Nick Cave et Warren Ellis reviennent avec “Carnage”, album épique et poétique
“Après l’électricité, qu’il réserve depuis une dizaine d’années à Grinderman, Nick Cave élève désormais le classicisme à un degré expérimental en le laissant être travaillé par Warren Ellis”, pointe l’historien de l’art Arthur-Louis Cingualte,...
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“Après l’électricité, qu’il réserve depuis une dizaine d’années à Grinderman, Nick Cave élève désormais le classicisme à un degré expérimental en le laissant être travaillé par Warren Ellis”, pointe l’historien de l’art Arthur-Louis Cingualte, auteur d’un ébouriffant essai intitulé L’Evangile selon Nick Cave : le gospel de l’âge de fer rouillé (Les Éditions de l’Éclisse, 2020). “Ensemble, ils repensent ce classic rock, qui appartient à Elvis, avec ces boucles et ces bandes, ces choses qu’ils ont expérimentées sur les musiques de films.”
Paru en numérique le 25 février et désormais disponible en physique, Carnage est signé pour la 1ère fois sur un projet original des seuls Nick Cave & Warren Ellis. Notre spécialiste Arthur-Louis Cingualte ne s’en étonne guère : “Depuis le temps que dure cette véritable bromance… Ça va beaucoup plus loin qu’avec Blixa Bargeld ou Mick Harvey, ils sont devenus frères. Warren Ellis est son artisan de désencombrement, qui l’aide à trouver des solutions en dehors des arrangements traditionnels.”
Carnage, la chanson éponyme – ballade sublime autant qu’hypnotique et obsédante –, baigne encore dans cette lumière particulière, tout en faisant remonter les lectures de Flannery O’Connor, et en laissant se déployer en arrière-plan un paysage qui évoque un Terminator filmé par Terrence Malick. Mais, surtout, ce morceau immédiatement inoubliable nous arrive après Hand of God, une ouverture très Scott Walker, et un Old Time dans la lignée des longues litanies, soutenu par une basse aussi vrombissante que chez Massive Attack et un violon à l’acide gravité.
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Mais c’est ensuite, en quatrième plage, que le carnage a lieu pour de bon. Le morceau s’intitule White Elephant, et ses couches de synthé martelé nous font bien sentir le piétinement du pachyderme. “I’ll shoot you all for free”, nous prévient-on sans ménagement. Tandis que Nick Cave et Warren Ellis nous fendent l’âme en deux, les deux figures que sont le poète et le prophète s’accordent donc dans cet incroyable morceau qui leur permet même d’évoquer George Floyd. Plus loin, le morceau part en hymne, développant en totale démesure le leitmotiv du “royaume” et rivalisant sur ce terrain avec Kanye West. “Je suis le Kanye West que Kanye West pense qu’il est”, écrivait Leonard Cohen dans l’un de ses tout derniers poèmes : l’élève Nick aura relevé le malicieux défi du maître Cohen, dont on oublie trop souvent le délicieux humour. “Il y a aussi toujours un peu d’humour chez Nick Cave, malgré la charge émotionnelle de ses derniers disques”, rappelle Arthur-Louis Cingualte qui, en apprenant le titre du nouvel album, n’y a “pas vu un commentaire sur l’époque, un truc politique, mais plutôt sa duplicité humoristique”.
“Ensemble, ils repensent ce classic rock, qui appartient à Elvis, avec ces boucles et ces bandes, ces choses qu’ils ont expérimentées sur les musiques de films.“ Arthur-Louis Cingualte
Si White Elephant renoue avec la veine dramatique de Nick Cave, sa puissance est telle que le disque lui-même semble ne pas s’en remettre, ralentissant le tempo et se faisant nettement plus confessionnel, plus recueilli, dans une seconde partie ouverte avec un constat on ne peut plus actuel : “Nous n’irons nulle part cette année, chérie”, sur Alburquerque. Avant d’ajouter “sauf si tu m’y emmènes”. Il va sans dire que l’on continue de le suivre sur cette route singulière menant droit aux Lavender Fields, des champs élégiaques qui offrent au disque ce qui est peut-être son moment le plus bouleversant.
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Une introspection vertigineuse qui monte en spirale vers le “kingdom in the sky”, mais qui s’écrase ensuite sur un Shattered Ground, titre de l’avant-dernière piste en forme de douloureuse lamentation sur l’amour conjugal. On y entend comme de lointaines cloches et des textures qui évoquent le sfumato de Ghosteen que Cave et Ellis ont retrouvé comme une évidence au fil de leurs improvisations.
Sorti de cette brume, sur l’ultime Balcony Man, un piano cristallin reprend ses droits, accompagnant un chant qui se fait plus mélodique par la voix d’un Nick Cave qui, cette fois, se prend pour Fred Astaire dans l’un de ses textes les plus beaux et les plus étranges. Le dernier mot de Carnage reprend la phrase de Nietzsche usée jusqu’à la corde et la déforme : ce qui ne te tue pas te rend plus dingue. Avant tout, Carnage est un disque qui, jusque dans ses moments les plus calmes, doit faire trembler les murs, s’écouter fort – en cela, il est ce qu’il nous reste de ce qui fut appelé rock’n’roll.
Carnage (AWAL/PIAS). Sortie le 18 juin