Meryl Streep reine de l’impro dans le nouveau Soderbergh

Let Them All Talk : les diffuseurs français de cette Grande Traversée auraient été mieux avisés de conserver son titre original, qui était tout de même beaucoup moins plat, et qui contenait surtout l’information la plus intrigante à retenir...

Meryl Streep reine de l’impro dans le nouveau Soderbergh

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Let Them All Talk : les diffuseurs français de cette Grande Traversée auraient été mieux avisés de conserver son titre original, qui était tout de même beaucoup moins plat, et qui contenait surtout l’information la plus intrigante à retenir sur ce 572e film (c’est sûrement moins, mais on a cessé de compter, vu son rythme ces cinq dernières années) de Steven Soderbergh, à savoir qu’il “laisse causer” – il est majoritairement improvisé.

Exactement à 70 %, d’après une entrevue donnée au Daily Beast par le réalisateur, qui aime que les choses soient exactes même quand il s’agit d’imprévu, et qu’on n’attendait franchement pas sur ce terrain, lui qui est peut-être le plus obsédé par l’ultra-précision, le plus control freak de tous·tes les cinéastes actuellement en activité.

Alors à quoi ça ressemble, un Soderbergh improvisé ? De prime abord, paradoxalement, à un Soderbergh comme les autres. C’est-à-dire donc à un nouvel objet de pure maîtrise, où chaque réplique, chaque coupe, chaque mouvement d’appareil tombe avec la même précision clinique, la même obsession de l’œuvre propre, lavée de toutes les salissures du hasard ; et qui semble ainsi avancer patiemment, inéluctablement, vers une destination initialement prévue.

Entre le “reunion movie” et le Cluedo sans meurtre

Sauf qu’à bien y regarder, Let Them All Talk s’avère beaucoup plus cryptique et insituable qu’il n’en a l’air. Balisé de partout, certes, que ce soit par les codes du reunion movie (trois amies d’enfance, perdues de vue depuis trente-cinq ans, se retrouvent sur une croisière transatlantique, à la suite de l’invitation de l’une d’entre elles devenue écrivaine à succès) ou ceux du film d’énigme hôtelière (avec des romanciers et des romancières, des inconnu·es mystérieux·euses, des secrets enfouis, des jeunes ingénu·es qui enquêtent…), le film se retrouve pourtant très vite dans une drôle de position de total suspens, comme s’il n’avait finalement rien d’autre à expliquer que le lieu, son luxe morne, sa population grouillante de vieilles peaux fortunées.

Toute l’habituelle sophistication soderberghienne est là, dans la méticulosité des cadres, l’agencement harmonieux des lieux et des temporalités, le ressac d’une poignée de singularités répétées rythmant le récit, mais le résultat n’élucide rien, ne clarifie jamais ses intentions, multiplie même les fausses pistes. Quel livre Alice écrit-elle ? A-t-elle effectivement trahi son amie Roberta en racontant son histoire dans ce qui est devenu son plus grand succès de librairie, comme cette dernière l’en accuse ? Pourquoi a-t-elle convoqué ce trio d’amies qui n’en sont plus ? Nourrit-elle un remords ? Et qui est vraiment cette romancière galloise méconnue du XIXe siècle, dont toute cette compagnie s’en va fleurir la tombe ?

Autant de questions qui resteront sans réponses : c’est un film d’horloger mais qui ne donne pas l’heure, une sorte de Cluedo sans meurtre où il ne resterait plus que la satire. Let them all talk : laissez-les causer, encore et encore, causer pour ne rien dire, sinon du vent, ou des choses qu’elles ont déjà dites mille fois, et qui ne peuvent plus rien changer à ce qui les divise, à leur place dans le monde, à ce qu’elles emporteront dans la tombe.

La défaite totale de la parole

Les trois “amies” de toujours n’ont plus pour elles que leurs petites politesses de septuagénaires, leurs petites mesquineries également (surtout). Les trois actrices sont excellentes, forcément, le film est avant tout fait pour ça : la star new-yorkaise maniaque et narcissique (Meryl Streep), la prolo texane divorcée sans complexes qui se maquille comme un camion volé pour séduire du passager friqué (Candice Bergen), la douce mamie timorée qui trahit de temps à autre une violence contenue (Dianne Wiest).

Elles sont toutes plus justes et plus impeccables les unes que les autres ; et pourtant, c’est comme si elles ne jouaient pas ensemble ; comme si aucune ne parlait la même langue. Aucune communication ne se crée. C’est le vrai sujet du film : une espèce de défaite totale de la parole, au grand dam de l’amusant personnage du neveu (Lucas Hedges) qui annonce sûrement le désastre à venir dès les 1ères minutes, en s’enlisant dans un laïus fastidieux sur la joie qu’il éprouve à l’idée de passer cette croisière avec trois survivantes du temps d’avant internet, trois vrai·es humain·es “sans fausses identités technologiques” qui savent se causer avec vérité. Rien de tout cela n’aura lieu, et il aura donc fallu à Soderbergh l’expérience de l’improvisation pour faire un film où personne n’est fichu de s’entendre.

La Grande Traversée de Steven Soderbergh avec Meryl Streep, Candice Bergen, Dianne Wiest (E.-U., 2020, 1h53). Sur MyCanal