Miossec : “Je reste intranquille, la sagesse ne vient toujours pas avec l’âge”

“Chercher un bar ouvert un lundi dans le Finistère nord, c’est un comble !”, s’époumone Miossec au volant de sa Volvo break, venu nous chercher en gare de Brest comme à chaque visite. Sauf que la tempête hivernale Gérard a soufflé sur l’Hexagone,...

Miossec : “Je reste intranquille, la sagesse ne vient toujours pas avec l’âge”

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“Chercher un bar ouvert un lundi dans le Finistère nord, c’est un comble !”, s’époumone Miossec au volant de sa Volvo break, venu nous chercher en gare de Brest comme à chaque visite. Sauf que la tempête hivernale Gérard a soufflé sur l’Hexagone, particulièrement en Bretagne, nous faisant arriver à l’heure du goûter plutôt qu’à celle du déjeuner. Dans la ville natale du chanteur, où même l’emblématique Vauban est fermé le lundi (il faut écouter sa chanson Je m’appelle Charles en forme de déclaration d’amitié au célèbre tenancier du lieu sur son nouvel album), on file donc sous la pluie le long des côtes. En toute logique océanique à l’autre bout du monde, on se pose donc au bar-tabac L’Océan à Landunvez, pas loin de Portsall, où le sinistre pétrolier Amoco Cadiz s’est échoué le 16 mars 1978.

Pendant notre entrevue, un client voisin viendra le saluer, reconnaissant Miossec malgré son bonnet de marin, au contraire de sa compagne, qui le confondait avec le leader de Louise Attaque. Avec ce disque, le douzième, écrit et composé pendant la tournée anniversaire de Boire (1995), Christophe Miossec n’a voulu faire aucune concession dans sa réalisation minimale, seulement réduite à un triumvirat entre un arrangeur/mixeur courtisé (Alexis Delong, ex-Inuït), un ingénieur du son local (Paul Le Galle) et lui-même. Entre Young Marble Giants et Suicide, deux références largement assumées et revendiquées, le Brestois prolonge l’inspiration retrouvée des Rescapés (2018) : “Tout est bleu/Tout est bleu, quand le noir s’en va”, chante-t-il en ouverture de Simplifier. Paroles d’un homme intranquille toujours aussi perspicace.

Avec Simplifier, tu renoues, comme à l’époque de Boire, Baiser et À prendre, avec un verbe en titre d’album. Était-ce précisément le postulat de départ ?

Miossec — Ce n’était pas le postulat de départ, mais le mot d’ordre avant le mixage avec Alexis Delong ; comme une pancarte d’arrivée pour mieux se repérer. C’est un disque très léger qui contient peu de pistes et d’éléments, pour éviter tout encombrement. Avoir ce verbe “simplifier” en tête nous a permis d’élaguer encore davantage le disque.

La genèse de l’album remonte-t-elle à la tournée du vingt-cinquième anniversaire de Boire ?

Émotionnellement, la tournée de Boire ne m’a pas laissé indemne. Surtout qu’il n’y avait pas seulement les spectateurs de l’époque, mais souvent aussi leurs enfants, dans une belle transmission générationnelle. Pour contenir ce flot d’émotions, le mieux à faire était donc de travailler et de m’exprimer pendant les trous de la tournée de Boire. J’ai rassemblé chez moi une basse, une guitare, un synthé et une vieille boîte à rythmes, une Elka Drummer One de 1969. Et demandé à Paul Le Galle, un ingénieur du son brestois, de venir enregistrer les maquettes à la maison. Certains morceaux sont presque restés tels quels et d’autres ont bien navigué avec l’intervention d’Alexis Delong aux arrangements.

En entrevue, tu as souvent confié ton manque de confiance en toi par rapport aux musiciens. Comment l’as-tu surmonté ?

Surtout grâce à la tournée de Boire, qui m’a ramené des années en arrière, lorsque j’étais vraiment tout seul et en plein isolement à construire la moitié de ce 1er album. À mon âge [Miossec a fêté ses 58 ans le 24 décembre dernier], j’éprouvais le besoin de retrouver ces instants-là. Et cela m’a fait un bien fou. La tournée anniversaire de Boire était un formidable contre-balancier à l’écriture du nouvel album. Loin de la nostalgie, j’étais porté par l’émotion du public, qui est une matière inflammable, donc précieuse. L’énergie de Boire a été mon carburant.

