Nadia Tereszkiewicz casse le gaze
On l’avait déjà remarquée dans quelques films avant. Mais c’est l’an dernier à Cannes que Nadia Tereszkiewicz a accédé à la lumière. C’était dans le film de Valeria Bruni-Tedeschi où, dans un rôle ouvertement inspiré de la jeunesse de la cinéaste,...
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On l’avait déjà remarquée dans quelques films avant. Mais c’est l’an dernier à Cannes que Nadia Tereszkiewicz a accédé à la lumière. C’était dans le film de Valeria Bruni-Tedeschi où, dans un rôle ouvertement inspiré de la jeunesse de la cinéaste, elle excellait dans le registre (très Chéreau) d’une émotivité extravertie et suraiguë. Un an plus tard, la revoici au Festival avec Rosalie de Stephanie Di Giusto. Entretemps, elle a obtenu un César et son 1er grand succès public (Mon crime de François Ozon). Mais surtout elle est parvenue à tracer à travers ses choix et ses rôles, une ligne. En seulement très peu de films, il existe déjà un type de récit, un territoire, propre à Nadia Tereszkiewicz. Une politique d’actrice précoce donc.
Un NTM (Nadia Tereszkiewicz Movie) se doit d’abord d’être une réflexion sur le spectacle, sa morale, les liens qu’il engage entre la vie et sa représentation. Elle est donc le plus souvent actrice (Les Amandiers, Mon crime). Dans Rosalie, elle est modèle photographique. Elle y interprète une jeune femme, dans l’immédiat après-guerre de 14-18, qui souffre d’un dysfonctionnement hormonal la dotant d’une pilosité profuse. Le trajet que dessine le film (inspiré d’une personne réelle) la fait passer de la honte (entretenue par un père qui a tout fait pour cacher ces poils qu’on ne saurait voir) à l’assumation.
Sourires malicieux et fausse candeur
Rosalie explique l’inverse de la Vénus noire d’Abdellatif Kechiche ou d’Elephant Man de David Lynch, à savoir l’histoire d’une personne dont la spécificité physique fait d’elle à ses dépens l’objet d’une exploitation stupéfiant. Si elle n’embrasse pas une carrière de performeuse de cirque, Rosalie va néanmoins assurer la fortune du café de son époux en se présentant derrière le bar avec sa jolie barbe rousse. Et elle va faire commerce de clichés d’elle croisant les signes du féminin et du masculin, dessous en dentelle et poitrine velue. À un point de sa vie, elle décide que ce qui l’ostracisait va l’enrichir – bien sûr cela ne va pas sans résistance.
Comment l’objet du regard peut être aussi son organisateur rusé, c’était déjà le sujet de Mon crime de François Ozon dans lequel elle manipulait à son profit le storytelling de l’actrice abusée. Tout en sourires malicieux et fausse candeur, l’actrice incarne une nouvelle fois cet art de la reprise en main des images de soi. Qui soumet qui dans un dispositif de regards ? Celui·celle qui regarde ou qui est regardé·e ? Comment chaque place peut circuler ? En quelques films, Nadia Tereszkiewicz porte ces questions, de gaze et de genre, avec beaucoup de grâce et d’espièglerie.