Nick Cave et “Les Inrocks”, le best-of d’une longue histoire partagée
Octobre/novembre 1988 (bimestriel n°13) “À 20 ans, j’étais persuadé, comme le veut cette espèce de croyance populaire, que le bon rock ne pouvait être qu’une chimère de jeunesse. Le rock ne pourra être joué que par des jeunes qui affrontent...
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Octobre/novembre 1988 (bimestriel n°13)
“À 20 ans, j’étais persuadé, comme le veut cette espèce de croyance populaire, que le bon rock ne pouvait être qu’une chimère de jeunesse. Le rock ne pourra être joué que par des jeunes qui affrontent le monde du rock pour la 1ère fois, bullshit ! Quelqu’un comme Dylan prouve le contraire en montrant que le rock, comme toute forme d’art, n’a rien à voir avec une sorte d’explosion, de monde, comme le punk-rock. Il n’y a que des individualités qui ont de la valeur… Et ce sont celles-là qui continuent à faire de la bonne musique.”
“Je suis parti parce que je ne pouvais plus vivre dans ce pays. C’est toujours une raison négative qui me fait agir… rarement une raison positive. Nous ne sommes pas venus à Londres parce que nous en avions le désir mais parce que l’Australie était devenue insupportable.”
“Notre seule perspective dans la vie était de faire un groupe de rock… J’avais totalement échoué dans mes études… Je suis un échec absolu dans ma vie. La seule chose qui me motivait, qui m’intéressait, était d’être chanteur dans un groupe. C’est toujours le cas aujourd’hui. Viré de l’école, être chanteur me permettait au moins d’aller dans les clubs et de m’y soûler gratuitement.”
“Ça, c’est un bon livre… J’aime lire la Bible, c’est l’un des livres dont je lis souvent beaucoup de passages, que je pioche au hasard. C’est un attrait purement artistique, pour la qualité de l’écriture.”
Avril/mai 1990 (bimestriel n°22)
“Mon sud de l’Amérique, celui que j’ai mis dans les chansons, est une espèce d’environnement que j’ai inventé, très influencé par ce qu’ont chanté beaucoup de bluesmen, par ce qu’ont écrit des écrivains du Sud, par mes expériences en Australie. […] Puis j’ai bâti ce que je considère comme ma propre toile de fond mystique pour mes chansons et pour le roman que j’ai écrit. Même si c’est très influencé par le Sud, je la considère donc comme quelque chose que j’ai créé de toutes pièces. Même si j’aimerais aller dans le sud des États-Unis pour le voir, pour regarder l’endroit, je ne ressens pas le besoin de m’y rendre pour une quelconque recherche ou quoi que ce soit de semblable.”
“Nous ne sommes pas partis au Brésil pour piller leurs styles musicaux magnifiques et sacrés. Je ne suis pas quelqu’un comme David Byrne. Toutes les raisons pour être là-bas étant bonnes, nous avons décidé d’y faire un album.”
“Elvis Presley n’était pas un crooner. En aucune manière. Et je ne le suis pas non plus.”
“Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de cynique dans mes disques. Lorsqu’on utilise ce mot, je le prends comme une offense.”
“Je me suis retrouvé impliqué dans la musique par hasard. Je ne sentais en moi aucun talent particulier en tant que musicien ou chanteur lorsque j’ai commencé à faire partie d’un groupe. Mais je l’ai fait quand même.”
“Quand j’étais enfant, j’étais persuadé que mon truc était la peinture. J’étais un bon peintre, je voulais en faire une carrière. Mais j’ai échoué une fois en école d’art… J’étais pourtant, et de loin, le meilleur peintre de cette école… Je ne sais pas pourquoi ce ratage.”
Mai 1992 (mensuel n°35)
“À São Paulo, je passe énormément de temps seul, ou alors en famille, je m’occupe de ma femme et de mon fils, Luke. C’est aussi pour ça que j’aime vivre ici. Je suis tout à fait content d’avoir disparu de la scène anglaise et européenne, d’échapper à toutes ces corvées de merde qui me tombaient dessus quotidiennement en Angleterre. Je n’ai plus la pression du rock’n’roll circus sur les épaules : les maisons de disques, la presse, les coups de fil incessants, les demandes d’entrevues ici et là… Au Brésil, j’ai la paix.”
“Mais ce n’est pas parce que j’écluse des bières ou que je reste des heures aux terrasses de café que je ne fous rien. Je travaille ! C’est à São Paulo que j’ai écrit et composé tout le nouvel album, Henry’s Dream. La condition de musicien est parfois un privilège. On peut glander dans un bar, se soûler. Pour nous, c’est du travail.”
“En ce qui me concerne, je n’ai jamais cherché à vivre dans des villes ou des pays déprimants. Je ne me considère pas non plus comme un individu spécialement sinistre ou dépressif. Les gens, la presse ont une idée de Nick Cave un peu à côté de la plaque.”
“Je suis déconnecté de l’actualité culturelle occidentale. Je n’ai pas ouvert un canard de rock depuis des lustres. Ici, je suis totalement étranger au monde du rock et pour moi, c’est une bénédiction. Mais c’était déjà le cas quand je vivais à Londres : je lisais rarement le NME, je ne savais pas ce que se passait musicalement. Je me fous royalement des dernières sensations à la mode. Je crois que c’est un point fort de mes disques, ils sont complètement détachés de l’air du temps.”
“Finalement, je suis allé dans le Sud, plus exactement à La Nouvelle-Orléans, où j’ai passé quelques jours de vacances. Le centre-ville n’est qu’un infect trou à touristes, tout le quartier de Bourbon Street est un cauchemar. […] Le Sud est sans doute plus magique dans les fantasmes littéraires et musicaux.”