M’enfermer chez moi m’a permis de sécuriser les chansons”

Qu’est-ce qui t’a le plus surpris dans la tournée commémorative de Boire ?

Sur le papier, cela peut forcément sentir le sapin et te ramener à la seule chose au monde pour laquelle les gens te connaissent. Heureusement, on jouait des morceaux d’autres albums. Sur scène, j’ai enfin évacué mon complexe d’instrumentiste. À la maison, je compose principalement à la guitare.

En décembre, pour évoquer ce nouvel album, tu me confiais par téléphone ton envie “d’évacuer les frustrations accumulées sur des disques précédents, qui n’étaient pas assez bruts et déraisonnables à [ton] goût”. Auxquels songes-tu en particulier ?

Les Rescapés, mais surtout Mammifères, où le violon et l’accordéon devaient être contrebalancés par ma boîte à rythmes, toujours mon Elka Drummer One. Malheureusement, le côté Suicide recherché s’est dilué dans la réalisation finale du disque. Pour Simplifier, m’enfermer chez moi m’a permis de sécuriser les chansons.

Laquelle a vu le jour en 1er ?

La 1ère de l’album, Tout est bleu, basée sur quatre accords qui tournent en rond. C’est pour ça que je tiens autant à cette chanson, tout le reste du disque en a découlé. Comme j’écoutais pas mal de hip-hop américain, ça me confortait dans un certain minimalisme.

Ressens-tu toujours la même impatience et excitation à sortir un disque, malgré l’évolution des modes d’écoute d’un album et l’effondrement des ventes ?

Dans les années 1960, les 45t se vendaient déjà mieux que les albums. Proposer onze nouveaux morceaux, ça peut paraître long, voire fastidieux, mais c’est l’une des raisons pour lesquelles ils sont volontairement courts. Et il y a des albums qui, avant de sortir, me tiennent plus à cœur que d’autres, et Simplifier en fait partie, vu la manière dont je me suis foutu dedans pour le faire.

“Les erreurs sont indissociables du processus de création”

La thématique des chansons est très variée : de Charles Muzy, du Vauban, à l’acteur Gérald Thomassin, couronné du César du meilleur jeune espoir masculin en 1991, soupçonné en 2013 d’un homicide commis en 2008 et porté disparu depuis 2019, en passant par tes voitures ou ton passé de journaliste… Le plaisir de l’écriture est-il toujours intact ?

Oui, c’est avant tout de l’amusement, comme vider son sac. Et quel plaisir infini de voir se dessiner une chanson, après un temps de travail relativement court par rapport à l’écriture d’une nouvelle. Ça m’excite toujours autant. Le livre de Florence Aubenas sur Gérald Thomassin, L’Inconnu de la poste [2018], m’avait marqué, comme le fait divers à l’époque. Quelle histoire folle, quel mystère irrésolu et quel remarquable travail journalistique et littéraire de Florence Aubenas. Les enquêtes au long cours ne sont pas si fréquentes en France. Pour les paroles de Meilleur Jeune Espoir masculin, je me sentais une lourde responsabilité vis-à-vis de Florence Aubenas au cas où la chanson lui tombe accidentellement dans les oreilles.

Tu lis toujours autant la presse au quotidien ?

Encore pire qu’avant ! J’ai l’application Cafeyn, qui me permet d’accéder à tous les journaux et magazines.

Pour un papivore, tu parviens à lire sur un écran ?

Oui, sur mon iPad. Cela m’évite l’empilement de papiers chez moi…

Ton écriture, tant de fois imitée depuis le milieu des années 1990, a-t-elle évolué avec le temps ?

Par le passé, j’ai parfois changé de style, mais on ne se refait pas. C’est même criant voire effrayant. C’est le même papier et le même crayon… Il y a certains textes que je regrette, mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même : je n’ai parfois pas assez travaillé. Quand je regarde ma discographie, ce sont plutôt les erreurs que je vois en 1er lieu. Mais les erreurs sont indissociables du processus de création.

