Murat, un “Best of” inespéré et forcément incomplet
Qui d’autre que lui pouvait-il attendre 70 printemps passés pour sortir enfin le 1er best of de sa carrière ? Même Manset s’y était résolu dès la fin des années 1990. D’ailleurs, ce Best of est moins l’idée de Murat lui-même que de son manager,...
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Qui d’autre que lui pouvait-il attendre 70 printemps passés pour sortir enfin le 1er best of de sa carrière ? Même Manset s’y était résolu dès la fin des années 1990. D’ailleurs, ce Best of est moins l’idée de Murat lui-même que de son manager, Guillaume Depagne, et de son ancienne maison de disques, Le Label/PIAS, qui ont fini par convaincre l’Auvergnat obstiné (doux euphémisme).
Comme toujours dans pareil cas, il faut à la fois prendre par la main le béotien, tout en contentant l’aficionado, qui maîtrise son petit Murat illustré depuis Suicidez-vous le peuple est mort en 1981, mythique single inaugural étrangement oublié des vingt morceaux du Best of dans sa version physique (la version digitale en comptant le double). D’ailleurs, résumer la discographie féconde de Murat en vingt titres seulement est une gageure. Comme il le dit lui-même dans l’une de ses plus grandes chansons (Je me souviens dans Il Francese, 2018), “Je me souviens de Murat/Aux portes de Naples”, clin d’œil au roi de Naples Joachim Murat, qui lui a inspiré son pseudonyme. Connaissant l’inclinaison transalpine du bonhomme, on n’est donc pas étonné pas que ce soit Foule romaine, à l’évidence mélodique imparable, qui sert de point d’entrée. Car c’est aussi avec le single phare du Moujik et sa femme (2002) que Jean-Louis Murat a accéléré son rythme discographique à partir des années 2000, avec un album par an ou presque.
Voyage dans la discographie de Murat
Sous couvert d’un superbe travail graphique par les génies de M/M, ce Best of se présente ainsi comme un incessant va-et-vient dans la discographie muratienne que seulement les initié·es maîtrisent avec vingt et un albums studio et une dizaine de disques parallèles (enregistrements live, projets littéraires, musiques de films, DVD). Dans le 1er quart du Best of, on passe ainsi de Foule romaine au classique Au mont sans-souci (une chanson que l’intéressé faillit pourtant écarter de Mustango, 1999), avant de basculer sur le 1er tube tardif de sa carrière, Si je devais manquer de toi (1987), où Murat dit déjà tout de son lexique amoureux : “Garde-moi si tu m’aimes/Mais si tu doutes oublie-moi/Si je devais manquer de toi/Autant me priver pour toujours”. Dans ces années 1980 synthétiques, Jean-Louis Murat sort déjà du lot, affirmant sa singularité et sa voix caressante qui feront de Cheyenne Autumn (1989), son deuxième album, son 1er chef-d’œuvre.
Avant d’enchaîner avec Le Manteau de pluie (1991), qui lui valut sa 1ère couverture dans Les Inrockuptibles (époque mythique du bimestriel), d’où sont extraits les quatre singles : Le col de la Croix-Morand, Cours dire aux hommes faibles, Sentiment nouveau et Le Lien défait, l’une des plus grandes chansons de rupture jamais écrites. Avant la sortie de l’album, Murat est propulsé à la tête du Top 50 en chantant en duo Regrets avec l’ultra populaire Mylène Farmer, qui, à l’époque, est loin de bénéficier d’un statut de culte obtenu aujourd’hui.
Cinq après, sans oublier Vénus (1993) où Tout est dit (peut-être son titre le plus basique de son répertoire) à propos de son Parcours de la peine dont il fait sa sève musicale, le natif du Puy-de-Dôme va livrer Dolorès (1996), son sommet artistique d’une modernité ahurissante pour beaucoup de Muratophiles. À l’époque, il rêve de collaborer avec Nellee Hooper (Soul II Soul), Bomb The Bass ou Brian Eno pour Dolorès (1996), un disque écrit et composé en pleine rupture amoureuse (Fort Alamo, avec ses paroles explicites “Qu’il est dur de défaire/J’en reste KO”) et élaboré pendant six longs mois en studio, ce qui va définitivement le vacciner et l’inciter à privilégier une formule en trio dans les deux décennies suivantes.