“Je suis de plus en plus sensible aux chansons, je tombe vite amoureux d’une belle mélodie. J’ai beaucoup plus d’attirance et de possibilités pour cet aspect de la musique qu’au temps de The Birthday Party. Je suis meilleur qu’à l’époque, mes musiciens aussi. The Birthday Party était un autre groupe, nous n’avions pas les mêmes buts. Il ne peut y avoir de place pour les belles mélodies quand l’ambition est d’être aussi violent et discordant que possible.”
Juin 1994 (mensuel n°56)
“Elvis, c’est comme John Lee Hooker : je ne saurais pas par où commencer pour dire l’importance qu’il a eue pour moi. En dehors des albums religieux, ma période favorite d’Elvis est celle de son retour à Memphis vers la fin des années 1960, à l’époque de Suspicious Mind/In the Ghetto. Elvis était le putain de King. On peut accepter tous ses arrangements pourris, tous ses costumes ou ses manières ploucs, rien que pour sa voix. Elvis n’était pas un songwriter, c’est le seul fait qui pourrait le faire diminuer un poil dans mon estime. Mais c’est l’une des deux ou trois voix de l’histoire de cette musique, et cela me suffit amplement.”
“Je suis un fan du Velvet Underground, mais voilà quelqu’un qui n’a pas bien vieilli : Lou Reed ne s’est pas arrangé avec le temps. La cerise sur le gâteau, c’est sa médaille des Arts et des Lettres qui lui est montée à la tête. Quand on s’appelle Lou Reed, qu’on est dépositaire d’un tel passé, recevoir des décorations officielles est la dernière chose à faire.”
“J’aimais beaucoup Love Will Tear Us Apart, une chanson splendide. Mais à part ça, Joy Division n’a jamais fait partie de mes héros : trop déprimant. Je plaisante : simplement, je n’aime pas leur musique, leur son est trop étriqué, trop mécanique. Leur instrumentation m’emmerde, leurs textes sont trop lourds, trop signifiants, ils n’avaient absolument aucun sens de l’humour.”
Février 1996 (hebdo n°43)
“Pour quelqu’un qui n’a jamais été profondément ambitieux, je trouve très flatteur d’avoir un tube comme Where the Wild Roses Grow. Pour la 1ère fois, ma musique passe sur les radios du monde entier et mes clips sont diffusés par des chaînes de télévision qui me boudaient consciencieusement. Mon statut actuel m’enchante et me fait rire, mais je garde la tête froide : ce succès, je le dois évidemment à la présence de Kylie Minogue. Il n’a rien à voir avec moi.”
“Tout le monde m’interroge sur mon goût pour le sang, les armes à feu, la violence, mais je n’ai rien à dire sur le sujet. Ce disque, c’est un peu une plaisanterie, certainement pas l’œuvre d’un sadique qui se défoule. Personnellement, je le trouve plutôt drôle, ce disque [Murder Ballads], avec tous ces crimes absurdes.”
Février 2013 (hebdo n°899)
“Je ne crois pas au mythe de l’inspiration, c’est très surestimé. Il y a parfois des révélations, mais sans travail derrière, elles ne servent à rien. J’ai rencontré beaucoup d’artistes bien plus inspirés que moi : mais qu’ont-ils fait de ces épiphanies ? Rien. Ils les ont laissées mourir. Ils ne sont pas allés au bureau.”
“Je n’ai pas de racine, je ne fais pas partie du monde où je vis, où que je sois. Je me sens en imposture. J’ai honte, parfois je suis gêné d’être Nick Cave.”
[Au sujet de l’album Push the Sky Away, 2013] “Un album de vieux sage ? Je ne sais pas comment ça a pu arriver… Je n’avais aucune intention de faire un disque calme, il s’est juste imposé de lui-même. […] Nous n’avons encore jamais fait un tel disque, avec une telle cohérence, une continuité dans les textes et la musique.”
Mai 2017 (hebdo n°1118)
“Pour moi, Push the Sky Away représentait de toute façon, musicalement, le début d’un nouveau cycle. C’était un soulagement et une fierté que le public ait accompagné cette mutation. C’était pourtant une rupture très nette vis-à-vis de notre album précédent, Dig, Lazarus, Dig!!!, qui datait de 2008. Nous étions un peu inquiets. Push the Sky Away et Skeleton Tree, en 2016, se sont éloignés de ce son, de plus en plus. Je me suis lassé de faire des albums de rock, tout simplement. J’en ai fait beaucoup…
Le rock, par nature, ordonne une certaine rigidité de l’écriture. Le rock a besoin de ponts et de refrains. Et j’en avais marre de ce carcan. Marre d’écrire en respectant ce format, marre que les guitares dominent les débats. Quand Mick Harvey a quitté le groupe en 2009, c’est comme s’il avait emporté les guitares avec lui. Je ne l’ai pas remplacé. Ça nous a libérés, nous a autorisés à tenter une autre musique.”
“Pour être honnête, je ne réécoute jamais nos disques. Ici, chez moi, je n’ai pas le moindre exemplaire de mes albums. Le seul moment où j’entends de mon plein gré une chanson des Bad Seeds, c’est quand on la joue en concert ! Et encore : quand je tombe sur un enregistrement de ces concerts, je suis choqué par la façon dont on a transformé la chanson.”
“Pendant des années, j’ai été dans la confrontation avec le public… Je tendais un doigt autoritaire vers les spectateurs, je les nourrissais de force. Aujourd’hui, la musique est moins violente, moins âpre, les paroles sont plus abstraites. Du coup, le public fait partie du processus, il n’est plus exclu, les concerts ressemblent à des orgasmes collectifs.”