Nick Cave a-t-il eu raison de s’en prendre à ChatGPT ?

En terminale, au mitan des années 2000, mon professeur de philosophie avait l’habitude de dire que celui d’entre nous qui lirait Le Monde tous les jours saurait à coup sûr quels sujets tomberaient au bac. Une histoire de probabilité et de perspicacité...

Nick Cave a-t-il eu raison de s’en prendre à ChatGPT ?

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En terminale, au mitan des années 2000, mon professeur de philosophie avait l’habitude de dire que celui d’entre nous qui lirait Le Monde tous les jours saurait à coup sûr quels sujets tomberaient au bac. Une histoire de probabilité et de perspicacité : l’actualité affectant la perception que les profs ont du monde, en restant au contact de celle-ci, les futurs bacheliers en déduiraient les questions posées le jour de l’examen. 

L’avènement de ChatGPT, ce logiciel conversationnel qui fonctionne selon le même principe d’analyse des régularités des connaissances humaines énoncé par mon prof – capable, par ailleurs, de répondre en détail à des questions complexes avec une éloquence de façade et un aplomb qui confine à l’arrogance – et les questions éthiques et morales que celui-ci implique, seront-ils le sujet star de cette édition 2022/2023 du baccalauréat ? ChatGPT pourrait rendre une copie au moins passable sur la question. 

Cette chanson est à chier 

Mon prof de philo avait aussi l’habitude de dire qu’il existe deux types de bons élèves : ceux qui le sont vraiment et ceux qui font semblant de l’être. Cette semaine, un petit malin dénommé Mark, de Christchurch en Nouvelle-Zélande, a eu l’idée de demander à ChatGPT d’écrire une chanson dans le style de Nick Cave. Le logiciel, s’exécutant, lui a sorti un texte dont l’un des couplets explique ceci : “I walk the streets, with my head held high / I’ve got my demons, but I’ll make them fly / I’ll dance with the devil, and I’ll play his game / I’ll be the one, to call his name.” Un mauvais groupe voulant la jouer comme Nick Cave n’aurait pas rendu un meilleur fac-similé de clichés éculés sur Nick Cave, le vénéneux prince des ténèbres, sur le chemin de la rédemption après être revenu de tout, même de l’enfer.

Et puis Mark est allé sur le site de Nick, The Red Right Hand File, où, l’Australien, très actif, prend régulièrement le temps de répondre à ses fans, pour lui demander ce qu’il pensait de cette petite mascarade. Réponse de l’intéressé : “Mark, merci pour la chanson, mais avec tout l’amour et le respect du monde, cette chanson est à chier, une falsification grotesque de ce que être humain veut dire, et, eh bien, je n’aime pas beaucoup ça.” Dans le long message qui précède cette diatribe, Nick Cave revient sur le processus d’écriture d’une “bonne” chanson, qui, selon lui, aurait plus à voir avec le chaos, l’autodestruction et une certaine idée des failles et autres brisures de l’être humain, qu’avec une simple juxtaposition de mots que Cave qualifie de “pastiche”. 

C’est quoi une chanson ?

Peut-être que la question ici n’est pas de discuter la position de Nick Cave, qui est, dans les grandes lignes, la mienne : une chanson, c’est un trésor trouvé sur le champ de bataille, au milieu des cadavres et des viscères, après une confrontation à mort. Néanmoins, le pote Nick n’est-il pas tombé dans deux pièges très spécifiques ? Le 1er : il qualifie le morceau généré par ChatGPT de “chanson à chier”, conférant de fait à ce texte, au mieux perspicace, le statut de “chanson”. Le deuxième : en conférant à ce texte le statut de chanson, laisse-t-il entendre qu’une chanson ne se résume qu’à des paroles ? 

Récemment, Bob Dylan publiait Philosophie de la chanson moderne, un ouvrage dans lequel il dissèque de manière très personnelle et parfois abstraite 66 chansons populaires puisées dans le répertoire anglo-saxon. L’exercice tend à toucher du doigt le sentiment profond qui subsiste encore dans une chanson, et ce, en tenant compte de sa versatilité, puisqu’à travers les âges, celle-ci aura peut-être été reprise 300 fois, dans différentes orchestrations. Comme chez l’essayiste américain Greil Marcus, les identités des auteurs et compositeurs des morceaux choisis tendent parfois à s’effacer au profit de leurs interprètes ou des traces qu’ils ont laissées dans la mémoire collective. C’est ainsi qu’un assemblage de mots n’a jamais fait une chanson.

Cependant, que sait-on des traces que laissera cet assemblage de mots généré par intelligence artificielle sur la culture populaire dans 100 ans ? Les chansons sont éternelles, mais la mémoire consciente des hommes limitée. C’est toute l’histoire de la folk et, par conséquent, de toute la musique populaire : on les porte en nous comme un héritage évident, sans se soucier de savoir comment elles se sont transmises en 1er lieu. 

Dans un souci de donner la contradiction, nous avons demandé à ChatGPT ce qu’il pensait de cette polémique et des propos de Nick Cave. Sa réponse montre que ce logiciel manie déjà bien la langue de bois : “Je ne suis pas au courant de toute déclaration de Nick Cave sur moi ou sur mes capacités à écrire des chansons. En tant que modèle de langage, je peux générer des textes en fonction des données d’entrée qui me sont fournies, mais je n’ai pas la capacité de créer de la musique ou de juger de la qualité artistique.” Voilà qui fait bien plus peur qu’une pseudo chanson mal foutue.