Miossec, Isabelle Adjani, Lola Lafon… 22 artistes passent Étienne Daho au gril

Françoise Hardy — Tu as enregistré tellement de bonnes chansons, Étienne. Peux-tu nous dire quand même auxquelles vont tes préférences, celles que tu as le plus de plaisir à chanter, celles dont tu es le plus fier ? Étienne Daho — Ma chanson...

Miossec, Isabelle Adjani, Lola Lafon… 22 artistes passent Étienne Daho au gril

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Françoise Hardy et Étienne Daho en 1985

Françoise Hardy — Tu as enregistré tellement de bonnes chansons, Étienne. Peux-tu nous dire quand même auxquelles vont tes préférences, celles que tu as le plus de plaisir à chanter, celles dont tu es le plus fier ?

Étienne Daho — Ma chanson préférée, c’est sans doute L’Homme qui marche pour ce qu’elle m’évoque. Avec Jean-Louis [Piérot], on s’est surpris à faire cette chanson et à capturer plusieurs saynètes en même temps, comme s’il y avait plusieurs chansons en une. Cette chanson est sincèrement ma plus grande fierté. Au-delà de sa réussite harmonique, c’est L’Homme qui marche, définitivement…

En ce moment, j’adore forcément chanter Boyfriend, car il y a une vibration à la fois douce et légère, même si elle est moins facile qu’elle n’y paraît à interpréter. Comme il s’agit d’une nouvelle chanson, c’est tellement agréable de la partager et de recevoir autant d’échos enthousiastes. Il y a un beau lien qui s’est déjà constitué. Boyfriend me rappelle Au commencement par son côté très direct dans le texte : il y a beaucoup d’oxygène et d’ouverture. Étrangement, je n’arrête pas de chantonner des morceaux de Blitz : Chambre 29, Les Cordages de la nuit… Ils sont en boucle dans ma tête alors qu’un nouveau disque sort…

Lola Lafon — Si écrire, c’est venger quelqu’un ou quelque chose, aujourd’hui, est-ce que la tâche est accomplie ? Si oui, quel est aujourd’hui votre moteur d’écriture ?

Je ne sais pas si c’est un moteur, mon corps et ma tête sont fabriqués ainsi. Écrire, c’est parfois venger le petit garçon qui n’avait pas son mot à dire. Mais je ne crois pas qu’on écrive par vengeance. J’écris par nécessité, comme je respire. Donc je réfléchis autant quand je respire que lorsque j’écris. C’est presque une fonction naturelle. Entre deux albums, je laisse vraiment le temps aux choses d’arriver.

Je ne suis pas du genre à écrire un petit peu tous les jours. Il y a un moment où c’est le déclic. À partir de là, je consigne et noircis des carnets entiers. Pour une seule chanson, je peux remplir facilement un demi-cahier pour en garder très peu, alors qu’une chanson peut parfois donner l’impression d’avoir été écrite en trois secondes. Bien sûr, l’écriture a un effet cathartique, ça permet de mettre à distance une situation ou un tourment.

Une chanson reste ce moyen magique de rendre éternel quelque chose de fugitif. [sourire] Et la réécouter convoque à chaque fois cet instant précis avec la même émotion. C’est comme un journal qu’on écrit, sauf que la musique qui accompagne le texte décuple cette émotion-là et me replonge aussitôt dans cet état particulier. Même pour des chansons que j’ai écrites il y a très longtemps. À commencer par les toutes 1ères : L’Été, On s’fait la gueule, Promesses Elles sont d’une précision diabolique !

Xavier Veilhan — Comment rester en surface ?

En surface des choses ou à la surface, ce qui nécessite d’être un très bon nageur? [sourire] Pour rester en surface, il faut une sacrée dose de légèreté. Forcément, ça me renvoie à cette chanson magnifique que m’a offerte Dominique A : En surface. Pour lui, c’était un portrait de moi, alors que je n’ai jamais senti que j’étais en surface, bien au contraire. Ou alors j’ai bien donné le change quand j’étais débutant, ma façon polie de ne pas montrer la face noire.

Jean-Louis Brossard — Je sais ton amour de la pop, du punk et de la soul. Quid du jazz ?

