“Napoléon”, le biopic étrange et anti-héroïque de Ridley Scott

Faire son Napoléon, c’est forcément se confronter à une certaine idée du grandiose. C’est s’inscrire dans la continuité d’un fantasme abondamment alimenté par les images produites (Abel Gance, Sergueï Bondartchouk) mais surtout par une image-fantôme...

“Napoléon”, le biopic étrange et anti-héroïque de Ridley Scott

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Faire son Napoléon, c’est forcément se confronter à une certaine idée du grandiose. C’est s’inscrire dans la continuité d’un fantasme abondamment alimenté par les images produites (Abel Gance, Sergueï Bondartchouk) mais surtout par une image-fantôme (le Napoléon rêvé par Kubrick), obligeant son exécutant à offrir un spectacle hors-norme censé redéfinir les frontières du cinéma.

Probablement pour le meilleur, Napoléon n’est pas cette grande fresque grandiose et épique que laissait présager tout l’attirail marketing déployé depuis de longs mois. Au contraire, c’est un examen étrange, globalement anti-stupéfiant (à part deux impressionnantes scènes de bataille) et totalement désenchanté de la vie de l’empereur.

Anti-stupéfiant

Du coup d’État du 18 brumaire jusqu’à Sainte-Hélène, les ambitions de Ridley Scott semblent se dédier aussi bien à déconstruire le mythe de Napoléon que l’héritage du film-fantôme de Kubrick. L’architecture du long métrage est ainsi, de bout en bout, heurtée, décousue, bâtie autour d’une succession de courtes scènes dessinant progressivement le mouvement précipité d’une vie qui file, trop vite, sous nos yeux.

Étrange, Napoléon l’est dès son commencement lorsqu’il s’ouvre en pleine période de La Terreur sur l’exécution de Marie-Antoinette. Tremblant de peur, la régente avance digne et en silence jusqu’à la décapitation. Au cœur des cris de joie de la foule, se dessine la figure discrète du capitaine Bonaparte dont le visage livide est totalement impassible devant la mise à mort. À cette trouvaille historiquement peu crédible (le Corse est déjà déployé sur le siège de Toulon au moment de la mort de Marie-Antoinette) s’ajoute une seconde beaucoup plus tard dans le film : l’empereur aurait évité de peu la balle d’un tireur d’élite anglais lors de la bataille de Waterloo.

Une mort hors-champ

Tout sauf anodins, ces deux réaménagements biographiques permettent de mettre en lumière le projet du film. D‘Alien à Gladiator, jusqu’au récent Dernier Duel, le cinéma de Scott a toujours spectacularisé la mise à mort de ses personnages, la canonisation de ses derniers passants par le caractère héroïque de leur trépas. Or, c’est précisément ce qu’il confisquera ici à l’Empereur des Français.

Homme de guerre, Napoléon n’aura pas l’honneur de mourir sur le champ de bataille. Homme de pouvoir, il évite de peu le spectacle d’une exécution par ses ennemis comme Marie-Antoinette avant lui. Ultime humiliation, l’insulaire disparaîtra loin de tous les regards sur le caillou de Sainte-Hélène. Une mort hors-champ symbolisée par une disparition du cadre, filmée de dos tel Michael Corleone dans le Parrain 3 qui, dans un dernier souffle, refait le film d’une vie noyée de regrets.

Rise and fall

Une vie de regrets car, malgré son incroyable ascension, le portrait de Scott nous démontre à quel point celle-ci s’est construite sur l’absence : de Joséphine dès lors qu’elle n’est pas à ses côtés jusqu’aux soldats russes lorsqu’il pénètre dans un Moscou totalement vide. Quel honneur y a-t-il alors à gouverner sur des cendres ? Déjouant la structure du rise and fall, Ridley Scott fait de Napoléon la tragédie d’un homme qui n’a ni la hauteur ni la dignité de son statut, celle d’un soldat rustre devenu monarque mais ne maîtrisant pas les codes de sa prestigieuse condition.

Une idée exacerbée par un comique réjouissant lors des rencontres avec le Tsar de Russie ou l’empereur d’Autriche où le dirigeant français s’engage dans une entreprise diplomatique aussi maladroite que grossière. Pour cristalliser cette méconnaissance des conventions aristocratiques, le jeu de Phoenix est lui étrangement dénué d’emphase, presque ailleurs, laissant son interprétation aux seuls mouvements de son corps.

Effacement

Alors que les traces du règne de Napoléon demeurent omniprésentes dans le patrimoine mondial, le mouvement du film prend le contre-pied et orchestre progressivement son effacement. Voilà sûrement d’où vient cette intrigante sensation d’un film à la forme stupéfiant qui se décompose devant nous et ne semble jamais vouloir totalement accrocher le regard de ses spectateur·rices : que ce soit lors d’un troublant face-à-face avec une momie égyptienne ou lorsqu’il se livre à une correspondance fantasmée avec la défunte Joséphine. Au fond, le Napoléon que saisit Scott semble déjà mort depuis sa 1ère image.

Napoléon de Ridley Scott, avec Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim – en salle le 22 novembre