Nicolas Ker, une vie rock

“Je hais le second degré. A la fin du XIXème siècle, tous les timbrés comme Nerval, Baudelaire ou Barbey d’Aurevilly écrivaient ce qu’ils pensaient réellement. Cet âge et ce lieu du sarcasme et de la dérision systématiques me font chier : Paris...

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“Je hais le second degré. A la fin du XIXème siècle, tous les timbrés comme Nerval, Baudelaire ou Barbey d’Aurevilly écrivaient ce qu’ils pensaient réellement. Cet âge et ce lieu du sarcasme et de la dérision systématiques me font chier : Paris 2006”, me confiait un jour Nicolas Ker dans sa franchise éloquente, en plein enregistrement de l’album de Paris, sans doute le groupe le moins connu de sa discographie dispersée entre Poni Hoax, Aladdin et Arielle Dombasle.

Chanteur magnétique et parolier lettré à fleur de peau, Nicolas Ker brillait par son intelligence éruptive, sa voix tabagique, ses fulgurances artistiques, ses prestations volcaniques et ses nuits éthyliques. Personnage à la fois entier et attachant, doué et névrosé, incontrôlable et drôle, Nicolas Ker est mort hier, 17 mai 2021, à Paris sans qu’on n’en connaisse encore les raisons.

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Les faubourgs d’un exilé

Né en 1970 à Phnom Penh d’un père français et d’une mère cambodgienne, Nicolas Langlois grandit entre le Cambodge, l’Egypte, la Turquie et La Réunion, avant de débarquer en banlieue parisienne à l’âge de 16 ans. Épris de littérature et de rock – avec la figure bowiesque en ligne de mire, empruntant son Aladdin (Sane) pour un album au titre tristement prémonitoire de We Were Strong, So We Got Lost –, Nicolas Langlois devient Nicolas Ker en adoptant le patronyme maternel. Au mitan des années 2000, les critiques et le public le découvrent en leader charismatique de Poni Hoax, futur meilleur groupe rock français de la décade 2005-2017.

Dans ce quintette aux fortes personnalités (du compositeur Laurent Bardainne au batteur Vincent Taeger, en passant par le guitariste Nicolas Villebrun et le claviériste Arnaud Roulin, tous anéantis et éplorés depuis hier soir), Nicolas Ker est la figure dandyesque à la parole exacerbée et aux comportements parfois chancelants. Dans le registre post-punk ou new-wave, sa voix fait des monts et merveilles (She’s On the Radio, The Paper Pride, Life in A New Motion, The Wild).

A mesure que la discographie de Poni Hoax s’enrichit admirablement (quatre albums impeccables au compteur, édités par Tigersushi et Pan European Recording), Nicolas Ker déborde trop d’idées et d’énergie, fomentant un autre groupe (Paris, avec Arnaud Roulin de Poni Hoax) en 2007, un duo (Aladdin, avec Gilb’r de Versatile) en 2011, et bientôt un album solo de crooner à l’intitulé touchant : Les Faubourgs de l’exil (2016). Jamais avare d’un bon mot, d’un emportement excessif ou d’une saillie définitive, Nicolas Ker n’est pas sans rappeler un autre feu follet aux ailes brûlées : Daniel Darc, mort également jeune quinquagénaire. Pour saisir un peu le personnage, il faut absolument voir le documentaire Poni Hoax: Drunk in the House of Lords, réalisé en 2009 par Matthieu Culleron et Pierre Chautard, aujourd’hui visible sur YouTube.

Arielle

Si l’homme a souvent remisé ses projets littéraires dans les tiroirs – dont un livre sur Paris Hilton, sujet sur lequel il était intarissable, l’imaginant même “disparue en yacht dans le triangle des Bermudes à 27 ans” –, Nicolas Ker va former avec Arielle Dombasle l’un des tandems les plus improbables de l’époque, amorcé en 2016 avec l’album commun La Rivière atlantique, poursuivi avec le film Alien Crystal Palace (2018) puis le disque Empire (2020).

Depuis leur 1ère rencontre à un concert de Poni Hoax au Cirque d’hiver, le punk dandy et l’actrice rohmérienne ne tarissent plus d’éloges mutuels. “J’ai tout de suite saisi la dimension excessive, la poésie intense d’une exigence radicale qui se dégageait du chanteur Nicolas Ker. Un côté Artaud, Le Théâtre et son double, tellement rare”, confessera-t-elle, en 2016, aux Inrocks quand lui évoque ses souvenirs adolescents : “J’ai entendu causer d’Arielle Dombasle pour la 1ère fois à l’âge de 16 ans. J’écoutais Nick Cave, The Jesus and Mary Chain, Cabaret Voltaire et j’allais voir les films de Tarkovski, de Virginie Thévenet, mais aussi ceux d’Arielle Dombasle. Quand je suis arrivé en France en 1985, je ne traînais qu’avec des amis gays et ensemble on allait voir Les Pyramides bleues d’Arielle. Elle était l’une des figures de notre fascination comme Cocteau ou Mishima.”

Toujours aussi aimanté, Nicolas Ker venait de composer la musique du prochain film de Bernard Henri-Lévy, Une autre idée du monde. Au soir de l’annonce aussi brutale que terrible de la mort de Nicolas Ker à cinquante ans, l’actrice aux yeux bleus écrivait à l’AFP ces quelques mots bleus : “Nicolas était le dernier des rockeurs à la voix d’or. C’était la figure même du rockeur au cœur déchiré, du poète incandescent, il avait une grâce dionysiaque, un être rare fin et beau, nous le pleurons.”

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