Je ne connais pas bien le jazz, ou alors chanté à travers des vocalistes comme Billie Holiday, Chet Baker et Ella Fitzgerald – je pense notamment à son album The Rodgers and Hart Songbook, qui est fantastique de technique sans en avoir l’air. Les chanteurs et chanteuses de jazz ont une espèce de fluidité qui me touche beaucoup. J’entends une liberté dans le jazz, notamment dans les disques de John Coltrane ou Miles Davis. Je suis complètement obsessionnel avec d’autres styles de musique : je veux tout avoir d’un artiste, même les albums ratés – et j’arrive toujours à trouver une bonne chanson sur un mauvais disque ! Je suis complétiste, car j’ai besoin de comprendre comment fonctionnent les artistes que j’admire.

Jehnny Beth photographiée par Étienne Daho

Jehnny Beth — Comment aimer à nouveau après un chagrin d’amour ?

C’est comme dans la chanson de Barbara, À chaque fois. À chaque fois qu’on cause d’amour, c’est comme la 1ère fois. Et c’est vrai, on recommence les mêmes conneries ! On apprend un peu des choses, mais on reproduit les mêmes bêtises. Tomber amoureux, c’est se laisser aller à une forme de folie. Qui est très très bonne. C’est une dope pour moi. [sourire] Je ne me pose pas la question d’aimer à nouveau, il suffit de la bonne personne, et hop, c’est reparti. On oublie tout, on recommence, comme s’il ne s’était rien passé. On devrait garder en mémoire des choses qu’on ne devrait pas recommencer. Peine perdue en ce qui me concerne. Peut-être parce que j’ai une forme d’immaturité…

Miossec — Peux-tu nous expliquer l’histoire de ta relation avec Jean-Louis Piérot, des débuts à aujourd’hui ?

J’ai rencontré Jean-Louis Piérot et Édith Fambuena à Aix-en-Provence pendant la tournée Pop satori, à l’époque où ils s’appelaient encore les Max Valentin, avec Gérald de Palmas. Quelques mois après, Jean-Louis et Édith sont montés à Paris, ils m’ont fait écouter leurs nouvelles chansons et j’ai créé un label [Cupecoy Records] pour les signer. Immédiatement, j’ai eu beaucoup d’affinités avec Édith.

On a fait une 1ère chanson ensemble, Caribbean Sea. Et quand je me suis retrouvé à New York dans une panique totale pour Paris ailleurs, parce que ni Nile Rodgers ni Carlos Alomar n’étaient disponibles, j’ai appelé Édith au secours, car j’avais fait toutes les maquettes avec Jean-Louis et elle. J’ai ainsi gardé cette proximité avec Édith, tandis que Jean-Louis était très timide, je n’arrivais pas à construire une relation avec lui.

Pendant l’enregistrement de Corps et Ârmes, un jour où Édith était en retard, on a composé Ouverture avec Jean-Louis. Avant d’enregistrer tous les trois l’album à Londres. Pour entamer Les Chansons de l’innocence retrouvée, j’ai eu envie de voir Jean-Louis pour lui proposer une collaboration plus étroite. On a travaillé chez moi, et cela a été une période fantastique de créativité. On s’est vraiment découverts à cette occasion, alors que nous nous connaissions depuis des années et qu’il était déjà parti en tournée avec moi. On a appris
à se connaître, à se découvrir, à s’apprécier, à se respecter, à se challenger musicalement. Cet album a scellé notre amitié et notre magnifique relation professionnelle.

Depuis dix ans, on a fait ensemble des chansons qui font partie de mes préférées, à commencer par L’Homme qui marche, mais aussi L’Étincelle, la grande chanson de Blitz. Sans oublier ce fameux disque pour Jane Birkin, dont je lui parlais depuis vingt ans. Jean-Louis a un talent que beaucoup de gens n’ont pas encore vu et entendu parce qu’il est d’une telle discrétion et d’une telle humilité. Je suis aussi surpris qu’il ne soit pas davantage sollicité pour les musiques de films, car ses compositions sont extrêmement cinématographiques.

Étienne D. et Jane B. en 1998 © André Rau/H&K

La Femme — Quelles ont été les trois plus grandes leçons que tu as apprises au fil de ta carrière ?

La 1ère a été de protéger mon intimité. Car le fond de ma nature n’est pas de me montrer, même si j’ai dû apprendre à le faire et réussi à intégrer que cela faisait partie de mon métier. J’ai ainsi protégé ma famille, mes amis, la personne que j’aime. Je fais tout pour garder cette zone complètement protégée. Ce n’est pas forcément une leçon, mais c’est l’intuition qui m’a permis d’avoir la paix de l’esprit.

