peu de temps. On meurt jeune. À 27 ans. On ne tarde pas. 

Le personnage de son seul roman, publié en 1981 et intitulé Evguénie Sokolov, est un peintre atteint de pétomanie qui peut écrire grâce à des flatulences qui lui fournissent son inspiration. Devenu un auteur dans le vent, il vit de cette imposture qui consiste à se servir d’un dérèglement intestinal pour créer sans relâche. Evguénie pète. Le dernier Gainsbarre n’a pas besoin de faire beaucoup plus quand on y pense. Tout ce qu’il touche se transforme en or. Comme par magie. La pub est ravie. Séguéla exulte. Gainsbourg tourne en dérision sa surenchère médiatique, mais s’y voue corps et âme quand même, comme s’il s’oubliait définitivement dedans. Comme s’il acceptait d’être de son époque qu’il abhorre et adore. 

“J’ai vendu mon inspiration à la chanson, mes poumons à la cigarette et ma barbe à une enseigne publicitaire”. Innombrables sont les marques qui lui demandent alors sa griffe!

De Renault à Gini, de Lancôme à Pepsodent, en passant par les rasoirs Bic, elles arrosent un Gainsbarre wharolien, qui interprète Sex Machine à la télé et fait un coma éthylique devant les téléspectateurs, à la fois hilares et finalement tristes pour l’ami Serge, eux qui le connaissent depuis tant d’années. C’est la victoire des enfers addictifs, d’un homme qui jure ne s’être jamais putanisé et qui s’enfonce dans un puits sans fond de stress et de strass.

“J’ai tout réussi sauf ma vie. Alors, parfois, je me permets d’être con sciemment”. Il est exigeant, mais veut être millionnaire. Il aime passionnément l’amour, mais se noie sans faire de vague dans les volutes de ses tourments. Il est toujours là, en aquoiboniste, en faiseur de plaisantristes, à faire semblant d’être ce personnage à l’écran. Se vit-il finalement comme cet écrivaillon qu’on lui a parfois demandé d’être, avant le surgissement de l’idole, de Gainsbourg l’intransigeant, avant qu’il ait eu l’audace de se forger un style d’être au monde, ce style inimitable et pourtant si imité? Il a peut-être alors un rapport plus cruel avec la facticité de son métier.

Il y a l’idée, dans l’œuvre freudienne, d’un jugement intérieur. Le Moi est au centre d’un procès perpétuel, un balancier en mouvement. Celui-ci peut virer à l’inquisition et mener à une peine d’exécution capitale quand les idéaux du Moi flanchent, quand ils ne sont plus en accord avec la réalité. On s’en veut, on se mine, on se détruit jusqu’au bout de la nuit. Gainsbourg a toujours été partagé entre une éthique rigoriste, une injonction à l’excellence transmis par son propre père, et ses dons de caméléon, lui donnant le luxe de flirter avec tous les styles musicaux. Face à Guy Béart, blessé, soutenant que la chanson est une partie majeure de l’histoire du peuple, il insiste: il n’a jamais fait que dans l’art mineur, lui, le fils d’un grand pianiste, qui sait ce qu’il doit à Chopin et à ses autres maîtres. “La chanson est un masque qui me colle tellement à la peau que je n’arrive pas à le retirer”, dit-il. Il est arrivé dans la petite lucarne à trente ans, il est souvent allé où on lui demandait d’être. Il fume jusqu’à ce que mort s’ensuive, en cette fin de siècle. 

“Je ne peux pas m’arrêter, sinon je meurs”

Le retour au statut de déchet, d’épave, est une condition du devenir mélancolique. Le procès intérieur condamne le Moi, obligé de courber l’échine devant une instance inhumaine en lui, qui décrète sa fin. Le corps se met au service d’une pulsion si exigeante qu’elle en est impossible. Au jeu des apparences, Serge perd pied, s’annihile, avec une conscience aigüe de la déroute. Comment ne pas penser à son texte “La noyée”, qui s’inspire librement du poème Ophélie d’Arthur Rimbaud?

Tu n’es plus qu’une pauvre épave,

Chienne crevée au fil de l’eau,

Mais je reste ton esclave

Et plonge dans le ruisseau

Quand le souvenir s’arrête

Et l’océan de l’oubli,

Brisant nos cœurs et nos têtes,

À jamais, nous réunit. 

“Je ne peux pas m’arrêter sinon je meurs”, dit-il alors à la télévision. De quel arrêt s’agit-il? “Que dira-t-on de vous en 2050?” lui demande Patrick Sabatier. “Que j’étais un compositeur parfois trouble, parfois violent, assez porté sur l’érotisme, mais avec un langage précis”. Seuls ses enfants le tiennent encore hors de l’eau. “C’est ce que j’ai fait de plus beau, mes enfants. Le reste passe, c’est inhumain. J’aime pas ma gueule. Lulu et Charlotte, au moins, ils aiment ma gueule!” Le processus d’auto-engendrement semble s’être arrêté. “Vouloir se survivre, c’est d’une arrogance monstrueuse. La seule façon de survivre, c’est de procréer, comme les chiens”. Tout ça pour ça, pourrait-on penser.

En 1989, quand sa dernière compagne, Bambou, lui demande s’ils vont rester ensemble, il sourit et répond: “Je risque de casser ma pipe avant. Si tu me quittais, tu serais pas la première. Mais je crois que tu seras la dernière. Je t’ai marquée au fer rouge. Indélébile”. Il y eut Bardot, il y eut Birkin, il y eut Bambou. B comme bite. Peut-être. B comme boire. Aussi. Mais aussi et surtout B comme Beauté. Beauté bien davantage que bassesse. 

En ce mois de mars 1991, Gainsbourg sent sa fin percer dans le ciel, un ciel qui n’est plus bleu (l’a-t-il seulement jamais été?), mais crépusculaire. Un nouvel album est en préparation, enregistré à La Nouvelle-Orléans. Mais l’homme n’est plus le même. Il insiste auprès de sa femme pour aller chercher son fils à l’école, donne sa maison à l’État et fait un testament. Lui qui se disait toujours encombré d’un masque meurt nu, d’une crise cardiaque. La veille, un remix dance de Requiem pour un con avait été envoyé aux radios! La mort a-t-elle pris Gainsbourg pour un con? L’a-t-il, à l’inverse, prise pour une belle conne comme Mélody Nelson? “Le con, c’est masculin”, n’aviez-vous de cesse de répéter. Masculin-féminin, serait-on tentés de vous répondre quand on connaît votre amour pour le trouble et l’indéfinissable, jusque dans la mort.

Trente ans après, chacune des rimes de Gainsbourg paraît le convoquer. Toute son existence, il a voulu nous dire que seul l’arrachement nous sauve une bonne fois pour toutes de ces va-et-vient entre nos riens, desquels on ne guérit jamais. Car les va-et-vient qui nous détruisent sont aussi ceux qui nous font vivre. Merci Serge. Adieu Gainsbarre.

 

Audrey Tordelli & Joseph Agostini - iGainsbourg sur le divan/i - Ed. Envolume

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