Ni "remplacisme" ni "effacement": comment nous avons choisi ces noms pour enrichir l’histoire de France

À la demande du Président de la République Emmanuel Macron, et sous la conduite de la ministre chargée de la Ville, Nadia Hai, un recueil de 318 personnalités représentant la diversité de l’histoire de France a été remis au gouvernement au...

Ni "remplacisme" ni "effacement": comment nous avons choisi ces noms pour enrichir l’histoire de France

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Une femme tient un portrait du poète français Aimé Césaire alors que le cercueil du poète est transporté dans les rues de Fort-de-France, le 18 avril 2008, sur l'île de la Martinique. Césaire a inventé le terme

À la demande du Président de la République Emmanuel Macron, et sous la conduite de la ministre chargée de la Ville, Nadia Hai, un recueil de 318 personnalités représentant la diversité de l’histoire de France a été remis au gouvernement au mois de mars 2021. Il est désormais en ligne sur le site du ministère: Portraits de France.

Le travail de “sélection” a été confié à un comité scientifique, présidé par l’historien Pascal Blanchard, spécialiste du “fait colonial” et des immigrations, et composé de sociologues, philosophes, historiens, responsables associatifs, journalistes, romanciers ou intellectuels. Les 18 membres ont réfléchi ensemble pour guider l’équipe de rédacteurs (historiens et sociologues) –sous la coordination d’Yvan Gastaut, historien de l’époque contemporaine (XIXe-XXIe siècles), spécialiste des questions migratoires et de la Méditerranée, maître de conférences à l’Université Côte d’Azur– et proposer une liste de personnalités issues de toutes les “diversités”, célèbres, oubliées ou méconnues, qui ont “choisi la France”, pour mieux représenter les visages de la République.

 

On croise des destins extraordinaires, des parcours en provenance de plus d’une centaine de pays ou régions du monde, notamment ultramarines ou de l’ex-empire colonial français.

 

Composé de notices biographiques à destination des élus, le recueil Portraits de France a vocation à permettre une plus grande reconnaissance de ces personnalités dans notre mémoire collective et notre espace public. Une prochaine liste composée de 115 personnalités contemporaines est déjà prévue, et sera remise à la ministre dans les prochaines semaines et diffusée dans un second temps. D’autres listes suivront... Récit et genèse d’un projet de valorisation de la recherche (plus de 2500 références ouvrages, articles, thèses, films, sites…) et de synthèse citoyenne pour une action qui s’inscrit sur le temps long.

Le nom des rues mais aussi des bâtiments officiels (écoles, lieux culturels, gymnases, stades) est le reflet de l’histoire. Pour qui prend la peine de regarder les plaques et de se renseigner sur ceux qui y figurent, on y trouve tout autant de l’histoire locale que nationale. Certains noms sont figés une fois pour toutes, quelques-uns disparaissent parfois et d’autres apparaissent. Mais dans ce patchwork de noms qui jalonne nos espaces publics, il y existe des manques. Une partie de ceux qui ont fait l’histoire de ce pays depuis deux siècles et qui ont des origines ou sont nés hors des frontières de l’Hexagone manquent à l’appel: trop peu de personnes dont le nom figure sur nos plaques de rues sont nées à l’étranger ou ont des parents issus des immigrations intra-européennes, sont nées ou ont des parents issus de l’ex-empire colonial ou de pays non européens, trop peu d’Ultramarins aussi.

Ainsi, les noms apposés dans l’espace public ne représentent pas toute l’histoire de France. Il est aujourd’hui nécessaire d’insuffler une part de féminisation des noms et une part de diversification des personnalités retenues pour rééquilibrer un paysage aussi monochrome. Les deux enjeux sont essentiels, et ils doivent être menés de manière parallèle afin de retoucher la photographie de la France, quelque peu restrictive et trompeuse. 

La genèse d’un recueil 

C’est dans cette dynamique que ce recueil Portraits de France est né. Il a été réalisé à partir d’un double souhait: celui du Président de la République Emmanuel Macron dans la perspective de son discours pour le 150e anniversaire de la IIIe République et celui de Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargée de la Ville, qui a souhaité initier ce projet à la fin de l’été 2020.

Lors de son entrevue à Brut le 4 décembre 2020 puis dans L’Express quelques jours plus tard, le Président de la République n’a pas manqué d’évoquer ce recueil alors en cours d’élaboration. Car dès le mois de septembre 2020, la ministre déléguée chargée de la Ville, Nadia Hai, avait placé ce travail sous l’égide de l’Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires (ANCT). L’objectif est qu’il soit disponible dès début 2021, afin de proposer entre “300 et 500 noms de personnalités” pouvant faire résonance en France et, plus spécifiquement, dans les quartiers populaires, dans les régions ultramarines et auprès de la jeunesse.

 

Il s'agissait de présenter l’exemplarité, identifier des personnalités qui ont “rendu service” au pays ou se sont engagées pour des valeurs fortes.