La seconde leçon est de n’écouter personne, de ne suivre que mon instinct et de n’écouter que cette petite voix intérieure qui est en moi. J’ai une confiance aveugle en mon intuition, qui me sauve de mille situations. C’est comme si j’avais des antennes en permanence – cela vaut aussi pour l’intuition artistique. Enfin, je dirais mon imperméabilité aux critiques, bonnes ou mauvaises.

Il y a une époque où je me suis fait un peu défoncer par tout le monde, sous prétexte que je ne savais pas chanter. J’ai eu un sale moment pendant les années 1990, et ça m’a endurci le cuir. C’est important, car sinon on n’a pas de peau. On fait ce métier parce que l’on est excessivement sensible à tout. Certaines choses peuvent heurter, abîmer, blesser. Il faut avoir confiance en soi parce que l’on n’a pas d’autre choix.

Tristan Garcia — Vous avez chanté des reprises et des compositions originales en anglais, certaines de vos chansons ont été adaptées en anglais : qu’est-ce qui sonne différemment dans cette langue ? Des mots plus courts ? L’accent tonique ? Pourquoi aura-t-on vécu si longtemps, dans la pop française, avec un complexe d’infériorité à l’égard de la langue, et pas seulement de la pop culture, anglaise ? Et est-ce derrière nous ?

Je crois que, pour la nouvelle génération, ce complexe est dépassé. Pour la mienne, si ce n’était ni du rock ni en anglais, c’était de la merde ! Il fallait absolument que ce soit du rock pour que ce soit bien. Or, on sait tous que c’est faux. Il y a encore des gens de ma génération pour lesquels c’est encore le cas, et c’est vraiment l’étalon de la qualité. Tant mieux que la nouvelle génération soit étonnamment décomplexée et prenne tout à bras-le-corps, même dans la variété des styles musicaux. Cette génération peut télécharger tout Iggy Pop et tomber amoureuse d’une chanson de Charles Aznavour.

Il y a cette ouverture qui m’a été reprochée pendant très longtemps. Quand j’étais étudiant à Rennes, mon éclectisme était régulièrement mis à mal. Pour qu’une chanson me touche, je me fous de savoir si elle est yéyé, punk ou pop. J’ai toujours fonctionné ainsi. À l’époque, on ne pouvait pas dire qu’on aimait les Beach Boys – c’est fou quand on y pense.
Il aura fallu quelques années avant de pouvoir affirmer que Brian Wilson est un génie. Il y avait ces codes indépassables liés au complexe d’infériorité par rapport à la musique anglo-saxonne. Ce n’était pas gagné pour les musiciens français. [sourire]

Par exemple, je trouve que je chante mieux en anglais, si on enlève mon accent à la Maurice Chevalier ! Quand Surf est sorti, les reproches sur mon accent venaient uniquement des Français, jamais des étrangers, au contraire. C’est étrange. J’ai interprété avec mon cœur des chansons que j’aime. Ça m’est plus facile de chanter en anglais, mais aussi parce que ce ne sont pas mes textes. Le recul me donne de la sérénité. Je suis intimidé par mes propres textes, alors que je me roule avec extase dans l’anglais.

L’anglais est une langue fantastique, il y a tous les appuis qu’il faut pour chanter. Le français reste une langue merveilleuse, mais c’est très dur d’écrire en français avec des mélodies anglo-saxonnes en tête. Parvenir à une forme de fluidité comme si la chanson avait toujours été là me demande du temps. Et c’est grisant de réussir à placer parfois des mots improbables, comme “pharmacopée” dans les paroles de Boyfriend.

Malik Djoudi — Dans ta vie, ta création, ta carrière, par quoi te fais-tu guider ?

Un truc très mystérieux que je n’ai pas réussi à identifier. Entre deux albums, je ne fais volontairement rien, ou alors je travaille pour d’autres, comme l’album de Jane Birkin entre Blitz et Tirer la nuit sur les étoiles. Je laisse les choses infuser dans cette espèce de laboratoire, de pièce secrète inconnue de moi-même. J’ai besoin d’avoir une muse, qu’elle soit imagée comme Francis Bacon sur Les Chansons de l’innocence retrouvée et Syd Barrett sur Blitz ou qu’elle soit un amour, une amitié amoureuse. Ce n’était plus le sujet pour Blitz, mais c’est redevenu d’actualité pour le nouveau disque. [sourire]

Elli Medeiros — Does it feel like the first time?

