Mirwais explique ses années Taxi-Girl dans une biographie ultime
Taxi-Girl, 1978-1981 est le 1er tome d’une trilogie intitulée Le Show-Business (LSB) – The Music Trilogy, imaginée et rédigée par Mirwais Ahmadzaï. Si vingt-quatre ans se sont déjà écoulés depuis son deuxième album solo Production et que le suivant...
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Taxi-Girl, 1978-1981 est le 1er tome d’une trilogie intitulée Le Show-Business (LSB) – The Music Trilogy, imaginée et rédigée par Mirwais Ahmadzaï. Si vingt-quatre ans se sont déjà écoulés depuis son deuxième album solo Production et que le suivant vire à l’arlésienne, le musicien, cofondateur de Taxi-Girl et producteur à succès de Madonna revient sur sa carrière, et notamment ses débuts : “Il est temps de rétablir la vérité, annonçait-il déjà dans nos colonnes à la parution de son 1er roman d’anticipation, Les Tout-Puissants (2022), salué par la critique. À 16 ans, nous étions comme deux frères avec Daniel Darc, mais il a retapissé l’histoire de Taxi-Girl.”
Le groupe, à la trajectoire ultra-chaotique et tragique – le batteur Pierre Wolfsohn, fils de Jacques Wolfsohn, célèbre producteur de Johnny Hallyday, Françoise Hardy et Jacques Dutronc, est mort à 20 ans d’une overdose au moment où Cherchez le garçon remporte tous les suffrages –, n’a officié qu’entre 1978 et 1986. Mirwais, aujourd’hui un des deux survivants de l’épopée Taxi-Girl, a choisi de expliquer dans un 1er temps la période souvent idéalisée de la genèse du groupe, jusqu’à la sortie de son unique album, Seppuku, en 1981. Avant de s’intéresser à la suite, encore plus sombre.
“Je souhaitais – tâche certainement impossible – expliquer les tâtonnements qui conduisent à la création d’un groupe de musique. Pour m’approcher au plus près, défaire le langage devint une nécessité. […] J’ai eu la malchance de participer de près à la désagrégation de ce qui aurait pu devenir un des meilleurs groupes de l’époque. Nous avions tout pour nous, mais ‘tout’ nous manquait. Quelque chose d’essentiel n’était pas au rendez-vous.” Dans le style narratif très référencé et parfois cryptique qu’on lui connaît, avec quelques sauts spatio-temporels et géopolitiques (liés à ses origines paternelles afghanes), Mirwais s’amuse volontiers avec le cut-up cher à William S. Burroughs, l’argot et les pseudos – le sulfureux manager Alexis Quinlin est simplement surnommé le Manager (avec un M majuscule) et en prend pour son grade page après page (“Le Manager était une andouille dyslexique. Complètement débile mais curieusement malin-business”).
“Deux cleans, trois défoncés”
Comme le reconnaît lui-même Mirwais, “guitariste, c’était la meilleure place du groupe au milieu des années 1970. Les chanteurs, c’étaient un peu des bibelots lèche-cul, et les guitaristes, des badasses. Parce qu’ils ne parlaient pas trop. Comme moi à l’époque”. Très vite, les drogues, que l’auteur du livre a “expérimentées et arrêtées très jeune”, viennent perturber l’équilibre déjà très fragile de Taxi-Girl : “Daniel [Darc, chant] taciturne arsouille, Laurent [Sinclair, clavier] flamboyant et drug-fat, Pierre [Wolfsohn, batterie] assiégé par la came, Stéphane [Érard, basse] pisse-froid, et moi, complètement dans le cirage, posé sur le sol mouillé et glacé. Nous étions deux cleans contre trois défoncés.”
En plein afterpunk, où l’on croise notamment Fred Chichin de Gazoline, autre figure camée de l’époque qui allait former Les Rita Mitsouko, Taxi-Girl était lancé à toute vitesse sur les rails – au propre comme au figuré. Il écrit : “Le meilleur groupe du monde nous avons été, non pas pour la musique ou l’attitude mais parce que nous fûmes l’équivalent de cinq missiles lancés vers la destruction de cibles différentes. Les autres groupes s’aimaient, nous pas, à part moi qui pensais les aimer, mais ne les aimais pas vraiment. Un groupe de rock original ne peut être qu’ainsi. C’est un rapport à la came, à l’addiction et aux rivalités.”
Parmi les 1ères chansons à émerger (Mannequin, Les Yeux des amants, Triste Cocktail, N’importe quel soir), Cherchez le garçon tient déjà une place à part, que Mirwais qualifie franchement de “carottage d’un classique new wave que je ne nommerai pas, transformé en tube”, “sol mineur tempo 143, séquence iconique, paroles queer”.
