Mostra de Venise 2022 : Aronofsky se plante, Zlotowski et Lifshitz séduisent

Quelle idée a poussé Darren Aronofsky (Black Swan, Mother !) à aller déterrer une pièce de (vieux) théâtre (du dénommé Samuel D. Hunter) pour en tirer un film, The Whale (littéralement, “La baleine”) ? Sans jeu de mots, tout est lourd ici,...

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Quelle idée a poussé Darren Aronofsky (Black Swan, Mother !) à aller déterrer une pièce de (vieux) théâtre (du dénommé Samuel D. Hunter) pour en tirer un film, The Whale (littéralement, “La baleine”) ? Sans jeu de mots, tout est lourd ici, dans cette histoire d’un prof d’écriture qui a décidé de se suicider en prenant du poids pour faire exploser son cœur gros.

Et devinez quoi ? Il est fan de Moby Dick, de Herman Melville… Les acteur·trices jouent mal (même l’excellente Sadie Sink, révélée par Stranger things). Les dialogues sont affligeants et l’image laide. Les effets spéciaux – pour faire encore davantage grossir le courageux Brendan Fraser (oui, l’acteur de La Momie), qui a évidemment pris du poids pour le rôle (attention, film à Oscar !) – , sont si voyants qu’on se croirait dans un film Pixar. The Whale, scolaire et bébête, enfile les clichés et les platitudes sur la souffrance, l’adolescence, la vie, la mort, de manière totalement et paradoxalement désincarnée.

The Whale

Santiago Mitre (El Estudiante, El Presidente), lui, réussit son coup avec Argentina, 1985. Un peu trop facilement, a-t-on envie de dire, tant le film ne sort quand même pas des sentiers archi rebattus du genre toujours stupéfiant du film de tribunal. Le film explique un événement historique : en 1985, celui de la condamnation par la justice, dans une Argentine redevenue démocratique, des militaires – dont le chef de l’État, le sinistre général Videla –, qui avaient pris le pouvoir par la force en 1976, et qui furent reconnus responsables de la torture, de l’assassinat sans procès et de la disparition de dizaines de milliers de citoyen·nes considéré·es comme des “gauchistes”.

Le scénario de Santiago Mitre et Mariano Llinas (aussi réalisateur de La Flor) tourne autour de la figure du procureur Julio César Strassera, qui était resté très discret sous la dictature (sans jamais la soutenir) et qui se retrouve tout d’un coup poussé à devenir un “héros national”, malgré les menaces réelles qui pèsent sur sa vie et celle des siens. Le scénario et la mise en scène sont redoutablement efficaces, avec des touches d’humour bienvenues (la famille du procureur est moins paniquée par les menaces de mort que par lui-même), et la star argentine Ricardo Darín (qui ressemble étrangement à Mélenchon, pour les spectateur·trices français·es) est en pleine forme. Le film pétille de malice, d’humanité, revigore et redonne espoir dans la nature humaine. De la belle ouvrage, même si le film ne renouvelle en rien le genre codifié par Hollywood.

Un œil du côté des sections parallèles

Devant la pauvreté ou la conventionnalité de la compétition officielle, nous nous tournâmes avec espoir et satisfaction vers les sections parallèles. Où le plus beau film que nous vîmes depuis le début de ce festival fut, sans conteste, celui de Sébastien Lifshitz (Bambi, Adolescentes, Petite fille), auteur d’un documentaire intitulé Casa Susanna et qui explique l’histoire d’un lieu qui accueillit, au tout début des années 1960, en pleine campagne américaine, des hommes (hétéros, homos, futur·es trans ou non), qui aimaient se vêtir “en femme” – ce qu’on appelle des crossdressers (sujet qui avait d’ailleurs déjà intéressé Chantal Poupaud et François Ozon).