Sur le plaisir et l’envie, c’est comme à l’époque de Mythomane. Rien n’a changé chez moi. C’est presque mieux aujourd’hui. Car l’envie s’est aiguisée avec le temps, d’autant que j’étais persuadé que mon 1er album serait le dernier. Je ne faisais aucune projection, une grande porte s’ouvrait. Il n’y a pas de bouquin pour savoir comment ça marche. À chaque fois, on a envie d’être meilleur et plus ambitieux pour se pousser le plus loin possible. C’est ma quête depuis la deuxième partie de ma carrière, qui a commencé avec Eden. C’est un long chapitre très très heureux artistiquement. J’aime tellement maintenant !

Elli & Daho en 1986 © Archive personnelle

Sandrine Kiberlain — Quelle chanson de quelqu’un d’autre aimerais-tu reprendre ?

Il y en a tellement…, mais sur le dernier album d’Unloved, il y a cette chanson, I Just Stop, qui est incroyable. Je ne rêve que d’une chose, c’est de leur piquer ! Elle me fait beaucoup penser à Dusty Springfield. Je suis époustouflé par cette chanson. Unloved, c’est un vrai coup de cœur musical depuis l’album Guilty of Love, il y a sept ans. Ils sont extrêmement ambitieux, ce sont de vrais génies. Et puis, je me suis tellement attaché à Jade Vincent et Keefus Ciancia depuis qu’ils ont quitté Los Angeles pour Saint-Malo.

Passé un certain âge, c’est rare d’avoir des amis qui rentrent dans sa vie pour toujours. Je pense aussi à cette chanson de Malik Djoudi, Sous garantie, qu’on a enregistrée en duo et qu’il faudrait publier un jour. Nos deux chants se marient idéalement, entre la voix de tête de Malik et la mienne plus basse. Il y a aussi Hand It Over de MGMT et Yeah Yeah Yeah de Sons of Raphael que j’aimerais reprendre. Il faudrait faire un Surf 15… [sourire]

Christophe Honoré — J’ai le sentiment que dans tes chansons, et dans ta manière d’envisager ta carrière, tu exprimes la pensée d’un éternel retour, “mourir pour renaître”, comme tu dis dans L’Enfer enfin, et que cette renaissance perpétuelle est dans ton idée une excellente nouvelle. D’où te vient, penses-tu, ta bonne humeur délibérée face aux choses qui se répètent et se revivent ?

L’éternel recommencement est, selon moi, une évidence. Je n’ai pas d’autre choix que de recommencer à chaque fois. Rien n’est acquis, bien au contraire. J’ai toujours la sensation d’être un débutant qui débarque de province et qui doit tout recréer. J’aime cet éternel recommencement, j’adore reconstruire, rebâtir. Je suis davantage rassuré par le fait que les choses ne sont jamais acquises, c’est le meilleur aiguillon. Je cours sans cesse au-devant de moi. Pour le reste, c’est vrai que je suis d’assez bonne humeur !

Je profite de la question de Christophe pour lui dire que j’ai vu Le Côté de Guermantes à la Comédie-Française : c’est la 1ère fois que j’y allais, donc j’étais grisé comme un enfant. Et j’ai été bluffé par son talent et ce qu’il a fait du texte de Marcel Proust. Je connais Christophe depuis longtemps, puisqu’il m’avait proposé de tourner dans son 1er film, 17 Fois Cécile Cassard. J’ai eu peur de ne pas être à la hauteur et d’être transpercé par le personnage du rôle principal. Chanteur et acteur, ce n’est pas le même métier.

Lionel Limiñana (The Limiñanas) — Étienne, quand est-ce qu’on part en Algérie ensemble ?

Ce n’est jamais le bon moment, c’est bizarre. Récemment, un ami est parti au cap Falcon [à l’ouest d’Oran] en me proposant d’y prendre des photos. Quand il m’appelait de là-bas, ça me paraissait irréel parce qu’il respirait l’air de mon enfance. Je lui demandais si ça sentait encore le Coca-Cola, la glace à la fraise, l’odeur du sable et du parfum de mes tantes. Je l’ai dirigé dans le cap Falcon comme si j’y étais encore. Ce sont des souvenirs impérissables. Je suis toujours pris entre deux feux, entre l’envie d’y retourner pour clore une période de ma vie, mais aussi la crainte de rouvrir certaines blessures et des moments tout sauf anodins : la guerre, la mort, la séparation, l’abandon. Tout est dans ma tête et, d’une certaine manière, j’y suis encore.