 

Investis de cette mission, nous avons choisi de regarder notre histoire de France dans toutes ses diversités depuis la Révolution française —car c’est une date charnière du “récit national”—, mais aussi parce que depuis 1790, ce sont progressivement les maires (avec validation des pouvoirs publics et des préfets), puis, à partir de 1884, les conseils municipaux qui choisissent les noms des lieux et des rues. Désormais, le paysage de la mémoire est à la charge des municipalités.

C’est donc aux élus des communes de France que ce recueil s’adresse en priorité en 2021 avec pour ambition de leur faire découvrir l’incroyable richesse de notre histoire et la diversité de ses acteurs, pour qu’ils puissent peser leurs choix, ouvrir des perspectives, notamment dans les quartiers de la politique de la ville. 

318 noms (célèbres et méconnus) pour commencer… 

Nous avons ainsi choisi de nous plonger dans ces deux siècles d’histoire en cherchant des noms de personnalités, hommes et femmes, qui ont “choisi la France” ou contribué à l’histoire de France, à la culture française ou ont été des acteurs majeurs de notre histoire contemporaine. Chacun, à leur manière, ils ont contribué à la richesse du destin national. L’idée est simple: un destin, une fiche biographique, avec des liens pour “aller plus loin”.

Sur ce principe, nous avons identifié, retenu et validé 318 noms sur 2800 à 2900 noms identifiés et répertoriés au départ (en se nourrissant de l’important travail de recherche et livresque qui depuis 25 ans a été produit en France sur les immigrations). En puisant notamment dans l’important dictionnaire qu’a proposé Pascal Ory sur les étrangers en France, en s’attachant à des expositions majeures de plusieurs musées (comme celles du Musée national de l’histoire de l’immigration), mais aussi à des programmes (films-courts et expositions pour le monde scolaire) comme Artistes de France, Champions de France ou Frères d’armes.

Les profils sont divers: ultramarins, étrangers venus de tous les continents, immigrés ou fils d’immigrés, rapatriés, naturalisés français ou personnalités restées étrangères en France tout en y bâtissant leur destin. Toutefois deux caractéristiques rassemblent nos personnages: un rapport fort à l’Hexagone, tout en provenant de sa “périphérie”, de “l’ailleurs”, de cet “hors-hexagone” qui induit un rapport à la migration, à l’intégration, à l’installation, à l’engagement aussi ou à la volonté de “devenir français”. On croise ainsi des destins extraordinaires, des parcours en provenance de plus d’une centaine de pays ou régions des quatre coins du monde (notamment ultramarines ou de l’ex-empire colonial français), avec des personnalités qui ont très souvent marqué leur époque.

 

L’idée est de considérer qu’il n’existe pas deux mondes figés, celui des “Français de souche” et celui des “Français issus des diversités”.

 

Après bien des débats, parfois houleux, 318 biographies figurent dans ce recueil. Il est clair que nous avons eu une contrainte forte: présenter l’exemplarité, identifier des personnalités qui ont “rendu service” au pays ou se sont engagées pour des valeurs fortes comme la liberté, la justice, l’égalité ou la culture. Nous avons dû délaisser des trajectoires ambiguës ou sinueuses susceptibles d’intéresser les historiens. Mais ceux-là sont à étudier dans un autre cadre. Certains portraits n’ont pu faire l’objet d’une biographie rédigée et finalisée dans le délai court qui était le notre (trois mois, pour 700.000 signes rédigés et près de 2500 liens internet et références pour “aller plus loin”).

Bien entendu, en trois mois et avec de nombreuses archives fermées ou inaccessibles, mais aussi des sources insuffisantes ou incomplètes, certaines biographies n’ont pas pu figurer dans ce 1er recueil. Si les noms sont validés, ils seront peut être retenus pour les prochaines listes. On pense notamment à l’absence ou à la faible présence de régions ultramarines comme Wallis-et-Futuna, mais aussi de Mayotte (où des personnalités comme Zéna M’Déré, Zoubert Adinani, Moussa Harouna Taambati ou Echati Maoulida Mwenge ont fait l’objet d’une 1ère sélection) ou La Réunion (avec seulement une personnalité, l’aviateur Roland Garros) où plusieurs noms ont fait l’objet de travail biographique comme le “scientifique noir” Edmond Albius, le grand historien Sudel Fuma, les poètes Jean Albany et Boris Gamaleya, le romancier Louis Timagène Houat ou l’espionne de la Guerre de 1870 Juliette Dodu. Depuis la sortie du recueil, les débats ont été vifs sur ces territoires, pour réclamer une “plus grande visibilité”, preuve de l’importance de ce travail et de la symbolique. 

Un travail au cœur de l’histoire 

Le recueil s’inscrit dans une historiographie bien particulière et très riche qui est celle des travaux sur “les immigrations”, les quartiers populaires mais aussi l’esclavage ou la colonisation (comme le montre l’importante bibliographie à la fin du recueil). Les célébrités y ont une place majeure et indispensable, mais elles côtoient des figures moins présentes dans la mémoire collective ou les médias qui s’illustrent à travers leurs actions dans un domaine précis ou sur un territoire particulier, comme des syndicalistes, des militants des quartiers ou des chefs d’entreprise.