Le film décrit le parcours et la rencontre de trois individu·es (le petit-fils de la femme qui créa ce lieu pour son mari, l’un de ses hôtes de l’époque, une trans australienne, et la fille d’un des pensionnaires du lieu). Magnifiquement filmé, toujours intelligent, parfois cruel, une fois de plus, Lifshitz nous bouleverse et secoue par la même occasion, les codes du genre (dans une autre acception du terme, bien sûr). La fin est sublime.

Nous vîmes aussi le second film de “fiction” Frederick Wiseman, l’un des plus grands documentaristes vivants. Similitude avec La dernière lettre, tourné il y a 20 ans avec Catherine Samie sur un texte de Vassili Grossman, Un Couple filme le monologue d’une femme seule, l’épouse de Tolstoï. Interprétée par Nathalie Boutefeu – une grande actrice trop absente du cinéma français – et parcourant la campagne, cette dernière lit un montage de lettres (effectué par Boutefeu) adressées par cette femme à son époux, où se dévoilent à la fois son intelligence, son dévouement et son amour pour le grand Léon. Mais dans lesquelles on perçoit aussi la peur que lui inspire cet homme à moitié-fou, qui la rabroue et la maltraite quand il va mal.

D’une sobriété et d’une simplicité confondantes, Un Couple est le film d’un cinéaste qui a confiance en son art et ses forces naturelles d’expression, et qui n’a pas besoin de feux d’artifices pour nous émouvoir : la nature, un visage, une voix. C’est tout et c’est suffisant pour être fort.

Laisser un souvenir

Frederick Wiseman joue un rôle court, mais symboliquement important, dans le nouveau film de Rebecca Zlotowski, Les Enfants des autres, présenté en compétition : celui d’un vieux gynécologue, le Dr Wiseman, que consulte Rachel, l’héroïne, jouée par une Virginie Efira, qui se dévoile une fois encore, et plus encore (un peu plus qu’hier et moins que demain ?), une extraordinaire interprète. Rachel a la quarantaine, la ménopause approche et elle n’a pas d’enfant. Elle a perdu sa mère alors qu’elle était encore petite. Elle a une histoire d’amour avec Ali (Roschdy Zem), tout va bien, mais lui a une fille de cinq ans, Leila, dont Rachel s’occupe, s’éprend, sans espoir de retour, car elle est une “pièce rapportée”… Quel statut, quelle légitimité a une “belle-mère” dans notre société ? Aucune.

On entend dire que Zlotowski tournerait ici enfin son 1er film, tant celui-ci semble (semble !) le plus personnel. Non parce que son sujet, sociétal et psychologique, est revendiqué par la cinéaste comme étant autobiographique – la non-maternité, la “belle-maternité”, élever d’autres enfants que les siens, etc. –, mais parce que ce qui fait pleurer (son vrai sujet ?), dans Les Enfants des autres, touche directement à un autre sujet, en réalité, à savoir la question fondamentale de ce que nous allons laisser après notre mort (n’employons pas le grand mot de “postérité”, qui serait inadéquat ici). Leila se souviendra-t-elle de Rachel, l’amoureuse de son père ? Pas sûr. Que laissons-nous ? Les Enfants des autres le montre très clairement à sa fin : un souvenir.

Un souvenir, écrivait et chantait Damia, C’est l’image d’un rêve/D’une heure trop brève/ Qui ne veut pas finir/Un souvenir/C’est toute la tendresse/Des beaux jours d’ivresse/Que l’on croit retenir”… Nous laisserons un souvenir, que nous l’ayons souhaité ou non, qu’il nous plaise ou non. Et puis une cinéaste qui fait débuter son film par Pannonica de et par Thelonious Monk, et le clôt par Les Eaux de mars de Tom Jobim et Vinicius de Moraes traduits magnifiquement par Georges Moustaki, ne peut pas être mauvaise. Quant à savoir s’il est plus personnel qu’Une Fille facile ou Belle épine… Qui pourrait en juger ?