Chef-d’œuvre absolu de la chanson française réalisé avec les fidèles comparses Denis Clavaizolle et Christophe Dupouy, Dolorès balance entre ballades intemporelles (Le Train bleu, Aimer) et excursions électroniques (À quoi tu rêves ?), s’essayant déjà superbement à l’exercice baudelairien (Réversibilité).
Les oreilles toujours rivées de l’autre côté de l’Atlantique, comme ses modèles de référence (Robert Johnson, John Lee Hooker, Neil Young, Bod Dylan…), Murat s’offre une 1ère excursion américaine à New York pour Mustango (1999), où il invite Elysian Fields (Jim avec Jennifer Charles), Calexico ou le guitariste Marc Ribot et chante l’immense Nu dans la crevasse (avec ses renversants chœurs gospel). Il reproduira l’expérience dans le berceau de la country à Nashville avec Le Cours ordinaire des choses (2009).
D’un album à l’autre dans ces années prolifiques, le paysan de la chanson française s’amuse en studio autant que sur scène, passant du Murat des champs au Murat des villes, de l’acoustique à l’électrique. Du triple album vinyle Lilith (2003), dont Les Jours du jaguar rugissant ne figurent pas non plus sur la version CD ou vinyle, au poignant Taormina (2008), Jean-Louis Bergheaud semble rattraper le temps perdu, lui qui est seulement arrivé à la trentaine dans le paysage hexagonal. La décennie 2010 le voit changer de label et arriver chez PIAS pour maintenir le rythme de sa production artisanale et rééditer progressivement l’entièreté de son catalogue, dispersé entre plusieurs maisons de disques.
Faute de Crazy Horse, un temps envisagé dans la décennie 1990, le Berger de Chamablanc s’associe avec le groupe clermontois américanophile The Delano Orchestra pour un volcanique Babel (2014), où il peut à raison entonner J’ai fréquenté la beauté. Murat n’est jamais aussi inspiré et éloquent quand il chante son Arverne comme son désamour. Dans la France endeuillée par les attentats de 2015, ce French Lynx chante le prophétique Tous mourus ou Le Cafard dans le noir de Morituri (2016). Puis suivirent les deux tiers de sa trilogie, Travaux sur la N89 (2017) et l’autobiographique Il Francese (2018), pour se mettre au diapason de son admiration pour Kendrick Lamar et Frank Ocean. Jamais là où l’on attendait et porté par une fixette Earth, Wind & Fire, Murat groovait sur Baby Love (2020) et repartait sur une fiction américaine avec La Vraie vie de Buck John (2021), dont on ne pensait jamais qu’il clôturait sa copieuse et passionnante discographie de son vivant.
“Buck John, c’est tellement moi, admettait-il lors notre dernière entrevue à l’automne 2021. J’aime me transporter à travers les époques et j’ai appris le romanesque en grandissant à La Bourboule, sans radio ni téléviseur.” Avant de se dévoiler dans des paroles qui prennent une toute autre résonance au lendemain de sa disparition brutale : “J’aurai désormais une carrière en deux temps : de mon vivant et post-mortem. Je vais ainsi enregistrer vingt albums inédits pour vivre vingt ans de plus que ce que j’ai vécu !” Avec ce songwriter intarissable, on sait que des montagnes d’inédits dorment dans des tiroirs. Impossible, en attendant de les découvrir un jour, de ne pas réécouter Le Monde intérieur, le cœur lourd et les mots éplorés : “On voudrait voir d’en haut/On voudrait partir sur le chemin/Voir le monde d’en haut/Laisser sa rumeur dans le lointain/Quitter lunettes et chapeaux/Quitter tout/Quitter l’âme et voyager.”
Best of (Le Label/PIAS). Sortie le 25 mai.