“Quelle que soit l’époque, on a l’impression que la catastrophe est toujours pour nous”

Tu imagines un jour écrire autre chose que des chansons ?

Oui, c’est toujours dans un coin de ma tête, mais sans agenda précis. C’est évidemment la forme de l’enquête journalistique qui pourrait me tenter un jour. Je ne me verrais pas partir dans un roman, surtout au milieu des 500 autres de la rentrée littéraire. Et lorsque je lis roman, je pense aussitôt “Salon du livre” et piles de bouquins qui s’entassent…

Écris-tu en faisant abstraction du présent et de l’époque anxiogène ?

Ce ne sont pas des questions que je me pose. Je n’ai jamais voulu être un chroniqueur du temps présent ni retranscrire l’époque. Les rares fois où j’ai cité des éléments datés dans des chansons, j’ai été rattrapé par le poids des ans, comme pour Regarde un peu la France.

Qu’est-ce qui t’inquiète le plus aujourd’hui ?

L’histoire humaine est une très longue inquiétude… [sourire] Je suis retombé sur des carnets de mon grand-père écrits dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale. C’est fou comme ça permet de relativiser. Quelle que soit l’époque, on a l’impression que la catastrophe est toujours pour nous. Idem pour le problème des générations. Chaque génération paraît sacrifiée par rapport à la précédente. Ce qui me soucie, c’est la détresse psychiatrique chez les adolescents.

Simplifier fait-il d’une certaine manière la boucle avec ton 1er album, Boire ?

Si c’est le cas, cela sous-entend donc que c’est bientôt fini… [sourire] Une chose est certaine, je ne compte pas m’éterniser trop longtemps. Surtout que je laisse des plumes sur scène : depuis tout ce temps, je n’arrive toujours pas à m’habituer, à me professionnaliser. Après un concert, je ne me sens pas très bien pendant dix minutes, un quart d’heure. À chaque fois, je m’interroge : pourquoi tant de douleurs ? Mon rapport au travail n’est pas très léger. C’est pareil de s’enfermer chez soi pour faire un disque. Sans verser dans le mysticisme, j’ai parfois l’impression de ramer à contre-courant. Passé 60 ans, cela peut devenir dangereux… Je reste intranquille, la sagesse ne vient toujours pas avec l’âge. Cela dit, je ne me souhaite pas de choper de l’assurance ! Je préfère mon état de fragilisation, sinon je m’ennuierais profondément.

“Il y avait une obligation d’être à la hauteur du paysage que je voyais”

Te tiens-tu encore à la page de l’actualité musicale ?

Ah oui, je reste en alerte. Même si je me heurte parfois à un mur d’incompréhension vu mon âge. Il y a plein d’artistes et de groupes revigorants, surtout quand on se souvient de l’époque miséreuse dans laquelle on a débuté avec Dominique A et Philippe Katerine. C’est Virginie Despentes qui parlait de la disparition de la marge. Aujourd’hui, la marge se retrouve numéro 1 à travers le monde.

Es-tu parfois nostalgique des années 1990, avant l’avènement d’internet ?

Nous n’étions pas encore reliés au grand tout ! On avait plus de temps disponible… Et encore, dans le Finistère, on est relativement épargné. Je ne me suis d’ailleurs jamais vu dans le milieu musical parisien. Je me sens protégé ici, ça fait treize, quatorze ans que je suis revenu chez moi. Pour enregistrer le disque, j’ai fait construire des grandes cabines façon cabanes de pêcheur, face à l’océan. Il y avait donc une obligation d’être à la hauteur du paysage que je voyais.

Enfin, dans une précédente entrevue, tu disais : “Je suis optimiste, sinon je ne ferais pas ce métier.” Est-ce toujours le cas ?

Oui, sauf que je remplacerais l’adjectif optimiste par naïf ! Mais ce qui est bien dans ce métier, c’est que l’on se retire à la demande générale. Chanter relève d’une utilité sociale, et c’est ce qui me donne encore cet élan.

Simplifier (Columbia/Sony Music). Sorti depuis le 17 février. En concert le 18 mars à Morlaix, le 25 mars à Laval, le 9 avril à Rennes (Festival Mythos), le 21 avril à Cluses, le 26 août à Paimpol (Festival du Chant de Marin).