Relatant avec force détails les scènes ordinaires de la vie d’un groupe – les répétitions dans un local loué au père de David Guetta, les concerts, les signatures en label, les rivalités internes, les bagarres multiples, les faux départs de Daniel Dark devenu Darc, la collaboration avec l’inspiré producteur Maxime Schmitt, les bisbilles avec “le Manager”, l’enregistrement de l’album – mais aussi de la vie déjantée de ses membres, l’auteur, à la fois juge et partie, ne rate jamais une occasion de se moquer, avec le franc-causer qu’on lui connaît (voir les passages sur Daniel Darc et ses accoutrements inspirés par ses idoles de cinéma, ainsi que sa voix ressemblant étrangement à celle de… Raymond Barre).
Sans oublier, bien sûr, cette 1ère partie mythique des Talking Heads au Palace en décembre 1979, où Daniel Darc se taillada les veines avec une lame de rasoir. “Ce concert fut une apothéose, mais pas comme l’imaginait le Manager. La foule, le sang, le Christ roi. […] Le sang versé de Daniel n’était pas un bon présage, la sauvagerie nous encerclait et la substance vermeille gluante se répandait comme l’emprise d’un eunecte glissant en silence dans la couche euphotique.”
Rêve brisé
Groupe séminal à l’influence considérable, Taxi-Girl pouvait, selon Mirwais, se résumer à “la testo mélangée à la vision féminine comme le rock des Stooges mélangé à Kraftwerk révélait une hybridation extrême”. Mais le fonctionnement erratique de Taxi-Girl oblige Mirwais à en prendre le contrôle, presque malgré lui. “J’avais le lead sur le groupe depuis le début, parce que j’étais le seul à vraiment l’aimer en réalité. Les autres, et ce n’est pas un reproche, s’aimaient eux-mêmes et n’en avaient rien à battre de notre entité musicale.”
Lors de sa conférence aux Inrocks Festival en mars dernier, il précise d’ailleurs que “même à la décharge du Manager, chacun roulait pour ses propres ambitions. À la fin des années 1970, nos ambitions n’avaient rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Il n’y avait aucun plan de carrière dans le rock, au contraire de la deep-variète. Pourtant, tout le monde voulait nous signer. En ringardisant tous les autres, nous représentions le futur de la musique moderne française, qui aura finalement décollé sans Taxi-Girl. Entre nous, c’était une guerre larvée, on était dans des postures situationnistes : chacun voulait créer sa situation. Tout le monde ouvrait sa gueule, même le bassiste, qui insupportait les trois autres défoncés… Leur plus grave erreur a été de le virer parce que Stéphane était mon seul allié dans le groupe. Je me demande encore ce qu’ils voyaient que je ne voyais pas, et inversement. Ce n’est que ça, le show-business : ils s’injectaient de l’héroïne et moi, je m’injectais autre chose. C’est pourquoi dans le bouquin, je cause souvent d’hypodermique, un mot qui n’existe pas dans le vocabulaire de la drogue”.
L’enregistrement de l’album Seppuku en septembre 1980 se produit d’ailleurs dans des circonstances extrêmes, quelques semaines seulement après la mort par overdose d’héroïne du batteur Pierre Wolfsohn. Produit par Jean-Jacques Burnel, le bassiste des Stranglers, et illustré par Jean-Baptiste Mondino, ce disque marque, comme son titre le laisse entendre, le début de la fin de Taxi-Girl. “En mettant nos mains dans le feu, on a prouvé notre sincérité”, constate Mirwais aujourd’hui. “C’est aussi le moment où Daniel Darc a pris le pouvoir avec ses paroles mortifères, comme dans Viviane Vog, qui tranche ses veines. Ou comme son idée gravissime de sceller la pochette du disque pour l’ouvrir avec une lame de rasoir.”
Et impossible de lire son récit de la séance photo avec Mondino sans y voir la mort annoncée du groupe : “Lorsque Jean-Baptiste appuya son doigt sur le déclencheur de son appareil et que la photo du modèle japonais fut capturée, la lumière du groupe s’éteignit pour toujours. Notre énergie incandescente, notre talent, nos espoirs, nos corps, notre jeunesse furent transférés sur cette image glacée représentant un suicide rituel (le seppuku des femmes ne se pratiquait pas ainsi, mais qu’importait).”
Chez Mirwais, l’écriture du 1er tome de la biographie secrète et intime de Taxi-Girl revêt quelques vertus cathartiques, sans jamais éluder aucun épisode, fût-il le plus glauque et noirâtre. “Il me fallait rendre compte du désordre dans lequel ma génération plongea avec une ardeur pour l’autodestruction qui était sans nul doute innocente sous certains aspects. Nous avons brisé le rêve hippie des années 1970 sans réaliser que c’étaient nous-mêmes que nous brisions. La chute de Taxi-Girl fut une réplique exacte de la faillite et de la désillusion de cette période”, écrit-il. Et de nous préciser : “Il y a quelque chose de métaphorique dans l’histoire de Taxi-Girl : c’est une chute sans fin …”
Taxi-Girl, 1978-1981 de Mirwais (Séguier), 256 p., 21 €. En librairie.