Nabihah Iqbal dévoile “Dreamer” : “Je pense ma musique à l’écart des grandes villes”

Il y a des albums comme ça, aussi beaux soient-ils, dont on ne se souvient pas de façon concrète. Ils ne vivent que dans l’irrationnel, comme les rêves, ceux qui troublent durablement l’esprit, ceux qui ne peuvent être racontés. Il en est ainsi...

Nabihah Iqbal dévoile “Dreamer” : “Je pense ma musique à l’écart des grandes villes”

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Il y a des albums comme ça, aussi beaux soient-ils, dont on ne se souvient pas de façon concrète. Ils ne vivent que dans l’irrationnel, comme les rêves, ceux qui troublent durablement l’esprit, ceux qui ne peuvent être racontés. Il en est ainsi de Weighing Of the Heart. Le 1er album de Nabihah Iqbal a beau être sorti en 2017, être toujours présent à nos côtés, ce dernier ne cesse de dévoiler d’autres aspects, d’autres émotions, d’autres couleurs, systématiquement en fonction du souvenir qu’on lui associe. “Suggérer, faire fantasmer, laisser de la place aux multiples interprétations, c’est précisément ce que je cherche à provoquer, admet la Britannique. Et puis c’est toute la beauté de l’art : façonner un univers au sein duquel des personnes, plus ou moins nombreuses, vont pouvoir créer leurs propres histoires.”

Depuis son studio, hébergé au sein du Somerset House, un grand bâtiment néo-classique reconverti en centre culturel situé près du Waterloo Bridge, à Londres, Nabihah Iqbal imagine ainsi des pop-songs directement liées aux nuages, débarrassées de toute forme de pesanteur, comme composées depuis un haut-plateau enchanteur. Il y a bien évidemment de la mélancolie dans ce chant qui parvient à rendre séduisant le dénuement, des souvenirs douloureux dans ces récits contés sur un entrelacs de beats électroniques planants, d’arpèges aériens et de cold-wave bienfaitrice (“Quand toutes les fleurs d’été étaient pour toi et moi”).

Sauf que malgré la noirceur contenue dans Dreamer, les dix nouveaux morceaux de l’Anglaise ne sont qu’ondulations, lumière et onirisme. “Ce n’est pas un hasard si ce nouvel album se nomme ainsi, dans le sens où c’est profondément ce que je suis : une rêveuse, une personne spirituelle, toujours plus attachée à l’idée de me ressourcer, d’être en phase avec moi-même, de penser ma musique à l’écart des grandes villes.”

Plan B

Il n’y a ainsi rien d’étonnant à savoir que Dreamer a été majoritairement pensé lors de différentes résidences en Écosse et dans le Suffolk. C’est là, sans Internet, sans tentation d’errer au milieu de multiples enseignes ou de rejoindre ses ami·es, que Nabihah Iqbal apprend à mieux se connaître, à se débarrasser d’un spleen sous-jacent, mais aussi à digérer ce qui reste encore aujourd’hui un profond traumatisme. “Avant ces différentes sessions, rembobine-t-elle, j’avais composé un album que j’ai totalement perdu… Ça été horrible, choquant. La musique, c’est tout ce que j’ai, je n’avais plus de plan B.”

Du propre aveu de son autrice, Dreamer ne ressemble pourtant pas à ce qui avait été imaginé initialement. “C’est comme si je recevais un signe de l’univers, un message qui me disait que je me devais de consacrer plus de temps à mon album”. Simple optimisme de façade ou réelle faculté à tout relativiser ? C’est juste que Nabihah Iqbal a traversé d’autres épreuves, expérimenté d’autres envies. Le confinement est passé par là. L’appel de la nature aussi : “En Écosse, le soir, j’assistais aux nuits les plus noires que je n’avais jamais eu l’occasion de voir. Tout était si calme, si apaisant, si inspirant. J’y ai vu la possibilité de penser ma musique différemment, de m’autoriser les silences, la respiration, lâche-t-elle, un sourire timide aux coins des lèvres, presque gênée à l’idée de reconnaître qu’elle s’est peut-être mieux sentie que jamais dans ces endroits vidés de toute présence humaine, en retrait du monde moderne et de sa course infernale vers le progrès.

Des instants à saisir

Libre à chacun de voir dans cette quête d’accalmie une forme de prolongement avec sa pratique du karaté, cet art martial qu’elle dit envisager comme un moyen de contrôler ses mouvements, d’être en adéquation avec son corps, de gérer son stress. Il est toutefois plus intéressant encore de souligner le contraste à l’œuvre entre cette nécessité de se retirer du réel et son quotidien londonien, rythmé, intense, soumis à de nombreuses sollicitations. “C’est vrai qu’une fois de retour chez moi, j’ai très vite repris mes vielles habitudes…”

C’est que Nabihah Iqbal est de ces artistes qui ne tiennent pas en place : ces dernières années, elle a notamment composé pour le Turner Prize, collaboré avec le photographe Wolfgang Tillmans dans le cadre de son exposition à la Tate Modern, participé à une performance-hommage à Jean-Michel Basquiat au Barbican, donné des conférences au Royal College of Art, posé pour une campagne Fred Perry, animé des émissions sur NTS, et signé des articles dans Dazed ou Vice. À croire qu’avec Nabihah Iqbal, la vie n’est qu’une succession d’instants à saisir, sans projection, ni calcul. Il faut tout tenter, tout explorer, ne “rejeter aucune idée”, accepter ses multiples influences (ici, Michael Jackson, sa 1ère passion, mais aussi Kate Bush, Oasis, Joanna Newsom, Kate Bush, M.I.A.). Son mantra ? “Ne pas avoir le regret de s’être détournée un jour d’une sonorité.”

Pour Dreamer, durant plusieurs mois, la Londonienne s’est ainsi essayée pour la 1ère fois à une autre approche de la composition : envisagée uniquement à la guitare acoustique. Elle y voyait là un moyen de renouer avec le geste créatif, la possibilité de ne pas en faire trop, de laisser davantage de place aux textes, à ces poèmes dont elle imagine très bien l’existence en tant que telle, sans mélodies pour les sublimer. “Je passe tellement de temps à choisir mes mots, à trouver des images capables de synthétiser une idée que, oui, j’ai tendance à penser que mes textes pourraient mener leur propre vie.” Venant d’une femme dont le studio est parsemé de recueils de poésie, cette affirmation n’a rien d’anodine, ou de prétentieuse : elle permet simplement de souligner son esprit vif et son ingéniosité, tout en lui interdisant au passage une quelconque stagnation.

D’In Light à Closer Lover, deux morceaux intimement liés, connectés par le même souvenir endeuillé, Nabihah Iqbal ne cesse ainsi de trouver de nouvelles façons d’habiller ses pensées, d’encourager le frisson, d’évoquer tout et son contraire, des plages atmosphériques (Lilac Twilight) au rock anguleux tel qu’on le conçoit du côté de Manchester (This World Couldn’t See Us), des beautés désolées du shoegaze (Sweet Emotion (Lost In Devotion)) à ces beats capables de faire tanguer la mélancolie sur la piste de danse (Sunflower). Ces différentes sautes d’humeur, heureusement, ne virent jamais à la pose, au jeu de rôle : ils témoignent au contraire d’un cerveau en perpétuelle évolution, de l’extrême sensibilité d’une artiste qui fait de Dreamer une merveilleuse lettre d’adieu à l’attraction terrestre.

Dreamer (Ninja Tune/PIAS). Sortie le 28 avril.