Le souci du féminin et du régional nous a également animés, dans une histoire contemporaine de la France souvent tracée par des hommes dans la capitale. Au diapason de ce qu’a été notre histoire, il n’y a pas parité homme-femme. Néanmoins, la présence des femmes et des territoires est significative, tendant à créditer un rééquilibrage en cours et le travail devra se prolonger demain au niveau des régions —une des idées forces est que demain dans les conseils régionaux des listes équivalentes à celle du recueil national soient proposées et mises en œuvre avec des personnalités régionales—, et se poursuivre sur la place des noms de femmes dans les espaces publics, comme le font les municipalités et des structures militantes depuis déjà plusieurs années.

 

Il ne s’agit pas de causer de “statut” mais de “reconnaissance”, avec ce désir de faire partie d’un tout collectif qui ne se limite pas à “sa” génération.

 

Parler d’immigration, de mobilités, de diversités, oblige à une vigilance sémantique de tous les instants. L’emploi des mots est délicat, le recours aux catégories l’est aussi. Point majeur de notre méthodologie, sous forme de parti pris, l’idée est de considérer qu’il n’existe pas deux mondes figés, celui des “Français de souche” et celui des “Français issus des diversités”. Nous récusons les deux qualificatifs au nom du brassage historique qui est la composante même de l’histoire de ce pays depuis des siècles. Trop souvent, les habitants des quartiers populaires ne se sentent appartenir à aucun monde: ni pleinement français, ni perçus comme français en retour. Trop souvent, aussi, les Ultramarins se sentent à la marge du récit national, comme extérieurs à celui-ci. 

Génération après génération, les étrangers, immigrés, réfugiés, rapatriés, déplacés et leurs descendants cherchent des héros ou, à tout le moins, des référents qui, dans l’espace public, les rendraient légitimes en leur conférant une dimension patrimoniale. Il ne s’agit pas ici de causer de “statut”, mais de “reconnaissance”, avec ce désir de faire partie d’un tout collectif qui ne se limite pas à “sa” génération. Ce désir convoque les ancêtres en interrogeant leur place dans le présent; mais il s’attache aussi aux générations futures afin qu’elles s’imprègnent et soient fières de ces parcours réussis. 

Ni “remplacisme”, ni “cancel culture” 

Dans ce Panthéon de vies exemplaires, on retrouvera les tourments de l’histoire. La lecture compulsive des 318 parcours —comme des 115 noms de contemporains à venir— permettra de revisiter les épisodes douloureux mais aussi glorieux et heureux de notre époque contemporaine: les guerres qui sont souvent des moments de basculement ou de rupture de trajectoires, les grands événements, les grandes mutations socio-économiques, la vie scientifique et culturelle et son rayonnement hors normes lorsqu’il s’agit de la France.

Il s’agit ainsi de relire l’histoire, de mieux la comprendre à l’aune des parcours qui, mis bout à bout, nous offrent un nouveau récit, celui que nombre d’historiens, sociologues et autres chercheurs fabriquent depuis quelques décennies mais qui, parfois, peine encore à se faire entendre. Cette nouvelle histoire n’a pas l’ambition de destituer l’histoire plus classique ni de “déboulonner” des statues encore moins de cautionner une “cancel culture” (culture de l’annulation). Nous n’y croyons pas.

 

Au final, seule comptera l’action sur les territoires des élus/élues.

 

Nous préférons bâtir plutôt que détruire, nous croyons dans la vertu de la pédagogie et de la connaissance, nous croyons en la nécessité de travailler sur le temps long et non dans l’urgence. Il s’agit somme toute d’une ambition modeste: tout simplement, enrichir l’histoire de France pour le grand public, la compléter en lui apportant des clés décisives pour la compréhension de ce que nous sommes afin d’envisager sereinement l’avenir. Regarder la France passée et présente sous toutes ces facettes, à travers tous ceux qui la composent et l’ont composée dans toute la variété de leur appartenance, c’est faire place à une Nation ouverte.

Pour autant, nous refusons de fabriquer des “héros” artificiels —tous les destins présents dans ce recueil sont uniques, riches de leurs parcours et ont un destin— qui ne seraient pas légitimes, au nom d’un “remplacisme” dangereux qui tournerait le dos à la nuance historique, mère de toutes les sagesses. Certains pousseront des hauts cris (sans avoir lu le recueil), d’autres y verront un “petit remplacement” et quelques-uns chercheront les manques ou les trop pleins. Au final, seule comptera l’action sur les territoires des élus/élues. Et à chaque rue, place, bibliothèque, complexe sportif, école, arrêt de bus, quartier, cité ou même promotions de grandes écoles… qui seront demain inaugurées nos concitoyens pourront se dire que nos espaces publics ressemblent un peu plus à notre Histoire de France. 

Pour en savoir plus, lire notre dossier “La mémoire en mouvement”. Alors qu’Emmanuel Macron a souhaité la création d’une liste de personnalités pour mieux représenter “la diversité de notre identité nationale”, Le HuffPost se plonge dans l’histoire de France et dans l’actualité pour interroger notre mémoire collective.

 

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