Étienne Daho, le pied sur le pare-choc, à Oran en 1963 © Archive personnelle

Juliette Armanet — Comment va Étienne Daho dans ce monde de brutes ?

Il va bien. [sourire] Et le monde a toujours été brutal. Nous sommes tellement nombreux sur Terre que la promiscuité nous rend nerveux. On est sans cesse envahi dans son espace intime, c’est ce qui rend les gens fous, anxieux, nerveux. La population mondiale a doublé en cinquante ans, c’est effrayant d’y penser. Il y a du monde tout le temps, ça grouille de partout. On a de la chance quand, pour traverser cette vie, on exerce un métier qu’on aime. La musique me porte avec force, joie et confiance.

Je vais donc assez bien, ce qui ne m’empêche pas d’être conscient des tourments du monde. Je m’accommode, car j’ai le cuir assez costaud, en ayant appris dès mon plus jeune âge à affronter des épreuves de la vie. Le monde nourrit les chansons et le monde est dans mon nouvel album. Le monde est de plus en plus cloisonné, labellisé, excluant, ce qui n’était pas le cas quand j’étais plus jeune.

Auparavant, on ne se préoccupait pas beaucoup de la différence. On choisissait ses amis plutôt par critère de différence que de ressemblance. Il y a aujourd’hui une conscience de la différence qui est très, voire trop aiguë. Depuis que je suis adolescent, je surfe sur plein de genres, de lieux, de musiques différentes. Je me nourris de tout, je ne peux pas m’auto-enfermer dans quoi que ce soit.

Alex Kapranos (Franz Ferdinand) — J’ai cette théorie pour les chansons écrites en anglais : les paroles sont généralement dirigées par le son des mots, mais en français c’est presque toujours le sens des mots qui prime. Est-ce que je projette ici mon sens déplacé de la supériorité intellectuelle française et de vos sensibilités poétiques ou est-ce vrai ?

La langue anglaise permet d’inventer des images et des phrases grâce à la sonorité. Souvent, en anglais, c’est le son qui fait le sens. Je m’en suis aperçu en écrivant Blitz. Les mélodies d’inspiration anglo-saxonnes me suggéraient des phrases que je n’aurais jamais écrites ainsi. Pour ce disque, j’avais fait l’expérience de laisser venir à moi les sons, qui ont fabriqué des images et les images ont induit un sens. Le sens a été une conséquence des sons, des sonorités, avec parfois des surprises et des constructions de phrases imprévues, comme le refrain de Chambre 29 qui m’est venu d’un seul coup : “Nos jeunes esprits s’impressionnent/Au rouge orangé de l’automne.”

Je me suis laissé aller à une écriture complètement débridée. Je pense, par exemple, à un texte comme Nocturne, la dernière chanson de Blitz, qui est inspiré de L’Apocalypse de saint Jean et auquel personne n’a rien compris ! Je le comprends d’ailleurs avec le recul. Pour répondre à la question d’Alex, on peut donc faire les deux, mais ça nécessite une sacrée gymnastique intellectuelle de se laisser envahir par les sons.

Olivier Assayas — Je pense qu’on a l’un et l’autre une dette vis-à-vis d’Elli, qui a été la muse de notre génération. Peux-tu, mieux que moi, mettre en mots cette gratitude ?

Elli Medeiros nous a réconciliés avec le style français. [sourire] Tout le monde était habillé comme des sacs à l’époque. Quand Elli est arrivée, tout le monde est tombé amoureux d’elle. Comme elle est née en Uruguay, Elli était aussi influencée par la mode sixties des États-Unis. C’est une artiste très sensible au mobilier, au papier peint, elle a donné aux Stinky Toys
cette image fantastique qui en a fait le groupe le plus chic ever du rock français. Elli a contribué à plein de choses, qu’elle a lâchées dans la nature et qui lui ont été subtilisées par beaucoup de gens.

