Mort de Syl Johnson, le soulman sculpté dans le blues électrique
Comme beaucoup de chanteurs soul, Syl Johnson était un incompris. Son image, déformée par le prisme de l’Amérique blanche, est trop souvent réduite à son manifeste anti-raciste Is It Because I’m Black, sorti en 1970. Un album magnifique, certes,...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Comme beaucoup de chanteurs soul, Syl Johnson était un incompris. Son image, déformée par le prisme de l’Amérique blanche, est trop souvent réduite à son manifeste anti-raciste Is It Because I’m Black, sorti en 1970. Un album magnifique, certes, mais qui ne doit pas masquer ce qui faisait la quintessence de sa musique : l’héritage du blues, crié, sublimé et électrique.
Décédé à l’âge de 85 ans le 6 février 2022, cette voix marquante de la musique noire américaine des années 1970 était aussi un producteur remarquable, adoré des plus grands beatmakers hip-hop qui ont samplé sa discographie. Lui, le gamin du Mississippi né en 1936 à quarante kilomètres de Memphis, avait quitté ce berceau du blues à l’adolescence pour investir la mégalopole de Chicago. Habité par son héritage, il savait chanter la rue, la couleur des murs, le gris, proposant une musique urbaine et profonde. Presque toujours, la guitare retentissait. Cet instrument, c’est celui qui lui a donné le goût de la musique, celui que son grand-frère, Jimmy, avant de partir travailler aux champs le matin, lui interdisait de toucher en son absence. Il a désobéi. Bien lui en a pris.
Un cri du cœurRemarqué pour son maniement de la six cordes et de l’harmonica, Syl Johnson a démarré sa carrière en accompagnant des grands noms du blues amplifié tels que John Lee Hooker ou Elmore James. C’est cette voie exigeante qui lui a permis de rejoindre le label King Records en 1959 et de sortir ses 1ers singles. Mais le succès, encore relatif, n’arrive qu’en 1967. Les titres Come On, Sock It To Me et Different Strokes, parus chez Twinight, empreints de funk et d’admiration pour son contemporain James Brown, l’installent enfin comme artiste solo et ouvrent la voie à Is It Because I’m Black, un album frontal et révolté, à ranger parmi les grandes œuvres de la lutte pour les droits civiques. La chanson éponyme, dotée d’une basse pénétrante, sera reprise par le chanteur jamaïcain Ken Boothe pour une version reggae anthologique. Certaines grandes chansons marquent les esprits peu importe l’arrangement, c’est parfois à cela qu’on les reconnaît.
Comme Marvin Gaye avec What’s Going On, Syl Johnson ne fait qu’une très brève apparition dans la chanson contestataire. Un cri du cœur et puis s’en va. La critique ne le suit pas toujours, son parcours et son identité musicale sont difficiles à cerner. Il est un atypique qui cherche encore le carton commercial, le vrai. Et puisque le succès se provoque, il change d’écurie, quitte Twinight pour Hi Records, et rejoint en même temps le producteur Willie Mitchell, avec qui il avait déjà travaillé sur son 1er album. Après quelques déceptions, les deux hommes changent leur fusil d’épaule, cessent de privilégier la soul langoureuse pour varier la palette sonore de Syl Johnson. L’album Diamond In The Rough en 1973 est un entre-deux artistique bienvenu, mariant le côté crooner aux rythmiques plus effrénées, mais dont le succès n’est rien à côté de celui de Total Explosion en 1975. Un disque qui remet en exergue la facette blues et brute du chanteur, presque rock.
La science du breakbeatAprès ces coups de force, la carrière de Syl Johnson connaît plus de bas que de hauts. Rien de surprenant vu le contexte musical d’alors. Mais le retour en grâce du blues dans les années 1980 lui permet de se maintenir à flot et de continuer à produire ponctuellement. C’est également à cette période, plus précisément entre 1986 et 1991, que sortent les compilations Ultimate Breaks and Beats éditées par Street Beats Records. Le principe : réunir les morceaux contenant les meilleurs breakbeats soul, funk et consorts, et les mettre à disposition des producteurs de hip-hop. Le titre Different Strokes de Syl Johnson fait partie de la sélection et devient alors l’un des samples rythmiques les plus importants du rap de l’époque. Schoolly D, Whodini, Boogie Down Productions puis le Wu-Tang ou encore Kanye West useront de cette redoutable introduction, offrant au chanteur une autre notoriété, inattendue celle-ci.
Presque toute sa discographie passe à la moulinette du sampling, faisant de Syl Johnson l’un des artistes soul les plus échantillonnés par le hip-hop. En France, les cordes de son titre I Hate I Walked Away seront isolées et bouclées par IAM, donnant ainsi naissance au single Elle donne son corps avant son nom. Classique.
Avec Curtis Mayfield, Etta James, Billy Stewart ou The Chi-Lites, Syl Johnson demeure l’une des grandes incarnations de la Chicago Soul, qui savait rivaliser avec la Motown de Detroit ou avec la Memphis Soul. Il est un original, synthèse de l’histoire du genre, ayant abordé presque tous ses grands sous-genres et tendance entre 1960 et 1978. Peut-être parce que pour se faire un nom, il a dû essayer, échouer, changer, réessayer et finalement réussir à atteindre son objectif : celui de devenir un chanteur majeur, enfin considéré. Sa disparition et les hommages qui en découlent prouvent qu’il a atteint son but.