À la fin des années 1970, le style, c’est Elli. Sans oublier l’importance du duo Elli & Jacno pendant sa courte existence, son apport de la musique latino en solo avec Toi mon toit. Elli a un flair et cette capacité d’anticiper. Elle a un goût très sûr et je l’interroge toujours sur les images, les photos. Elli m’a sauvé lorsque j’étais débutant ! Moi aussi, j’étais habillé comme un sac, avec mes couches de vêtements superposées pour paraître plus costaud : un polo, un pull, une veste, un imperméable, tous très moches et achetés en troc. Elli m’a habillé et même rhabillé…

Paris, Le Flore, 1994 avec Elli & Jacno © Philippe Lévy

Vanessa Seward — Est-ce que tu t’exprimes ailleurs qu’en musique ? Est-ce que tu continues la photographie ? Est-ce qu’il y a un autre domaine artistique que tu aimerais explorer ?

Je continue la photographie parce que j’ai toujours envie de capturer ce que je vois. Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les portraits. J’adorerais organiser des séances pour tirer le portrait des personnes que je connais et que j’aime. Je l’ai fait pour la campagne de ma ligne de vêtements Saint James Daho, ainsi qu’au MIDI Festival pour l’exposition Daho l’aime pop ! à la Cité de la Musique en 2017.

La photographie est une manière de s’exprimer qui m’est facile, parce que j’ai commencé par cette activité à Rennes. Mais il faut du temps, et la musique mange tout mon temps disponible. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu un bouquin entre les mains, regardé le plafond et attendu que le bouquin tombe en étant absorbé par une rêverie…

Marlon Magnée (La Femme) photographié par Etienne Daho

Flavien Berger — Dans mon nouveau disque, j’ai intégré des chants de crapauds appelés alytes accoucheurs. Quel est le bruit qui dernièrement t’a ému ?

J’aime beaucoup le son que font les ratons laveurs. Calypso [Valois] m’a contaminé avec sa passion pour les ratons laveurs, elle m’envoie tous les jours une vidéo de ces animaux. Ça me fait rire et c’est ce son que je trouve très mignon. [sourire]

Benjamin Biolay — Écris-tu les textes avant les musiques, et si oui, gardes-tu le texte originel ou y fais-tu des retouches ? Bref, quelle est ta méthode de travail ?

Je commence toujours par la musique, je suis sans cesse envahi par les mélodies. Quand une mélodie est arrivée à terme, je peux parfois tourner longtemps autour parce que je peux avoir plusieurs possibilités de couplet. Pour une chanson comme Tirer la nuit sur les étoiles, j’avais ainsi cinq couplets différents… Tant que je ne suis pas sûr de la mélodie, je ne me lance pas dans l’écriture du texte. La musique induit toujours ce dont je vais causer. Il y a déjà une ambiance, un climat autour de ce que je vais essayer d’attraper. Je ne sais pas comment font les artistes qui ont des textes pour les mettre en musique.

Isabelle Adjani — Cher Étienne, je crois savoir que pour une seule chanson tu remplis des cahiers entiers. Tes chansons seraient-elles comme la partie émergée de l’iceberg ? Un roman voire des romans se cacheraient-ils sous l’eau ? J’ai beaucoup de curiosité pour les romans des chanteurs, les chansons des romanciers, les mises en scène des acteurs, le jeu des réalisateurs…

L’écriture de chaque chanson est une aventure particulière. Il n’y a pas de règles, cela dépend de ce qu’exprime la musique, de son climat ou de sa suite harmonique. Certains textes viennent très rapidement, mais c’est rare, hélas. Une fois que la musique et la mélodie sont là, j’écoute en boucle et j’écris beaucoup, beaucoup trop. Puis j’élimine, je simplifie pour conserver et développer une idée unique. Comme tu le dis, les chansons finies ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ce qui n’est pas retenu reste en sommeil dans des eaux profondes.

Dominique Gonzalez-Foerster — Est-ce que tu voudrais être une femme ? Si oui ou non, pourquoi ?

Je ne me suis jamais vraiment posé la question, mais pour la curiosité, l’être pendant quelques heures… Mais je trouve agréable d’être un homme, d’être dans un corps d’homme… Je me sens à l’aise avec ma masculinité.

Vincent Lacoste — Quel est le meilleur album de tous les temps ?

Probablement parce que c’est le 1er album qui m’ait foutu une telle baffe, je dirais The Velvet Underground & Nico. Cet album me procure toujours tellement d’émotions intactes. Comme un couloir qui me relie instantanément à l’adolescence et ses bouleversements.

Tirer la nuit sur les étoiles (Polydor/Universal). Sortie le 12 mai. En tournée française à partir du 4 novembre et à l’Accor Arena, Paris, le 22 décembre.